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Les caissières sont désormais sur tous les fronts

Une caisse automatique.
© Olivier Vogelsang

Loin de soulager le travail des caissières, les bornes automatiques accroissent leurs tâches et génèrent parfois de l’agressivité de la part des clients. Le rôle social du personnel est aussi remis en cause par ces machines.

Les caisses automatiques servent à augmenter la polyvalence du personnel des grandes surfaces, ce qui génère beaucoup de stress, comme en témoigne une employée de Coop

Ces dernières années, les caisses rapides et automatiques se sont multipliées dans les grandes surfaces. Les clients sont invités plus ou moins volontairement à scanner directement les articles en rayon, c’est le self-scanning, ou encore à la sortie du magasin, on parle alors de self-checkout (SCO). Ces technologies améliorent-elles les conditions de travail du personnel ou, au contraire, participent-elles à leur détérioration?

«Le SCO provoque une augmentation des tâches à accomplir, surtout dans les petites succursales», indique Gahla Dörig, secrétaire syndicale d’Unia Genève en charge de la vente. «Selon les directives internes, un employé devrait être affecté aux caisses automatiques, mais on voit que, dans les petites Coop et Migros, il n’y a souvent qu’une seule personne à la sortie du magasin. Du coup, les caissières doivent garder un œil sur les caisses automatiques, sortir leur badge lorsqu’il y a de l’alcool et veiller à éviter les vols, même si cela n’est pas leur rôle de faire le Securitas. Cela peut provoquer des erreurs de caisse. Comme il y a de plus en plus de tâches à effectuer, il devient en effet difficile de le faire correctement.»

Employée dans une petite Coop genevoise, Hélène* le confirme: «Avant les caisses automatiques, je ne manquais pas de travail, mais désormais je dois réaliser plusieurs tâches simultanément. On me demande de faire la caisse, de surveiller les caisses automatiques, les vols et de faire les rayons. C’est énormément stressant. On les appelle les caisses rapides, mais elles ne sont pas rapides du tout, je vois des clients qui passent trois fois plus de temps sur les SCO qu’à ma caisse. Dès qu’ils ont l’impression de perdre leur temps, certains deviennent agressifs et manquent de respect, ce qui augmente encore le stress.»

La Genevoise s’est fait récemment avoir par un adolescent envoyé par Coop comme client mystère. «J’ai validé l’âge pour l’alcool et je me retrouve maintenant avec la mention de cette erreur dans mon dossier.»

Hélène signale au passage que les vols ont fortement augmenté depuis l’introduction des caisses automatiques. «Les inventaires sont extrêmement mauvais. Certains sortent sans payer avec des cornets pleins, voire même des caddies. Nous pouvons déclencher un contrôle si nous repérons une personne suspecte, mais je n’ai juste pas le temps de le réaliser.»

Une directive interne de Coop, que nous avons consultée, impose pourtant aux gérants l’affectation d’un ou d’une «hôte/hôtesse de caisses automatiques» durant «au moins 80% des heures d’ouverture». «Dans mon magasin, nous ne sommes même pas à 20%.»

Réductions de personnel?

Gahla Dörig souligne que les caisses automatiques coûtent moins cher que le personnel «sans que les clients, qui effectuent ce travail, ne bénéficient d’une réduction. Ce qui fait augmenter la productivité du magasin. Et plus celle-ci progresse, mieux les managers des succursales sont notés au sein de leur entreprise. Ils sont donc incités à réduire le personnel. Depuis l’introduction du SCO, nous observons des diminutions de personnel, tant à Coop qu’à Migros. Il n’y a pas de licenciements, mais les départs ne sont pas remplacés. L’introduction des caisses arrive à une période où nombre de caissières partent à la retraite.»

Là encore, Hélène témoigne: «Par exemple, lorsqu’une caissière employée à 41 heures par semaine s’en va, elle sera remplacée par une personne avec un contrat à 32 heures. Le nombre d’heures diminue ainsi.» Alors que les tâches, elles, tendent à s’accroître. «Nous avons un nouveau point chaud à alimenter toute la matinée et les cornets “Too Good To Go” à préparer pour la fermeture et nous n’avons eu personne en plus pour s’occuper de tout cela.»

«Nous n'employons pas moins de personnel dans les points de vente équipés de SCO qu'avant l'introduction de cette possibilité de paiement, conteste le porte-parole du groupe Coop, Caspar Frey. De manière générale, le personnel affecté à la gestion des caisses SCO est suffisant. Les tâches liées aux caisses SCO sont clairement définies dans un règlement interne et tiennent compte des besoins des collaborateurs. Ces directives sont correctement appliquées.»

Interrogée, Anne Rubin, membre de la direction du secteur tertiaire d’Unia, en charge de la Convention collective de travail Coop, est dans l’impossibilité de trancher faute de disposer de chiffres précis du groupe bâlois. «Ce que nous voyons, c’est une baisse du nombre d’auxiliaires, ce qui est plutôt positif dans la mesure où ces contrats sont précaires. Mais nous savons qu’il existe des grosses pressions pour réduire les coûts en personnel et les caisses automatiques servent à rationaliser ces coûts et à augmenter la polyvalence. Ce qui est souvent stressant, car les caissières sont sur tous les fronts en même temps. C’est également le cas chez Migros.»

Le porte-parole du groupe Migros, Tristan Cerf, assure que les caisses automatiques n’ont, globalement, «pas d’influence sur le nombre d’employés dans les filiales», même si la polyvalence du personnel s’est accrue, une partie de ses tâches ayant été déplacée de la zone caisses aux rayons. «Les produits frais ou bio que l’on trouve aujourd’hui en rayon demandent plus d’accompagnement en magasin.» En s’adaptant aux nouveaux comportements de la clientèle, «les caisses automatiques permettent d’augmenter le flux aux caisses et d’assurer la continuité du chiffre d’affaires».

La fin de la caisse traditionnelle?

Une évolution qui n’est pas positive pour Hélène: «J’ai pensé au départ que ces caisses étaient installées en support aux caisses traditionnelles, ce qui n’est pas une mauvaise idée, mais je constate aujourd’hui que les caisses vont disparaître. Il me reste moins de dix ans avant la retraite et je ne crois pas que je vais toutes les passer derrière un tiroir-caisse.»

«Un certain nombre de caissières estiment jouer un rôle social en discutant avec les clients, le SCO remet en cause cet aspect social du métier», note Gahla Dörig. «Il n’y a plus de contact, c’est barbare pour les personnes âgées», souligne Hélène.

Nos interlocutrices ne rejettent toutefois pas a priori les innovations technologiques. Gahla Dörig rappelle que la vente est un métier difficile: «Passer des marchandises, parfois lourdes, toute la journée au-dessus du scanner n’est pas facile, mais, plutôt qu’une flexibilisation plus grande et une augmentation du stress, les nouvelles technologies doivent s’accompagner d’une politique du personnel juste, d’une formation continue et d’une amélioration des conditions de travail.»

Pour Hélène, il faut au minimum respecter les directives internes. Et pourquoi pas, suggère-t-elle, faire payer des cotisations sociales aux caisses automatiques. «Vu qu’elles permettent d’économiser sur le personnel… Cela profiterait à tout le monde.»

* Prénom d’emprunt.

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