Pour un système alimentaire juste et durable
Face aux marges faramineuses et opaques de la grande distribution sur les produits agricoles, Uniterre lance une campagne pour des prix équitables
Jeudi 17 août, sur la Place fédérale, Uniterre a lancé sa campagne «Des prix équitables, maintenant!» avec le slogan «Les paysans et les paysannes se font rouler dans la farine». Et avec eux, les consommatrices et les consommateurs.
Appuyée notamment par des associations de petits paysans et de soutien au lait équitable, ainsi que par le collectif Grondements des terres et le CETIM, l’organisation paysanne indépendante a dénoncé les marges indécentes de la grande distribution aux dépens des producteurs et des consommateurs. «La durabilité économique des domaines agricoles est une condition sine qua non pour un système agroalimentaire durable!» souligne Uniterre, qui dénonce le duopole Coop et Migros qui contrôle près de 80% du commerce de détail. L’organisation s’insurge contre une fixation des prix opaque et demande aux autorités d’intervenir pour réglementer le marché afin de protéger le monde agricole et les citoyens.
Le pain au cœur de la politique
Uniterre concentre sa campagne de sensibilisation sur la filière du blé panifiable, le pain étant un aliment de base essentiel et «un reflet de nos choix politiques». «Ce n’est pas de l’utopie d’exiger des prix équitables. Ce qui est utopique, c’est de penser que les choses vont évoluer positivement toutes seules, que le marché va tout régler. Ça n’a jamais été le cas et ça ne sera jamais le cas», écrit l’organisation dans un communiqué.
Ses revendications: la prise en compte des coûts de production réels des denrées alimentaires; l’interdiction des pratiques commerciales déloyales, notamment celle d’acheter en dessous des coûts de production; l’élargissement des tâches de l’Observatoire des prix pour assurer une information claire et transparente tout au long des filières et le calcul des prix rémunérateurs; le renforcement du pouvoir de négociation des agriculteurs et des agricultrices; le développement de contrats obligatoires avec un prix rémunérateur minimal garanti couvrant les coûts de production, un préfinancement de la production et la surveillance du respect de ces contrats. Concernant plus spécifiquement la filière du blé panifiable, Uniterre demande: une protection douanière plus forte, car les producteurs sont sous la pression des importations bon marché; la fixation des prix avant le semis des cultures, en lien avec les coûts de production réels et non pas seulement un mois avant la récolte comme c’est le cas aujourd’hui; la transparence dans la provenance des farines et des produits pour les consommateurs, ainsi que dans les marges dégagées tout au long de la filière.
Initiatives parlementaires
Cet automne, deux initiatives parlementaires, déposées en septembre 2022, seront traitées au sein de la Commission de l’économie. La première, intitulée «Pour un observatoire des prix efficace dans les filières agroalimentaires», demande que les marges soient publiées à chaque étape et que tous les acteurs soient associés dans la négociation des prix. Elle est soutenue par des membres de différents partis, par la FRC, Uniterre et l’Union suisse des paysans. La seconde demande «un Ombudsman agricole et alimentaire», soit un organe de médiation indépendant afin de surveiller les pratiques et d’assurer des prix couvrant les coûts de production. Premier pas vers davantage de transparence?
Des paysans et des consommateurs roulés dans la farine
Dans son dossier de campagne, Uniterre rappelle en préambule que «la libéralisation des marchés agricoles, survenue dans les années 1990, a entraîné un rapport de force totalement déséquilibré: la grande distribution, du fait de son pouvoir démesuré, impose ses prix et perçoit des marges énormes sur le dos des producteurs et des productrices». Le système agricole dominant pousse à l’agrandissement des exploitations, à l’endettement et à la disparition d’une agriculture familiale. Le rapport de force est inégal, que ce soit dans la négociation des prix ou le partage des risques, puisque les paysans préfinancent la production et les risques durant la croissance (maladies, ravageurs, aléas climatiques de plus en plus intenses)… Concernant la filière du blé panifiable, l’organisation paysanne revient sur le développement au fil des années de semences répondant de plus en plus aux impératifs de l’industrie. Avec des conséquences néfastes pour les petits producteurs et les consommateurs: «De nombreuses variétés peuvent être déclassées en raison de leur teneur “trop faible” en gluten.» De quoi faire bondir les allergiques à ce mélange de protéines apportant viscosité et élasticité. De surcroît, si les importations de céréales sont encadrées par un régime de protection aux frontières (contingent fixé par la Confédération), celles des produits boulangers surgelés ne le sont pas. De surcroît, l’origine des marchandises n’est souvent pas déclarée. Résultat: le nombre d’agriculteurs suisses diminue (de 18615 en 2008 à 14500 en 2019), de même que les minoteries (143 en 1995 contre 39 en 2021), les boulangeries et autant d’emplois. Face à ce système agricole et commercial mortifère, Uniterre s’insurge contre les autorités politiques qui «préfèrent débourser de l’argent public au travers des paiements directs (donc nos impôts!) plutôt que de réglementer le marché». Et de conclure: «Si nous voulons assurer la sécurité alimentaire de notre pays et augmenter le nombre de personnes actives dans l’agriculture suisse, des prix équitables et rémunérateurs sont nécessaires et urgents.»