«Ils nous prennent pour des esclaves!»
Pressions incessantes sur les délais, déplacements non payés, erreurs sur les fiches de paie, jours de congé non respectés, menaces pour dissuader de s’adresser à un syndicat: les doléances des femmes de chambre se suivent et se ressemblent.
Unia Vaud a organisé la toute première assemblée générale des femmes de chambre. Des travailleuses précaires avides de connaître et de faire valoir leurs droits.
Ce sont des petites mains de l’économie, des travailleuses précaires et généralement invisibilisées. Mais ce soir du 5 décembre, à la Maison du Peuple de Lausanne, ce sont elles qui tiennent le haut de l’affiche. Elles, ce sont les femmes de chambre du canton de Vaud. Il y en a là près d’une quarantaine, venues assister à la toute première assemblée générale de la profession, organisée par Unia Vaud. A entendre les témoignages de ces salariées travaillant dans des conditions difficiles, il y a du pain sur la planche.
La soirée est bien sûr l’occasion de présenter Unia et les nombreux avantages qu’il y a à se syndiquer, entre la défense des droits des travailleuses, les cours de français et autres formations pour apprendre à lire une fiche de paie ou remplir sa déclaration d’impôts. La secrétaire syndicale Tamara Knezevic, instigatrice de cette réunion, en profite aussi pour expliquer à ces migrantes les spécificités du droit suisse du travail, très libéral par comparaison avec les pays voisins. «Si on ne se défend pas nous-mêmes, personne ne le fera, lance la syndicaliste. De leur côté, les patrons s’organisent aussi. Ils ont leurs propres associations.»
Des exemplaires de la Convention collective nationale de travail pour l’hôtellerie-restauration (CCNT), traduite en diverses langues, sont distribués. Un document dont la plupart des participantes ignoraient l’existence. «Pourtant, votre patron aurait dû vous le fournir…» fait remarquer Tamara Knezevic.
Témoignages édifiants
Mais le but de la rencontre est surtout de donner la parole aux femmes de chambre pour lister les problèmes qu’elles rencontrent au travail. Et à terme, établir un cahier de revendications. Après avoir attentivement écouté les explications dispensées en français, espagnol et portugais, les langues se délient au moment du tour de parole.
Anna* s’est fait licencier après plusieurs mois d’arrêt maladie. «J’étais épuisée physiquement et psychiquement, lâche-t-elle. Plus le temps passait, plus on me rajoutait de chambres à nettoyer. Il m’est arrivé d’en faire une trentaine dans la journée et, pour chaque chambre, on ne doit pas prendre plus de vingt minutes. Et même si ça me faisait terminer mon travail une demi-heure plus tard, je n’étais pas payée plus. Ils nous prennent pour des esclaves!»
Comme toutes ses collègues, Anna devait faire beaucoup de déplacements dans le canton, travaillant un jour à Lausanne, le suivant à Montreux, Nyon ou ailleurs. Avec parfois des affectations décidées au dernier moment. Une autre participante raconte ainsi qu’un jour, on l’a appelée à 6h du matin pour lui demander d’aller travailler à Genève. Elle confie également une anecdote qui en dit long sur le manque de respect dont ces travailleuses sont victimes: «Une fois, je me suis coupé la main avec un verre cassé, mais mes chefs n’ont pas voulu appeler les secours. J’ai dû aller à l’hôpital en métro. Ma main saignait tellement qu’un passager m’a fait un bandage provisoire.»
Très parlant aussi l’éclat de rire général déclenché quand un syndicaliste explique que le salaire minimum prévu par la convention collective de la branche n’est que de 3800 francs par mois pour un 100%. Pas parce que cette somme paraît ridicule aux femmes de chambre, mais au contraire parce que la plupart d’entre elles, employées à temps très partiel ou trop mal rémunérées, sont loin de gagner autant que ça.
Une entreprise en ligne de mire
La plupart de ces femmes, sans se connaître, travaillent en fait pour le même employeur, une entreprise spécialisée dans le nettoyage de chambres d’hôtels, une tâche que de nombreux établissements ont externalisée. «Grâce à cette assemblée, elles voient qu’elles ne sont pas seules, et que d’autres ont les mêmes problèmes qu’elles», note Tamara Knezevic. Pressions incessantes sur les délais, déplacements non payés, erreurs sur les fiches de paie, jours de congé non respectés, menaces pour dissuader de s’adresser à un syndicat: les doléances se suivent et se ressemblent.
«Je suis choquée de voir qu’en Suisse, un pays si développé, on fasse si peu attention aux droits des travailleurs», s’étonne une femme venue d’Espagne. L’une de ses collègues ajoute: «Dans les hôtels, il n’y a pas de respect et de dignité pour les femmes de chambre. Les patrons se croient au-dessus des lois.»
Les convaincre de venir à cette réunion n’a pas été de tout repos pour Tamara Knezevic: «Depuis le printemps 2024, j’ai commencé à faire du tractage devant les hôtels du canton. J’ai parlé à des centaines de femmes de chambre. A force de me voir, elles me connaissaient et la confiance s’est petit à petit installée. Le bouche-à-oreille a fait le reste. Ces personnes sont à la croisée de toutes les discriminations: femmes, migrantes, pauvres, racisées.»
Une prochaine réunion est déjà prévue le 22 janvier, dans les locaux d’Unia Vaud. Leur combat ne fait que commencer.
* Prénom d’emprunt