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Scandale sur le chantier d'une école genevoise

Visite du chantier le 14 février.
© Thierry Porchet

Visite du chantier le 14 février, convoquée par Unia, à laquelle ont participé des travailleurs et deux représentants de la Ville de Genève.

A la suite de l’exposition à l'amiante des travailleurs sur le chantier de l’école de Pâquis-Centre à Genève, Unia exige que les responsables rendent des comptes et menace de déposer une plainte pénale

Le scandale a éclaté dans la Tribune de Genève du 12 février. En rénovation depuis plus de deux ans, l’école genevoise de Pâquis-Centre a récemment fait la une de l’actualité après que des travailleurs de différents secteurs du bâtiment ont été exposés à de l’amiante sur le chantier. Que les matériaux, tels que la colle à carrelage, en contiennent n’est pas une surprise pour un établissement de cette époque. Le problème vient du processus de désamiantage, qui n’aurait pas respecté les protocoles habituels de sécurité. Mais aussi des alertes dénonçant ces dysfonctionnements, lancées par les travailleurs depuis des mois, auxquelles personne n’a réellement donné suite.

La réaction d’Unia ne s’est pas fait attendre. Mandaté par ces derniers pour les représenter, le syndicat a immédiatement exigé de la Ville de Genève, maître d’ouvrage, qu’elle lui mette à disposition une liste de documents, notamment les noms des entreprises et des salariés étant intervenus sur le chantier, la liste des décharges où les déchets ont été déposés ou encore les noms des transporteurs. Au total, ils seraient une centaine à avoir œuvré sur les lieux depuis le début des travaux.

Situation scandaleuse

Le 14 février, lors d’une réunion convoquée sur le chantier par Unia, à laquelle une quinzaine de travailleurs et deux représentants de la Ville de Genève ont participé, l’inquiétude était au rendez-vous. «Ce qui se passe ici est scandaleux, dénonce José Sebastiao, responsable du secteur à Unia Genève. Il va de soi que notre première demande est que tous les salariés subissent une expertise médicale par la Suva, et rapidement.» François Clément, membre de la direction du secteur construction, a aussi fait le déplacement depuis Berne: «Ma présence signifie que la situation est grave. Il est urgent d’identifier qui a été exposé, ou pas, à l’amiante, et qu’un suivi soit mis en place sur le long terme, car les maladies liées à l’amiante peuvent se manifester quinze ans ou plus après l’exposition. Nous comptons sur les autorités et leur collaboration pour que l’on puisse faire correctement notre travail.» Et de s’adresser aux ouvriers: «Il faut rester prudents, mais ne cédons pas à la panique non plus.»

Inquiétude et colère

Sébastien Schmidt, de la Direction du patrimoine bâti (DPBA) de la Ville, a tenté d’apaiser les esprits. «Nous sommes solidaires et nous partageons votre point de vue: la priorité est la santé des travailleurs, pas le bâtiment. Cette situation est inacceptable et nous allons partager les informations en notre possession, il n’y a aucune volonté de notre part de vous les cacher, mais cela prend du temps.» Pour rappel, le chantier avait été suspendu deux jours début février, le temps que le Service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (Sabra) fasse les contrôles nécessaires. L’activité a repris ensuite, ce service, seule autorité compétente en la matière, ayant jugé que le risque était écarté.

Les ouvriers, remontés, improvisent une visite guidée du chantier. «On nous demande de reprendre le travail, mais les déchets amiantés n’ont toujours pas été évacués, le risque est à nos pieds», lance l’un d’eux. En effet, ici et là, des débris de carrelage remplis de colle amiantée sont au sol. «Nous sommes inquiets pour notre santé, mais nous sommes aussi en colère, car cela fait des mois que nous signalons les problèmes à la direction des travaux, photos à l’appui, et rien n’a bougé. Quand l’entreprise est venue désamianter les fenêtres, on a reçu les poussières sur la tête alors que nous aurions dû être confinés.» Unia dénonce une «légèreté terrible» dans la gestion de cette affaire. Et un autre travailleur d’ajouter: «Quand nous avons demandé à Designlab-architecture (dl-a, la direction des travaux, ndlr) pourquoi il n’y avait pas eu un diagnostic amiante plus approfondi avant le démarrage du chantier, on nous a dit que, faute de moyens, il n’avait pas été possible d’aller au bout. C’est scandaleux!»

Maçons, électriciens, chauffagistes, serruriers ou métallurgistes continuent à nous exposer les dysfonctionnements: «On nous a dit de mettre les déchets des murs que nous avions cassés dans des poubelles normales… De même, quand ils sont venus désamianter, nous n’avons reçu aucune info, nous ne savions même pas qu’ils étaient là pour ça et, nous, on circulait autour, sans équipement spécial.» Le climat vire à la psychose. «J’étais en train de faire des carottages et l’entreprise Perrin est venue désamianter à deux mètres de moi avec un marteau-piqueur, sans nous évacuer.» «C’est aberrant, on bosse au milieu de tas de détritus bourrés d’amiante que les entreprises n’évacuent pas et, le soir, on ramène la poussière chez nous auprès de nos femmes et de nos gamins.»

