Des femmes de chambre grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles à Paris sont venues parler de leur lutte à Lausanne: 22 mois de combat dont 8 de grève effective. Un exemple pour tout syndicat
La victoire des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles, en mai dernier, est historique et inspirante à plus d’un titre. En ce jeudi 11 novembre, à Lausanne, la secrétaire syndicale d’Unia, Tamara Knezevic, ne cache ainsi pas sa joie d’accueillir trois militantes de la CGT-HPE (syndicat des hôtels de prestige et hôtels économiques). Organisée par le comité hôtellerie-restauration Unia Vaud, la conférence a attiré un large public.
Sylvie Eper Kimissa a commencé par expliquer son travail de femme de ménage à l’hôtel Ibis Batignolles, dans le 17e arrondissement de Paris, avant que la lutte ne commence en juillet 2019. «C’était très dur. On avait 17 minutes pour faire une chambre!» (Lire ci-dessous.)
Face à une situation intenable en termes de rythme de travail et de salaire, des travailleuses prennent contact avec le syndicat CGT-HPE qui a déjà plusieurs victoires à son actif. «Les trois syndicats sur place ne faisaient rien pour nous. On ne savait même pas que le paiement à la chambre était illégal. Nous sommes donc aller voir la CGT-HPE», raconte Sylvie Eper Kimissa. L’organisation se montre alors prête à soutenir la lutte si le taux de syndicalisation est d’au moins 50%. «Cela montre le degré de détermination des travailleuses. Le rapport de force est essentiel», explique Tiziri Kandi, secrétaire syndicale.
En dents de scie
Le 17 juillet 2019, la grève est lancée. Le début des vacances ne joue pas en la faveur des militantes, mais le peu d’actualités oui. La lutte est médiatisée. Le viol d’une femme de chambre par un ancien directeur de l’hôtel dénoncé. «Cela m’a choquée, car on était ici face à un crime», souligne Tiziri Kandi. Les collectifs féministes soutiennent dès lors le mouvement. D’autres organisations, notamment antiracistes, les rejoindront. «Mais cela n’a pas été facile. Des syndicats corrompus étaient contre nous. La CGT nous a mis des bâtons dans les roues», ajoute Tiziri Kandi. «Dix femmes sur 34 ont quitté le mouvement à la suite des pressions», se souvient Rachel Raïssa Keke. La division entre les employées qui travaillent et les grévistes s’amplifie. «Nous étions les gens d’en bas, au pied de l’hôtel, et, elles, les gens d’en haut», ajoute Sylvie Eper Kimissa, qui souligne la grande solidarité entre les combattantes. «On est devenu comme une famille, avec nos querelles aussi souvent liées à la fatigue. Tous les jours, de 9h à 16h environ, on cherchait des techniques pour tenir. Danser contre le froid par exemple. Pour nous, il était clair que soit on gagnait soit on démissionnait!»
Caisse de grève et RHT
Fin novembre 2019, les grévistes sont au bout du rouleau. «La caisse de grève était quasi vide, car on versait 42 euros par jour d’indemnités, quand les manifestations contre la réforme des retraites ont commencé. Nous y avons alors participé avec nos caisses de solidarité autour du cou. A chaque manif, on revenait avec environ 3500 euros!» relate Tiziri Kandi, pour qui l’argent est le nerf de la guerre et la convergence des luttes essentielle. «Si la lutte reste syndicalo-syndicale, tout le monde s’en fout. Or, notre grève soulevait des problèmes politiques.» «A l’occasion d’Halloween, avec nos camarades sans-papiers, nous étions toutes déguisées en fantômes, illustre Rachel Raïssa Keke. On a utilisé des draps d’hôtel pour montrer notre invisibilisation.»
Reste que les négociations n’avancent pas avec la société STN, sous-traitant du groupe hôtelier Accor. En février 2020, le donneur d’ordre est toutefois prêt à venir à la table des négociations. Mais le Covid s’invite dans la bataille. Juste avant que l’hôtel ferme ses portes, la grève est suspendue. «Cela leur a permis d’être incluses dans le plan de chômage partiel», explique Claude Lévy, cofondateur de la CGT-HPE, présent dans la salle. Mais dès que la situation sanitaire le permet, les activistes reprennent leurs manifestations dans la rue.
Victoire syndicale
Le 25 mai 2021, un accord est enfin conclu. C’est le triomphe de vingt femmes de ménage, immigrées d’origine africaine, contre AccorInvest, filiale d’Accor, l’une des plus grandes multinationales hôtelières du monde. Elles obtiennent pour la soixantaine de salariées: le paiement au temps de travail et non à la tâche, le passage à 3 chambres par heure (plutôt que 3,5), la mise en place d’une pointeuse, la prise en compte des heures supplémentaires et du temps d’habillage dans les horaires de travail, un supplément de 7,30 euros pour le panier-repas, des requalifications qui entraînent des augmentations de salaire allant de 250 à 500 euros... Seul bémol: la fin de la sous-traitance n’a pas (encore) été obtenue.
«La lutte paie! Je ne nous appelle pas les grévistes, mais les victorieuses!» s’exclame Rachel Raïssa Keke. Tiziri Kandi ajoute: «Même si Accor n’a pas intérêt à revoir des manifs devant ses hôtels, nous devons rester attentives, rappeler régulièrement les engagements pris et tout contrôler. Par exemple, la badgeuse ne marchait pas jusqu’en septembre; et nous sommes intervenues pour défendre une ancienne gréviste ayant reçu un avertissement.» Et de conclure: «Cette victoire ne doit pas mythifier notre lutte, mais en inspirer d’autres. Comme les patrons s’internationalisent, nous devons aussi le faire, et c’est pour cela qu’il est important de créer des liens avec des syndicats d’autres pays.» C’est avec cet espoir et sous des applaudissements nourris que la conférence s’est achevée.