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Maternité: protection attaquée

Petits enfants de dos.
© David Prêtre/Strates - photo prétexte

Une salariée, licenciée mais protégée en raison de grossesses rapprochées, a été déboutée par le Tribunal fédéral. Il estime qu’elle aurait dû offrir ses services à son entreprise, disparue de Genève en raison du regroupement de ses activités en Russie…

«Pour avoir des enfants, il faudrait se plier à ce que veut la société, et ne plus avoir le droit de choisir librement. C’est ainsi que j’ai ressenti la décision du Tribunal fédéral. Ça m’a déchiré les boyaux de savoir que la possibilité de concevoir une famille comme nous le souhaitons est niée.» Presque deux mois jour pour jour après la grève des femmes du 14 juin, Marion*, soutenue par Unia Genève, dit son amertume à la lecture du jugement rendu par la Cour suprême helvétique en avril. Par trois femmes juges de surcroît. Un arrêt statuant sur le paiement du salaire, alors qu’en raison de trois grossesses rapprochées, les délais de congé successifs à un licenciement collectif ont été annulés ou reportés. La cour a ainsi donné raison à son employeur, Lagen SA, filiale d’une multinationale russe de la mode, qui a fermé ses bureaux en Suisse à la fin de l’année 2014. Le Tribunal estime que Marion aurait dû offrir ses services à l’employeur, bien qu’elle ait été libérée de son obligation de travailler et que Lagen SA n’existait plus, n’ayant gardé qu’une adresse auprès de son avocat.

Dans son recours, l’employeur sous-entendait également qu’être enceinte et, par là, protégée contre le licenciement, serait un abus de droit. Les juges fédérales n’ont pas tranché la question, mais Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d’Unia Genève, s’en indigne: «Il n’est pas acceptable de reprocher aux femmes d’être enceintes, même durant le délai de congé!»

Affaire complexe

«J’ai commencé à travailler à plein temps en janvier 2013 chez Lagen SA à Genève. Je m’occupais des achats, de l’approvisionnement et je gérais la création de modèles. Quatre mois plus tard, j’ai annoncé ma première grossesse à l’employeur. L’année suivante, en mars 2014, l’entreprise a annoncé l’arrêt de ses activités en Suisse. En avril, j’ai reçu mon congé dans le cadre du licenciement collectif. J’étais alors enceinte de mon deuxième enfant. Et grâce à Unia qui est intervenu pour tenter de négocier un plan social, j’ai appris que je bénéficiais d’une protection», explique Marion. Le droit du travail helvétique protégeant la maternité, son licenciement était nul (voir ci-dessous).

Face notamment à la crise en Ukraine, l’entreprise, appartenant à la marque Oodji qui possède des boutiques en Russie et dans les pays de l’Est, avait décidé de fermer ses bureaux suisses et français. A Genève, une cinquantaine de licenciements ont été prononcés au printemps 2014. Le solde des 86 emplois existants a été supprimé les mois suivants.

Entre avril 2014 et mai 2015, Marion recevra cinq lettres de licenciement. Des congés nuls, ou suspendus, en raison de sa maternité et d’une intervention chirurgicale. Le cinquième licenciement est donné en mai 2015, avec effet au 31 juillet 2015. Il est assorti d’une libération de l’obligation de travailler. Or, en juin 2015, Marion apprend qu’elle attend son troisième enfant. Le délai de congé est reporté. Mais Marion ne touchera plus son salaire durant la période qui suivra.

Décision absurde

En 2016, elle intente une action auprès des prud’hommes pour réclamer le paiement des treize salaires auxquels elle a droit. Une somme de plus de 70000 francs. N’ayant pas obtenu gain de cause, elle fait appel auprès de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton. Cette dernière lui donne raison et condamne l’entreprise à lui verser son salaire. L’employeur recourt alors au Tribunal fédéral, invoquant notamment que Marion n’a pas offert ses services après le 31 juillet 2015. Les trois juges fédérales lui ont donné raison.

«C’est absurde! s’exclame Maxime Clivaz, juriste d’Unia. L’entreprise n’avait plus d’activité à Genève, et l’avait libérée de son obligation de travailler. De plus, Marion avait offert ses services par skype, ce dont les juges n’ont pas tenu compte. Elle avait aussi réclamé le salaire de juillet 2015 qu’elle n’avait pas reçu.»

Conséquences financières majeures

Ce jugement, cassant l’arrêt de l’instance cantonale, risque d’avoir de lourdes répercussions financières pour Marion. Outre le fait qu’elle ne touchera pas le moindre centime de ses treize mois de salaire, la caisse de compensation pourrait lui réclamer les 20000 francs d’indemnités et d’allocations familiales reçues sur la base du jugement cantonal.

«La trame de fond de ce jugement est profondément sexiste. Il laisse entendre que cette femme a débuté son travail pour tomber enceinte dans le but de percevoir des indemnités!» tonne Alessandro Pelizzari. Le secrétaire régional d’Unia annonce que si ces indemnités devaient être restituées, Unia lancerait un appel à la population pour apporter un soutien financier à Marion et porterait le débat au niveau politique.

«Cet arrêt est particulièrement choquant, poursuit le syndicaliste. Il est tombé en pleine année féministe, alors que les femmes préparaient la grève ayant rassemblé un demi-million de personnes. Un mouvement dénonçant les violences sur les lieux de travail et les discriminations en lien notamment avec la grossesse et la maternité. Et là, trois juges fédérales condamnent une salariée parce qu’elle n’a pas offert ses services à une société qui n’avait plus d’activité à Genève!»

Une décision surprenante venant de femmes? «Les sensibilités politiques ne sont pas dues au genre. Ces trois juges évoluent sur une autre planète, celle du conservatisme de droite qui œuvre tous les jours contre l’égalité et le droit des femmes», répond Alessandro Pelizzari. Quant à Marion, bien que déçue, elle n’est pas surprise non plus: «Je travaille actuellement et je peux dire que les entretiens d’embauche que j’ai eus avec des femmes ont été les plus difficiles.»

*Prénom d’emprunt.


Protection contre le licenciement en cas de maternité, ce que dit la loi:

  • Dans la mesure où le temps d’essai est terminé, il est interdit en Suisse de licencier une femme enceinte dès le 1er jour de sa grossesse et durant les 16 semaines qui suivent l’accouchement.
  • Conformément à l’article 336c du Code des obligations (CO), un tel licenciement est nul.
  • Seul un congé avec effet immédiat pour justes motifs (art. 337 ss du CO) peut être valable.
  • L’interdiction de licencier ne vaut pas pour un contrat de durée déterminée. Ce dernier s’éteint automatiquement à la fin de la durée prévue.
  • En cas de licenciement donné avant la grossesse, le délai de résiliation est suspendu et reprend après les 16 semaines de protection suivant l’accouchement.
  • En cas de maladie durant la grossesse, l’employée a droit au versement de son salaire selon les dispositions de l’article 324a du CO et cela jusqu’à la naissance. Ensuite, elle bénéficie, si elle remplit les conditions légales, des allocations perte de gain en cas de maternité.
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