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Invisibles, sans droits, mais nécessaires à l’économie

File d'attente pour obtenir un colis alimentaire.
© Thierry Porchet

La pandémie a mis en lumière la vulnérabilité des personnes sans statut légal, comme ici à Genève en mai 2020, et ouvert une fenêtre historique et politique sur la thématique au niveau européen.

La conseillère nationale socialiste Ada Marra a rédigé, pour le compte du Conseil de l’Europe, un rapport sur la situation des travailleurs sans papiers. Et dénonce l’hypocrisie du système. Interview

L’Europe compte quatre à cinq millions de personnes sans papiers dont un grand nombre d’entre elles travaillent. Cette main-d’œuvre invisible, sans droits, court un risque élevé d’abus en tous genres malgré différents traités internationaux et législations. La conseillère nationale socialiste Ada Marra s’est penchée sur leur situation. Elle a aussi examiné des exemples de bonnes pratiques dans certains pays qui ont mis en place des programmes de régularisation partielle ou promu d’autres facilités administratives et leurs effets positifs sur les conditions d’existence des migrants. Le rapport exhorte les Etats membres du Conseil de l’Europe à améliorer l’accès des sans-papiers à la justice et aux droits socioéconomiques.


Pourquoi avoir rédigé ce rapport?

Ce sujet entre clairement dans les thématiques mobilisant le Conseil de l’Europe, principale organisation de défense des droits humains du continent. Il concerne quatre à cinq millions de personnes qui, sans permis de séjour, sont encore plus exposées que les autres aux violences d’un marché du travail sous pression, et aux risques d’abus. La pandémie de Covid a aussi ouvert une fenêtre historique et politique, mettant en lumière la vulnérabilité de cette population qui, sans aide étatique officielle, a subi de plein fouet la crise sanitaire. Nous gardons tous en mémoire les files de personnes patientant pour recevoir un sac alimentaire.

Quels pays les sans-papiers privilégient-ils et quelle est leur trajectoire migratoire?

La moitié d’entre eux vit au Royaume-Uni et en Allemagne. En Suisse, ils sont au nombre de 70000 à 100000. Quant à leurs trajectoires, elles varient. Certains sont arrivés en Europe avec un visa et ne sont pas repartis à son expiration. D’autres ont été déboutés de l’asile mais restent quand même. Une troisième catégorie possédait peut-être un permis de séjour et un contrat de travail temporaires et ont vu leur situation changer à la perte de leur activité. Certaines personnes rejoignent aussi l’Europe dans le cadre de regroupements familiaux et ne retournent pas dans leur pays lorsque des changements de la structure familiale interviennent, etc. Quoi qu’il en soit nombre de ces personnes vivent en Europe depuis de longues années. On est parfois face à une deuxième génération de sans-papiers.

Dans quels domaines travaillent essentiellement ces invisibles comme vous les nommez?

On les trouve dans l’agroalimentaire comme dans la production de fruits et légumes en Espagne ou en Italie. Beaucoup de personnes travaillent aussi dans l’économie domestique (femmes de ménage, gardes d’enfants, de malades), dans la restauration et dans les professions du sexe. Les sans-papiers sont aussi souvent actifs dans l’économie de plateforme. On en compte encore dans l’industrie de la pêche en particulier en Angleterre et en Irlande. Ces marins disposent de visas pour naviguer en eaux internationales mais n’ont pas le droit, au port, de sortir du navire. Mais tous les pays connaissent le phénomène des sans-papiers. Avec des abus dans les conditions de travail mais aussi de logement et de conditions de vie.

Quels risques encourent les sans-papiers?

Ils sont menacés de traite des êtres humains. Ils sont souvent exploités par des employeurs qui ne les déclarent pas ou qu’en partie, qui leur versent des salaires totalement insuffisants et ne respectent aucune condition de travail décent. Les sans-papiers n’ont pas les moyens de se défendre face à des abus dans plusieurs domaines, au travail bien sûr, mais aussi en matière de logement, d’accès aux soins médicaux de base, etc. Dans les cas extrêmes d’exploitation, il y a toute une structure de chefs et de sous-chefs, souvent des migrants eux-mêmes, qui organisent, surveillent et punissent les travailleurs dans les champs ou des ateliers clandestins.

Dans tous les cas, les sans-papiers n’osent généralement pas recourir à la justice en raison de leur situation irrégulière, craignant de se faire expulser ou des représailles.

Quel regard posez-vous sur la situation générale des sans-papiers?

On a affaire, en Europe comme en Suisse, à l’hypocrisie d’un système dont des pans entiers de l’économie reposent sur les sans-papiers. Un système globalisé avec pour seul objectif une baisse des coûts et une maximisation des profits. Cette pression s’exerce sur tous les salariés, indépendamment de leur statut, mais de manière encore plus délétère pour les personnes sans permis de séjour. Derrière chacune d’entre elles se trouve un employeur portant une large responsabilité de cette situation.

Comment mettre un terme aux abus?

Il faut permettre aux sans-papiers de bénéficier de droits socioéconomiques, d’accéder à la justice et à la santé. Un accès limité à la protection sociale entraîne un risque élevé de grande précarité. Ceux qui dénoncent des abus doivent en outre bénéficier de la garantie de ne pas être expulsés et obtenir un permis de séjour, même temporaire. Aujourd’hui, dans plusieurs pays, les données de plaignants sont transmises aux services de migration. On punit les abusés! En Suisse, quand une affaire dénoncée relève du civil, il n’y a pas d’obligation de partager les informations. Dans le pénal, en revanche, c’est différent. Reste que la règle est diversement appliquée et dépend beaucoup des personnes. Nous demandons qu’il n’y ait pas de croisement des données.

Faut-il régulariser les sans-papiers?

Nous plaidons pour une régularisation des sans-papiers sur la base de critères clairs et de procédures simplifiées afin de leur permettre d’accéder aux droits fondamentaux, de mettre fin à l’intolérable d’une précarisation de vie continuelle et pour lutter contre le travail non déclaré. La démarche de régularisation devrait être effectuée par le travailleur et non par l’employeur afin d’éviter les risques de marchandage. Le programme Papyrus qui a été mis en place à Genève, est un exemple positif. L’opération a permis de régulariser, entre 2017 et 2018, 1663 adultes et 727 enfants et a rapporté environ 5,2 millions d’euros aux assurances cantonales fin 2019. Dommage qu’elle n’ait pas été étendue à toute la Suisse.

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