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Les délégués syndicaux fourbissent leurs armes pour les négociations salariales

Personne dans une salle de cours.
© Thierry Porchet

Cette année, avec les droits de douane américains et les incertitudes qui planent sur l’économie, négocier des augmentations de salaires sera encore plus ardu que d’habitude. D’où l’importance de bien se préparer.

 

Comme chaque année à cette saison, Unia donne des cours sur l’art de la négociation aux membres de commissions du personnel. Reportage.

«La négociation est une science», lance Raphaël Thiémard, responsable du secteur horloger chez Unia, devant une trentaine de délégués syndicaux. Mieux vaut donc s’initier à cette science avant d’aller affronter sa direction pour réclamer des augmentations de salaires. «C’est souvent dans la première demi-heure que cela se joue. Si vous êtes bien préparés, ça déstabilise les patrons, car en général ils vous sous-estiment.»

Comme chaque année à la saison des négociations salariales, Unia organise dans toute la Suisse une série de cours à l’intention des commissions du personnel (CoPe). L’une de ces formations a eu lieu le 19 septembre dans les hauts de Lausanne, pour des délégués et des déléguées de l’industrie MEM (machines, équipements électriques et métaux) venus de toute la Suisse romande. 

Un contexte particulier

L’enjeu ne change guère au fil des ans: préserver – voire renforcer – le pouvoir d’achat des travailleuses et des travailleurs face à l’augmentation du coût de la vie et à la traditionnelle hausse des primes d’assurance maladie. Mais cette année, avec les droits de douane américains et les incertitudes qui planent sur l’économie, la tâche sera encore plus ardue que d’habitude. Il est donc plus que jamais nécessaire de fourbir ses armes.

Raphaël Thiémard rappelle quelques règles de base, tirées de sa propre expérience: «Tout d’abord, vous devez commencer par consulter le personnel pour définir vos revendications. Cela vous permettra également de montrer à la direction que vous n’êtes pas seuls, que les collègues sont derrière vous. Car pour négocier, il ne suffit pas d’avoir raison, il faut aussi avoir un rapport de force favorable.»

De plus, il est essentiel de tenir un procès-verbal, afin de garder une trace de ce qui a été dit. «Récemment, je me suis trouvé face à une direction qui proposait soudain une augmentation moins importante que ce qu’elle avait évoqué dans une précédente séance, raconte Raphaël Thiémard. On leur a ressorti le procès-verbal et ils ont dû s’incliner.» 

Par ailleurs, pour disposer d’arguments solides en faveur d’augmentations de salaires, il est nécessaire de bien connaître la situation financière de son entreprise. Tant la Convention collective de la branche que la Loi fédérale sur la participation stipulent que les entreprises doivent fournir aux représentants du personnel toutes les données utiles à la négociation. Certaines rechignent à le faire, mais Unia recommande vivement d’insister, car c’est un droit inaliénable. «Pour moi, si la direction refuse, c’est qu’elle n’a pas envie de négocier», estime un des participants au cours. 

Maël Mühlemann, économiste à Unia, explique qu’il y a également d’autres sources d’information: «Les entreprises cotées en Bourse ont l’obligation de publier un rapport annuel. Sinon, on peut trouver beaucoup de renseignements dans les médias ou sur des bases de données officielles. Et il est aussi important de se parler entre collègues, car chacun, dans son domaine, possède des informations sur la marche des affaires. Enfin, beaucoup d’entreprises font réaliser des audits externes pour savoir où elles se situent par rapport à la concurrence, en termes de salaires. Cela aussi vous pouvez exiger d’y avoir accès.»

Une conjoncture pas si mauvaise

L’économiste dresse un rapide tableau de la situation actuelle. Selon lui, les rapports annuels des entreprises cotées en Bourse au sein de Swissmem, l’association patronale de la branche, montrent que les chiffres d’affaires et les commandes sont moins mauvais que ce qu’affirment leurs dirigeants. Quant aux droits de douane américains, il convient d’examiner cela au cas par cas: «Même dans les entreprises qui ne sont pas directement touchées, des patrons utilisent cet argument pour dire qu’ils ne peuvent pas accorder d’augmentations de salaires. Mais en général, la situation est moins grave qu’ils ne le prétendent. C’est seulement quand les exportations vers les Etats-Unis représentent plus de 20% du chiffre d’affaires que cela devient problématique. Mais dans l’industrie MEM, on est entre 5,9% et 10%.»

Maël Mühlemann se penche plus en détail sur les résultats des entreprises dont des membres des CoPe participent au cours, expliquant quels chiffres sont importants et comment les interpréter. Il souligne entre autres l’évolution des salaires de certains CEO, dont l’un a vu sa rémunération grimper de 22% en un an, ce qui représente une hausse de plus d’un million de francs à l’année. «Donc, les augmentations de salaires sont possibles!» ironise-t-il. A côté de cela, les 2,5% d’augmentation générale que revendique Unia ne semblent pas démesurés…

Et il n’y a pas que les patrons, les actionnaires aussi sont choyés: «Leurs dividendes augmentent chaque année sans qu’ils aient besoin de le demander. Alors que la productivité s’est accrue de 10,5% en dix ans dans l’industrie MEM, la valeur ajoutée créée par les employés n’est pas redistribuée, déplore l’économiste. Si on tient compte de l’inflation, la majorité des salaires sont plus bas qu’en 2016. Il y a un besoin de rattrapage évident.» Et cela serait sans doute encore plus flagrant si l’Indice suisse des prix à la consommation prenait en compte les primes d’assurance maladie. Mais ce n’est pas le cas, même si c’est un vieux cheval de bataille des syndicats. 

Ne pas céder à la pression

Pour conclure, Raphaël Thiémard conseille aux membres des CoPe de ne jamais prendre de décision hâtive et de ne surtout pas céder aux pressions du genre «c’est à prendre ou à laisser» et «c’est maintenant ou jamais». «Si vous obtenez un résultat, ne signez rien tout de suite. Rappelez à la direction que vous devez d’abord le faire valider par le personnel. Et si vos collègues n’en sont pas satisfaits, il faut reprendre les négociations.»

Mais plusieurs participants au cours racontent s’être retrouvés face à un mur, avec des patrons qui ne voulaient rien lâcher. «On nous répond: si vous n’êtes pas contents, allez voir ailleurs», témoigne un Genevois. «En cas d’impasse, répond Raphaël Thiémard, vous avez le droit de demander que le syndicat intervienne.» Il n’est pas forcément facile de faire le pas, et de durcir ainsi le ton des discussions, mais Maël Mühlemann considère que ça en vaut la peine: «L’an dernier, l’une des CoPe qui avait obtenu la plus importante augmentation de salaires avait fait appel à Unia.» 

A l’issue de cette demi-journée de formation, les participants se sentent mieux armés pour partir au front. «Je suis ces cours chaque année, confie une déléguée. Cela nous donne des arguments pour justifier nos prétentions.» Un membre d’une autre CoPe confirme: «Les directions sont bien préparées, mais nous, on n’est pas des économistes. C’est notre responsabilité envers nos collègues de nous former pour négocier.» 

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