Témoignages de visiteurs à l’issue de la Journée
Janine Worpe, retraitée, Bienne
«J’ai été enseignante pendant 42 ans. Forcément, j’ai eu des élèves italiens et espagnols. Mais ce qui me revient aujourd’hui, ce sont surtout des souvenirs de mon enfance. Mon père était paysan à Crémines, nous vivions très simplement. Il avait dû engager un saisonnier, Angelo, du sud de l’Italie. On avait aménagé une chambre dans un petit atelier. Entre nous, on parlait de “l’Italien”, mais je crois qu’avec mon frère et ma sœur, on lui disait “Monsieur”. Durant les repas, nos parents nous mettaient en face de lui pour qu’on essaie de lui parler. Vers mes 13 ans, ils m’ont incitée à apprendre l’italien pour mieux communiquer avec lui. Une fois, il n’avait pas pu repartir en hiver. Il a fêté Noël avec nous. C’était assez surprenant, le sapin, les chants, ma mère au piano, le feu. Et lui qui était associé à ce moment. Peut-être avait-il une femme, des enfants?
Une autre chose me revient en mémoire: en 1971, il y a eu l’initiative Schwarzenbach. J’avais tout juste le droit de vote et j’étais mariée depuis huit ans. Avec mon mari, nous avons souffert de cette haine. Nous avons voté contre. Nous avons été soulagés qu’elle n’ait pas passé. Après coup, j’ai ressenti de la honte que l’on ait dû voter pour ça.»
Betty Monnier, retraitée, Nidau
«J’ai été élevée dans le Seeland. Je vois encore ces baraques de saisonniers, ça me faisait pitié. Je garde le ressenti de ce qui se passait, la rigidité avec laquelle on a appliqué la loi. Cette exposition me rappelle mon enfance, dans la pauvreté. Ma maman était fille-mère. La rigidité, je l’avais vécue dans son ventre. On lui disait: “Tu accouches là, tu vas là, tu fais ça.” Ma profonde tristesse en ce moment, c’est que cette expo fait ressurgir tout ce que j’ai vécu en tant que “fille suisse”. Je suis venue la voir pour combler des trous de connaissance. Cette question des saisonniers m’a toujours intriguée. Quand j’ai eu 16 ans, les paysans qui m’avaient hébergée après ma scolarité m’avaient envoyée au petit magasin du village. Là, un Italien, tout sourire, a demandé des spaghettis. Je me souviens parfaitement de cet instant. On lui a répondu sur un ton agacé: “Quoi? On n’a pas de spaghettis!”
Adolescente, j’avais en moi un sentiment de justice très aiguë. Probablement aussi une sorte de peur de cette culture étrangère. Mais en même temps, une curiosité de jeune être qui voit qu’il y a autre chose que des paysans. Bien sûr, on se faisait siffler par les saisonniers. Ces sifflements, ça agaçait les hommes suisses! Les étrangers n’avaient pas le droit de chanter sur les chantiers. Pourtant, ça fait partie de la joie de vivre. Pour moi, c’était une monstre injustice.»
Idriss, Erythréen, logisticien à Bienne
«Quand on voit ce que les saisonniers ont vécu à l’époque, on se dit que c’est mieux maintenant. J’ai appris beaucoup de cette exposition. Il faut faire plus pour améliorer la situation des migrants. J’en fais partie et je m’engage pour l’intégration. J’ai 33 ans, je travaille dans la logistique. Il y a huit ans, j’ai obtenu l’asile et un permis. J’aimerais me naturaliser, mais la loi est très dure. Le fait d’avoir un passeport nous aiderait pour le futur, pour trouver un autre travail, voyager. Sans passeport, notre liberté est entravée.»
Ahmed, Erythréen, aide-soignant, Bienne
«Dans l’exposition, il y a une chose avec laquelle je suis d’accord, c’est la visite médicale. Je suis aide-soignant dans un home. Je sais que les maladies peuvent se transmettre facilement. J’ai aussi dû faire une radio à mon arrivée en 2010. Par contre, la manière d’entasser les gens comme du bétail à l’époque est inacceptable. Nous sommes des humains! Depuis que je suis là, j’ai appris la langue, fait un apprentissage et obtenu le permis C. J’ai demandé la nationalité, mais elle m’a été refusée, car j’ai touché une aide pour les cours de langue. Ça m’a choqué. Comment s’intégrer sans connaître la langue? Je dois attendre encore deux ans pour arriver aux dix ans requis sans soutien financier... Une amie a obtenu sa naturalisation après trois ans sans aide dans le canton de Vaud. On est en Suisse, pourquoi la loi n’est-elle pas la même partout?»
Ellen Sow, étudiante
«Je suis Française, d’origine sénégalaise. J’effectue un master en études africaines à Bâle. Depuis un an, avec deux autres étudiantes, nous nous intéressons au statut de saisonnier en Suisse et nous le comparons avec celui de la Namibie pendant l’apartheid. Ces deux statuts sont très similaires. Nous préparons une publication pour l’année prochaine. Un chapitre portera sur le souvenir et la mémoire collective de ces statuts. On essaie de voir comment cette période a été retenue dans la mémoire suisse. On a vu un grand intérêt des gens dans cette exposition. Il est positif que cette histoire qui a été mise de côté revienne dans le débat public.»