23 francs de l'heure? Bientôt!
Les nettoyeuses et nettoyeurs genevois se sont mobilisés la semaine dernière pour exiger un salaire décent et un minimum horaire de 23 francs. Dans une pétition adressée au patronat, ils demandent également une prime de risque pour ceux ayant travaillé pendant la crise sanitaire et le paiement à 100% en cas de chômage technique. L’acceptation du salaire minimum à Genève apportera un coup d’accélérateur à leurs revendications
A Genève, la bataille pour obtenir des salaires décents dans le nettoyage n’est pas terminée. Le 24 septembre, les syndicats Unia, Sit et Syna ont organisé une action devant les locaux de la Fédération des entreprises romandes avant d’aller déposer une pétition munie de 1187 signatures auprès des employeurs du secteur pour exiger une revalorisation de ces métiers.
Refus d’entrer en matière
Camila Aros, secrétaire syndicale à Unia, rappelle le contexte: «Les salaires de la branche sont très bas. On estime que 80% des nettoyeurs sont au salaire minimum, à savoir 19,95 francs l’heure. Les travailleurs sont des femmes en majorité, migrantes et à temps partiel. L’expérience n’est pas prise en compte dans le calcul du salaire et les retraites en pâtissent, car ils ne cotisent pas à la LPP.»
A la suite de la pandémie de coronavirus durant laquelle les nettoyeurs étaient au front, souvent mal ou pas équipés, la population leur a rendu hommage en les applaudissant tous les soirs à 20h. «Aujourd’hui, on demande plus que des applaudissements», répète la syndicaliste, qui explique que les revendications de la branche ont été transmises à la faîtière patronale. Cette dernière, en mai, a rejeté toute entrée en matière, jugeant les revendications du personnel «déconnectées de la réalité».
«Cela fait des années que nous essayons de mettre en place un dialogue social pour discuter des salaires et qu’on nous ferme la porte», soufflent les syndicats.
Revaloriser les salaires
C’est là qu’intervient la pétition. Le texte demande premièrement la revalorisation des métiers du nettoyage avec une augmentation salariale d’au moins 23 francs l’heure; ensuite, une prime de risque pour ceux qui ont travaillé pendant la crise sanitaire; et enfin, le paiement des RHT à hauteur de 100% de leur salaire pour ceux qui ont été contraints au chômage technique.
«Certes, certaines entreprises de nettoyage ont vu des sites fermer au plus fort de la pandémie, mais l’activité a repris, poursuit Thierry Horner, du Sit. Les tâches se sont même élargies pour les nettoyeurs, qui ont maintenant tout un travail de désinfection à faire. Nous avons le cas d’une employée de la multinationale ISS qui intervient à l’ONU: la charge de travail a doublé, mais le personnel et les salaires n’ont pas bougé, elle fait 22000 pas par jour… La pandémie a mis la lumière sur ces travailleurs de l’ombre essentiels, il est temps de leur offrir des conditions de travail dignes!»
Témoignages
Catarina* «Je suis arrivée d’Italie il y a plus de cinq ans et le seul métier qui s’est ouvert à moi était le nettoyage. Je suis payée 19,95 francs l’heure. La dernière augmentation obtenue a été de 10 centimes, c’est même pas de quoi acheter un bonbon! Quand on essaie de demander des augmentations, le patron nous dit que si on n’est pas contents, on peut prendre la porte, et nous, on n’a pas le choix: on doit travailler. On nous envoie deux heures à un endroit, puis deux heures de l’autre côté de la ville: les frais de repas ne sont pas payés et les déplacements non plus: on en a marre! Nous avons le droit, nous aussi, de vivre mieux en Suisse. Pendant la crise du Covid-19, nous avons continué à travailler, sans être suffisamment protégés, sans être informés, alors que nous avions nos familles à la maison, et nous n’avons pas reçu un seul “merci”. Les entreprises, les institutions, les communes et les particuliers ont besoin de nous, mais il faut nous respecter, et nous permettre enfin de vivre dignement.»
Carmen* «Je travaillais pour une entreprise de nettoyage sur le site de l’aéroport de Cointrin. Nous n'avions que deux paires de gants par jour pour faire notre travail. A la mi-mars, j’ai été contaminée par le coronavirus et hospitalisée pendant quatre mois. Comme j’avais moins de trois ans d’ancienneté, je n’étais protégée que pendant 90 jours: mon employeur m’a licenciée, et je dois maintenant aller au chômage.»
Francisco* «Notre travail est dur et même dangereux. Nous intervenons dans la rue, dans les toilettes publiques. Nous avons réclamé une augmentation et une prime de risque, pour nous récompenser de notre travail, mais le refus a été catégorique.»
Clara* «Quand je suis arrivée à Genève, j’ai travaillé pendant deux ans pour une petite entreprise. Selon les tâches que j’avais à faire, on me payait entre 10 et 15 francs l’heure. Le patron me disait que comme je ne parlais pas français et que je n’avais pas de permis, il ne pouvait pas me payer plus. Beaucoup d’employeurs profitent de notre situation d’étrangers, car on ne connaît pas nos droits, et cela doit changer!»
Laura* «Dans le nettoyage, on a affaire à de l’exploitation barbare. En 2018, je commençais ma journée à 6h du matin et la terminais à minuit: je cumulais plusieurs emplois pour pouvoir vivre “dignementˮ. Malgré tout, je devais partager mon appartement avec plusieurs personnes, car je n’avais pas les moyens de vivre seule. Qui peut vivre à Genève avec 1500 ou 2000 francs par mois? Ce rythme de travail effréné m’a rendue malade et j’ai réalisé que cela ne valait pas la peine. Je suis ici depuis 2011 mais mes enfants sont restés en Espagne. Je travaillais tellement que mes jours de repos étaient exclusivement pour dormir. De toute façon, je ne pouvais pas me permettre le luxe de sortir: en neuf ans, je n’ai pas mangé une seule fois au restaurant ni été au cinéma. Au final, tout est tellement cher ici que je réalise que, à travail égal, on ne vit pas mieux à Genève qu’en Espagne. J’envisage même de rentrer...»
*Prénoms d’emprunt.