Manquement grave

Discrètement, un groupe de salariés nous glisse que la direction des travaux leur a demandé oralement de rester discrets sur le sujet. Un e-mail envoyé par l’architecte de dl-a, auquel nous avons eu accès, les prie «de ne pas communiquer sur cet événement». «Pour nous, reprennent les travailleurs, ils savaient qu’il y avait des dysfonctionnements, mais ils n’ont pas voulu que cela s’ébruite.» Si c’est le cas, commente François Clément, il s’agit d’une mise en danger volontaire d’autrui. Et ce dernier de rappeler: «En présence d’amiante, un diagnostic complet doit être fait et des normes strictes doivent être établies dans un plan hygiène et sécurité.» En effet, des plans de confinement doivent être mis sur pied, le désamiantage doit être réalisé par des ouvriers spécialisés et les déchets évacués dans des sacs spéciaux. «Ces étapes n’ont pas toutes été respectées sur ce chantier. Il y a clairement eu un manquement grave à ces devoirs», reprend le syndicaliste.

Action en justice

Quels sont les risques? François Clément est clair: «Des travailleurs ont été exposés à l’amiante. S’il y a eu contamination, ce qui reste à déterminer, le risque est énorme.»

Une séance d’information convoquée par le Sabra et la Suva a eu lieu le 18 février pour répondre aux questions des salariés, en présence des entreprises. Pas convié, malgré sa demande, Unia s’y est invité tout de même. «C’était une réunion irréelle, lors de laquelle la direction des travaux a tenté de remettre la responsabilité sur les ouvriers, rapporte José Sebastiao. Et en plus de l’amiante, nous avons appris que ces derniers avaient aussi été exposés au plomb présent dans la peinture des fenêtres, des portes et des parois métalliques.» Le secrétaire syndical nous décrit une fin de séance émouvante: «Une entreprise d’électricité a annoncé qu’elle retirait ses travailleurs du chantier tant que la situation n’était pas claire, et un ouvrier est parti en pleurs.»

A l’heure où nous mettions sous presse, lundi, le suivi médical des salariés par la Suva était assuré. De même, d’après nos sources, il a été demandé que le désamiantage se fasse désormais dans les règles de l’art. «Il s’agit toujours de la même entreprise: comment peut-on encore leur accorder notre confiance?» s’interroge José Sebastiao. Enfin, aucun des documents réclamés par Unia n’avait encore été fourni. «Il y a un refus clair de collaborer.»

Autre problème de taille: l’évacuation des détritus amiantés, insiste le responsable syndical: «Nous ne savons pas vers quelle décharge les déchets, contaminés selon les travailleurs, ont été envoyés, ni le nombre de personnes qui les ont manipulés. Il y a un énorme risque que toute la décharge soit contaminée.» Face à la gravité des faits et aux conséquences qu’elles pourraient engendrer, Unia n’exclut pas de faire une dénonciation pénale auprès du procureur.

Direction des travaux silencieuse

A en croire les ouvriers et leur syndicat, la direction des travaux, sous le nom de dl-a, aurait une grosse part de responsabilité dans l’affaire. Pourquoi n’a-t-elle pas réagi plus tôt et plus sérieusement aux alertes des salariés? Pourquoi n’a-t-elle pas fait remonter l’information à la Ville de Genève? Pourquoi a-t-elle demandé aux travailleurs de ne rien dire? Nous avons souhaité poser toutes ces questions au principal intéressé, qui nous a renvoyés au Département des constructions et de l’aménagement de la Ville de Genève, qui lui-même, s’est fendu d’une brève réponse par e-mail. «Dès qu'elle a eu connaissance des erreurs et des manquements commis par les entreprises, la Ville leur a fait part de son mécontentement et s'est chargée de leur rappeler les règles à respecter. Les recommandations du Sabra et de la Suva vont être suivies et appliquées à la lettre afin que les ouvriers puissent travailler sur ce chantier en toute confiance.» Le mystère reste entier!


Et l’école dans tout ça?

Si les travailleurs ont été les plus exposés aux risques de l’amiante, Unia se dit également très préoccupé par le cas des élèves de l’école et de leurs enseignants, installés dans un bâtiment juste à côté. «Toutes les colles à carrelage contiennent de l’amiante et, maintenant, nous savons qu’il y a aussi de la peinture au plomb, s’indigne José Sebastiao. Socialement, il y a un problème de taille!»

Pour Pierre-Antoine Preti, responsable de la communication du Département de l’instruction publique, la transparence des autorités à ce sujet au sein de l’école aurait rassuré tout le monde. «La rentrée s’est passée sereinement, il n’y a pas de psychose généralisée. A ce stade, la gestion des choses se passe bien et le climat est bon. Une rencontre a également eu lieu la semaine dernière rassemblant l’équipe pédagogique, les représentants des parents d’élèves et les ingénieurs de la Ville.

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