L’initiative pour un salaire minimum valaisan est lancée
Une large coalition de syndicats et de la gauche a lancé une initiative cantonale pour une rémunération d’au moins 22 francs de l’heure ou 4000 francs par mois en Valais. L’objectif est de lutter contre la pauvreté des salariés et de combattre la sous-enchère
Vingt-deux francs l’heure au minimum ou 4000 francs pour 42 heures de travail: une large coalition de partis de gauche et de syndicats du Valais a lancé vendredi dernier une initiative pour un salaire minimum cantonal. «Il n’est tout bonnement pas acceptable que des personnes travaillant quotidiennement ou presque subissent des conditions de vie précaires et indignes de leur statut de travailleur ou de travailleuse», a expliqué aux médias le président du comité d’initiative, le popiste Adrien D’Errico.
Pour Blaise Carron, secrétaire régional d’Unia Valais, «avec la hausse des prix et l’inflation que nous subissons, il ne devrait pas y avoir de salaire inférieur à 4500 francs pour tout le monde. Même avec notre initiative, nous en sommes loin. La raison est que le droit ne nous permet que de fixer des salaires minimums comme mesure de politique sociale.» D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, un salaire minimum cantonal ne peut en effet se situer que légèrement au-dessus des minima sociaux pour ne pas contrevenir à ladite liberté économique. «A nos guichets syndicaux se présentent de plus en plus de travailleurs qui ont de la peine à joindre les deux bouts. Notre initiative a pour but de lutter contre la pauvreté et ainsi de contribuer au respect de la dignité humaine», souligne la présidente de l’Union syndicale valaisanne, Francine Zufferey.
Environ 18000 personnes concernées
La mesure pourrait bénéficier à environ 10% de la population active valaisanne, selon le comité, soit quelque 18000 personnes.
Une dérogation est toutefois prévue pour l’agriculture, où les initiants ont fixé le salaire minimum à 18 francs. «Cette exception se justifie par le fait que les accords de branche prévoient un salaire minimum de 13,40 francs, indique Matthieu Besse des Verts du Valais. De plus, les journées de travail sont en général plus longues que dans les autres domaines, ce qui permettra d’atteindre un salaire au-dessus du seuil de pauvreté. Cette exception permet aussi de ne pas surcharger les agriculteurs qui sont malheureusement déjà souvent tributaires des paiements directs pour tourner.» Cette dérogation est également inscrite dans les salaires minimums des cantons de Neuchâtel et de Genève.
Adoptée récemment par le Parlement fédéral, la motion Ettlin, qui veut faire primer les conventions collectives de travail (CCT) sur les salaires minimums cantonaux, ne fait pas peur au conseiller national Emmanuel Amoos: «Le Conseil fédéral doit élaborer un projet de loi d’application, alors qu’il s’est clairement opposé à la motion, projet de loi qui sera ensuite soumis aux Chambres et qui, en cas d’acceptation, pourra être combattu par référendum. En outre, lors de la consultation, il paraît peu probable que les Cantons valident une telle ingérence dans leur souveraineté.»
Le socialiste note que les prophéties du patronat annonçant le blocage des salaires et des licenciements ne se sont pas réalisées dans les cantons ayant adopté un salaire minimum, à l’image de Neuchâtel, du Jura ou de Genève.
Mais obtenir une majorité dans le Vieux-Pays ne sera pas aisé, si l’on se réfère à 2014, année où les Valaisans avaient refusé l’initiative fédérale pour un salaire minimum de 4000 francs et une initiative cantonale proposant une rémunération de 3500 francs, par, respectivement, 82% et 80,7% des suffrages. «Nous menons des combats de longue durée», rappelle Blaise Carron, en citant le droit des femmes et le congé maternité. «Si cela ne passe pas cette fois, nous y parviendrons la prochaine. Nous partons en meilleure position qu’en 2014 en nous appuyant désormais sur des modèles cantonaux qui fonctionnent.»
«Cette initiative contribue à enrayer la sous-enchère»
Trois questions à Blaise Carron, secrétaire régional d’Unia Valais.
Qui est concerné par cette initiative pour un salaire minimum?
«Dans des activités telles que l’hôtellerie-restauration, les services aux entreprises, comme le nettoyage ou les centres d’appels, les soins aux personnes et le service de maison, le commerce de détail ou encore dans certains types d’industrie, des salariés sont particulièrement mal payés et gagnent trop peu pour mener une existence digne. Ces emplois sont pourtant essentiels et ne peuvent pour la plupart pas être délocalisés à l’étranger. Il faut constater que les femmes sont particulièrement victimes de la politique des bas salaires pratiquée dans ces secteurs puisqu’elles y occupent la majorité des postes.
Pourquoi ne pas intervenir dans le cadre des CCT?
Les salaires minimums ont fait leurs preuves depuis de longues années dans différentes branches grâce aux CCT de force obligatoire. Plus de la moitié des salariés ne bénéficient cependant pas d’une CCT prévoyant une rémunération minimale, ce qui rend nécessaire l’introduction d’un salaire minimum légal.
En plus d’augmenter les rémunérations, existe-t-il d’autres aspects positifs à la mesure?
L’instauration d’un salaire minimum contribue également à la protection des salaires et à la lutte contre le dumping en établissant un seuil. De nombreux employeurs misent sur une main-d’œuvre bon marché pour augmenter leurs profits. Ils portent un énorme préjudice à l’ensemble des salariés dont les rémunérations sont mises sous pression et nuisent également aux employeurs qui paient correctement leur personnel. Cette initiative contribue donc à enrayer les pratiques de sous-enchère bien trop présentes dans l’économie valaisanne.
Le dispositif induirait, par ailleurs, des recettes supplémentaires pour les assurances sociales, notamment pour l'AVS et l'assurance chômage, ainsi que pour les collectivités publiques sous la forme de rentrées fiscales. En diminuant l’aide qu’elle verse aux salariés touchant de très bas salaires, l'aide sociale pourrait faire des économies en ayant moins à subventionner des employeurs scélérats. Nous assistons aujourd’hui à un véritable hold-up sur les deniers publics, puisque ce sont les collectivités publiques qui doivent mettre la différence pour que les personnes concernées puissent vivre plus ou moins convenablement.