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«La souveraineté alimentaire est possible»

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© Andriamparany Rasamimanana

Betioky, dans le sud de Madagascar, est l’une des nombreuses communes où Action de Carême intervient pour soutenir paysannes et paysans.

L’ingénieure agronome malgache Diary Ratsimanarihaja est en visite en Suisse pour sensibiliser aux impacts des changements climatiques dans son pays et aux solutions qu’offre l’agroécologie

Dans le cadre de leur campagne annuelle, l’EPER et Action de Carême mettent en lumière la contribution de l’agroécologie à la justice sociale et environnementale. Jusqu’au 25 mars, une série de rencontres publiques et de visites dans des fermes sont proposées, mêlant acteurs locaux, spécialistes et, parmi eux, Diary Ratsimanarihaja, experte agronome et coordinatrice de projet à Madagascar pour Action de Carême. En visite en Suisse romande, elle témoigne de l’impact du dérèglement climatique dans son pays et des initiatives agroécologiques qui contribuent à défendre le droit à l’alimentation des populations locales. Rencontre.

Ce matin, vous étiez chez Pierre-Gilles Sthioul sur le domaine agricole de Praz Bonjour dans le canton de Vaud, qu’est-ce qui vous a frappé?

J’ai été impressionnée par sa reconversion, par le fait qu’il loue le terrain, utilise du matériel récupéré… Ce qui est ressorti de nos discussions, c’est, entre autres, un point commun entre Madagascar et la Suisse: les politiques agricoles ne sont pas pensées en faveur des petits paysans, mais pour les grandes entreprises et les grands distributeurs.

Pourquoi avoir choisi ce métier d’ingénieure agronome spécialisée en agroéconomie à Madagascar?

J’ai grandi en périphérie de la capitale Antananarivo. Je ne viens pas d’une famille paysanne, mais mon grand-père m’a transmis son amour du travail de la terre. Découvrir que 80% de la population malgache travaille dans l’agriculture, nourrit le pays, mais souffre paradoxalement de pauvreté et de famine m’a profondément questionnée. D’ailleurs, je me disputais toujours avec ma mère quand elle marchandait les légumes et les fruits au marché…

Pour vous, l’agroécologie soutient la petite paysannerie et peut répondre aux besoins alimentaires; ce que réfutent les défenseurs d’une agriculture industrielle?

Environ 80% de la nourriture produite dans le monde l’est par les petits agriculteurs, donc oui, c’est possible. De nombreux spécialistes l’attestent. On produit assez, mais le problème est la répartition. Les phytosanitaires affaiblissent la terre qui produit, au fil des ans, de moins en moins. Il faut alors encore plus d’engrais chimiques et de pesticides. Les coûts de production augmentent. Face au dérèglement climatique, l’agroécologie permet une plus grande résilience, et une indépendance vis-à-vis du marché, grâce à des techniques simples: se passer des intrants chimiques, privilégier une couverture végétale ou du paillage pour protéger la terre, utiliser l’association et la rotation des cultures, intégrer des arbres fruitiers qui offrent de l’ombre aux légumes qu’ont fait pousser en intercalaire, diversifier, ne pas abandonner la production alimentaire pour ne faire que des cultures de rente. Par exemple, ne pas compter à 100% sur l'argent que rapporte la vanille, dépendante du marché international, pour ensuite s'acheter de la nourriture.

Comment le dérèglement climatique affecte Madagascar, entre sécheresse et cyclones?

La saison des pluies qui devrait arriver en octobre ou novembre s’est maintenant déplacée à janvier, voire février. Les paysans ne se retrouvent plus dans le calendrier des cultures. La sécheresse est plus grande. Et les cyclones plus violents. Nous en avons eu deux récemment. Trois début 2022. Dans la majorité des cas, des inondations s’ensuivent détruisant cultures et infrastructures.

D’autres problèmes s’y ajoutent…

L’accès à la terre est problématique, car beaucoup de paysans n’ont pas les moyens de s’acheter des terrains ou leurs terres sont accaparées car, s’ils ont une reconnaissance légitime de leur usage par les gens du village, depuis plusieurs générations, ils ne sont pas légalement propriétaires. De plus, l’héritage familial est divisé de génération en génération entre les frères et les sœurs. Avec la croissance démographique, beaucoup de paysans n’atteignent même plus un hectare. Il y a aussi le problème des vols très nombreux de zébus, essentiels pour les paysans, car ce sont eux qui labourent les champs et amènent aussi une part des engrais nécessaires.

En quoi la pandémie, puis la guerre en Ukraine ont encore dégradé la situation?

Pendant le Covid, ce sont surtout les citadins qui ont eu du mal à s’approvisionner. Les paysans qui produisent localement leur nourriture sont plus indépendants et plus résilients face à ces crises. Avec la guerre en Ukraine, l’inflation est forte sur les biens importés. Le prix du riz a beaucoup augmenté. On importe cet aliment de base, alors qu’on pourrait être autosuffisant si la petite paysannerie était soutenue. Tout ça est très politique.

Comment envisagez-vous l’avenir de la paysannerie dans votre pays?

A Madagascar, 80% de la population est paysanne, 80% vit en dessous du seuil de pauvreté dont une majorité de familles rurales. Sur les 28 millions d’habitants, 8,8 millions souffrent de l’insécurité alimentaire. Au travers de mon métier et de mon travail pour Action de Carême depuis 2017, je souhaite apporter ma petite contribution. Ce qui me donne espoir, c’est que, localement, les petites paysannes et paysans voient leur production augmenter en quantité, en qualité et en diversité grâce à l’agroécologie. Dans les zones très sèches où règnent famine et sécheresse, des puits et des forages ont été créés avec la Swiss Water and Sanitation Consortium soutenue par la Direction du développement et de la coopération (DDC). Sur place, nous travaillons avec sept organisations partenaires et touchons directement plus de 127000 femmes et plus de 103000 hommes. S’ajoutent indirectement les membres de leur famille, de leur communauté. Toutes ces personnes témoignent que leur vie s’améliore. Si elles pouvaient augmenter un peu leur superficie, Madagascar pourrait être autosuffisante. La souveraineté alimentaire est possible. C’est ce qui me motive à continuer.

Programme complet des tables rondes et des activités (inscriptions nécessaires pour certaines rencontres) sur: voir-et-agir.ch/events

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