A l’Ecole de la nature et en balade avec ses chèvres, Jeanne-Charlotte Bonnard sensibilise petits et grands à l’environnement
Jeanne-Charlotte. Ou Jeanne ou Charlotte. Trois prénoms auxquels elle répond, sans préférence. «Jeanne pour le côté sage et studieux, Charlotte pour le côté rigolo», sourit celle dont le patronyme Bonnard ajoute encore une touche sympathique au personnage. En cette matinée ensoleillée de septembre, elle raconte son parcours devant un café dans la cour de l’abbatiale de Romainmôtier, son village depuis huit ans.
Pendant son enfance citadine, la Lausannoise se souvient de rares, mais marquantes, escapades dans le monde paysan. «Mes parents étaient des amis de la famille de Fernand Cuche. Un été, j’ai fait les foins avec eux. C’était mon premier salaire avec une fiche de paie que j’ai toujours dans ma tirelire!» raconte celle qui a, depuis, un pré à son nom.
L’alpage, un tournant
Ses études universitaires en géographie sont marquées par une année Erasmus à Bonn et par de nombreuses manifestations altermondialistes. La géo menant à tout – «car elle étudie le lien entre l’humain et son environnement, que celui-ci soit urbain ou naturel» – son premier stage lui offre le bonheur de répertorier les arbres extraordinaires du canton de Fribourg. Elle travaillera ensuite à Pro Natura et à l’Office fédéral de la statistique, sans vraiment trouver sa place. «Le travail de bureau ne me convenait pas», résume-t-elle. Et puis, un jour, une chercheuse zurichoise lui propose de participer à des films de sensibilisation sur le monde paysan. «J’ai découvert les gens de la terre. Ceux qui vivent pleinement le cycle des saisons. Ça m’a beaucoup touchée. Et j’ai décidé, l’été de mes 30 ans, d’aller travailler dans un alpage au Tessin.» Un tournant pour la bergère qui tombe amoureuse… des chèvres. «Les liens ont été hyper forts. J’adore leur caractère, attachant et indépendant, un peu comme des chats. Au même moment, j’ai découvert dans un journal que des Suisses alémaniques proposaient des balades avec elles. J’ai trouvé l’idée géniale.»
Jeanne-Charlotte Bonnard se forme chez des paysans et sur le domaine de Sauvabelin pour la Ville de Lausanne. Son idée s’affine: créer un lien entre les animaux, la forêt et les citadins. Au hasard des rencontres, Christian Bovigny, paysan du Panier bio des 3 vallons, l’engage dans le maraîchage. Et Cédric Chezeaux (héros du film La Révolution silencieuse) lui offre deux chèvres de son troupeau pour commencer son projet de balade. Avec le soutien de son compagnon biologiste et de l’office du tourisme de Romainmôtier, Jeanne-Charlotte Bonnard, alors jeune maman, se lance dans les promenades didactiques, son fils de quelques mois sur le dos.
Pédagogue par la nature
Sept ans après, son troupeau est constitué de cinq boucs (castrés), qui accompagnent les promeneurs. Pour rencontrer ses bêtes, on remonte dans le village en passant devant sa maison au jardin fleuri. A son arrivée, le chef du troupeau vient se frotter contre elle, et ne la quitte plus. «Il est tellement possessif, que cela en devient pathétique. Je ne peux même plus le prendre en balade», regrette la bergère, qui confie sa difficulté à accepter la hiérarchie imposée à coup de cornes entre les bêtes de son troupeau. «Ça fait partie de leur nature, mais pour moi qui prône le respect de soi, des autres, la douceur et la parole, je rêve parfois de changer leur manière d’être d’un coup de baguette magique! Mais je ne suis pas une fée, et c’est très bien comme ça!»
Au bénéfice de la formation Silviva (l’éducation à l’environnement par la nature), Jeanne-Charlotte Bonnard aime sensibiliser adultes et enfants à l’histoire des lieux, aux animaux sauvages, aux plantes que les caprins apprécient ou non... «J’aime montrer la forêt sous un jour différent. Les animaux m’y aident.»
Une école en forêt
Il y a quelques années, elle inscrit son fils aux P’tits Points, un jardin d’enfants en forêt organisé par l’association Point Nature au-dessus d’Orbe. Puis elle rejoint l’équipe de cette structure, participe aux ateliers proposés pour tous les âges, ainsi qu’aux camps. En 2018, elle fait partie du groupe qui va mettre sur pied un enseignement 100% en forêt à l’intention des élèves du premier cycle (de 4 à 8 ans). Avec une yourte pour seul refuge ponctuel. «On a voulu créer l’école de nos rêves. Celle qui permet d’apprendre dans, par et avec la nature, de vivre le cycle des saisons tout au long de l’année, en lien avec la forêt.» Un environnement qui apporte «respect, émerveillements et confiance en soi», selon la pédagogue, qui décrit poétiquement l’araignée qui répare sa toile patiemment sans se décourager; les étoiles que forment les coques des faines ouvertes, si rugueuses à l’extérieur et tapissées de velours à l’intérieur; ou encore la force du printemps lorsque les bourgeons s’ouvrent déployant les feuilles, puis les rameaux entiers.
Jeanne-Charlotte Bonnard souligne en souriant: «Nous ne souhaitons pas créer une bulle, car les enfants (ré)intègrent l’école publique en 5e.» Ainsi, le plan d’études romand (PER) est suivi, mais les moyens diffèrent: pour écrire, des bâtons ou de la terre humide font l’affaire; pour les maths ou les arts, les éléments de la nature offrent une foison d’outils. De surcroît, la structure accueille régulièrement des classes de l’enseignement public. Jeanne-Charlotte Bonnard est toutefois consciente du manque de mixité sociale (écolage oblige) et de l’incohérence du transport en voiture d’enfants qui viennent parfois de loin. Et de conclure: «En fait, je rêve que l’école publique se fasse le plus possible à l’extérieur. J’espère que la sortie du livre L’école à ciel ouvert va encourager et aider toujours plus d’enseignants à se lancer dans cette belle aventure qu’est l’enseignement en nature!»
Pour commande le livre L’école à ciel ouvert: silviva-fr.ch
Plus d’informations sur: apasdechevres.ch et point-nature.ch