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«L'inactivité est un but dans ma vie»

Maxime Sacchetto bouillonne de projets. Pourtant, comme le personnage de son dernier roman qui y arrive mieux que lui, son idéal serait de ne pas en faire trop.
© Olivier Vogelsang

Maxime Sacchetto bouillonne de projets. Pourtant, comme le personnage de son dernier roman qui y arrive mieux que lui, son idéal serait de ne pas en faire trop. 

Archéologue, romancier, poète, musicien, militant, créateur de collectifs... Maxime Sacchetto est un homme pluriel aux multiples projets qui échoue à échapper au «libéralisme et à sa suractivité»

Côté pile, Maxime Sacchetto est un archéologue. Côté face, c'est un artiste et un militant engagé dans tellement de projets qu'il faudrait une pièce à vingt faces pour en faire le tour. D'ailleurs, pas sûr qu'il se retrouverait dans l'image d'une pièce lui qui est attentif, avant la rémunération d'un projet, à son sens et aux rencontres qu'il permet. On tenterait bien celle d'un réseau mycorhizien pour décrire l'environnement de cet homme pluriel – un réseau où l'art serait l'instrument de la symbiose entre lui et les humains qui l'entourent. Tout comme le champignon relie entre elles des plantes via leurs racines et leur permet de se nourrir mutuellement, de se stimuler et d'être plus fortes.

Dès son diplôme de l'Université de Lausanne en poche, Maxime Sacchetto a su que la musique et l'écriture prendraient plus de place dans sa vie que l'archéologie qu'il limite, volontairement, à de petits mandats «pour ne pas tomber dans un rythme qui ne me laisserait plus de temps pour imaginer. L'inactivité, c'est un but dans ma vie. Mais j'y arrive moyen...», sourit le chercheur de 28 ans, qui se qualifie d'idéaliste. Il n'imagine pas travailler comme salarié huit heures par jour. «Ça tuerait ma créativité!» Pourtant, ses tentatives pour échapper «au libéralisme et sa suractivité» échouent sur ses mille et un projets. Au point que parfois, quand il regarde sa vie, elle lui fait penser «à un tableau Excel, avec des listes de tâches à faire». 

Le personnage de son premier roman, Jacques est sur le parking, réussit là où l'auteur échoue: il ne fait rien, mais vraiment rien. Il se contente de vivre et d'errer sur un parking d'autoroute. Le roman est d'abord lumineux, puis de plus en plus sombre, pas comme la vie de Maxime Sacchetto qui, malgré «le regard assez négatif» qu'il porte sur le monde actuel, garde foi en l'humain. Il regrette juste que ses journées, trop courtes, lui donnent le sentiment de ne pas prendre assez de temps «pour être tranquille». Lui qui travaille sans plan, en se laissant guider par l'écriture, doit parfois courir les jobs alimentaires. Cette année, une bourse d'écriture lui donne une stabilité financière qui libère sa créativité. «En 2023, j'étais plus stressé: la recherche constante d'argent est une charge pour la création», observe l'artiste.

Un poème par jour

Le sentiment de ne pas avoir assez de temps s'atténue quand il voyage. Il se sent plus en phase avec l'instant, moins enfermé dans les cellules d'un tableau. Et il écrit, surtout de la poésie. Lors d'un séjour de trois mois en Amérique du Sud, il s'est astreint à écrire un poème par jour. Il est rentré avec deux recueils. Il cherche un éditeur pour le second et a autoédité le premier avec Mélusine, un des nombreux collectifs dont il est membre, qui vise l'édition et l'impression. «Si on maîtrise tout le processus de création, on peut rester pur dans sa pratique. Le DIY (Do it Yourself, «faire soi-même», ndlr) permet de faire moins de compromis», insiste le créateur, qui a aussi milité «à 200%», dans l'enthousiasme de l'année 2019, avec XR et d'autres collectifs.

Pour Maxime Sacchetto, le collectif ça commence dès le petit-déjeuner, qu'il partage avec l'un ou l’une de ses colocataires d'une maison à Pully, dont sa copine fait partie. Les huit habitants mutualisent le frigo, les courses, la préparation des repas, ce qui leur permet de vivre avec des budgets modestes. La terrasse domine un petit jardin de ville avec potager et poulailler. Lui a grandi dans la campagne vaudoise – il en apprécie «les mentalités chaleureuses» – et se verrait bien retrouver le calme des champs pour se délaisser du superflu. En attendant, il s'occupe des quatre poules.

Label musical 

Partage et horizontalité sont aussi des maîtres-mots dans ses projets professionnels. En 2017, il crée le label indépendant Table Basse Records pour produire du rock mais aussi de la musique aux frontières de la poésie, de l'électronique et du slam. «Un label, à l'ère du streaming, c'est un truc de niche», déclarait-il à 20 minutes en 2022. Pour lui qui voit dans l'anarchisme un idéal de liberté, ce genre de contre-modèle a une dimension politique. «On y vit des relations de vis-à-vis plutôt que hiérarchiques. J'aime les collectifs ouverts, comme la revue littéraire fribourgeoise L'Epître. On y transmet une vision, des outils pour aider les gens.»

La transmission, Maxime Sacchetto semble être doué pour ça, à en croire Victor Joyet: «Maxime était un ami d'enfance de mon grand frère. J'aimais son côté underground. Il m'a éduqué à la musique rock et c'est à lui que j'ai envoyé mes premiers textes. J'ai été impressionné par son premier voyage, en Amérique latine.» Quand on se parle au téléphone, Victor Joyet se trouve en Argentine, sur les traces de son mentor dont il a lu presque tous les poèmes – des textes qui jaillissent «de l'expérience d'un moment d’accalmie dans la vie hyperactive de Maxime» que son ami décrit comme «hyperhumble, pourtant il inspire plein de personnes sur la scène culturelle de Lausanne».

Avec La Poésie du kebab, projet piloté par la revue L'Epître, Maxime Sacchetto et une dizaine d'autres auteurs et autrices ont animé plus de 300 ateliers dans des classes d'ados de Suisse romande. Avec le Collectif A5, il va actuellement à la rencontre du quartier Pierre-de-Savoie, à Yverdon, accompagné d'Alice Kübler et de Numa Francillon, pour écrire avec les habitants dans le cadre du projet Bloc-notes. «Un collectif d'artistes, ça donne plus de moyens. C'est aussi assez cool de ne pas être toujours seul dans son coin», détaille le médiateur culturel.

L'écriture est surtout une ressource, au point que «si, pendant trois semaines, je ne peux pas écrire je sens intérieurement que ça ne joue plus.» Elle lui permet d'explorer des territoires intérieurs dont il n'avait pas conscience. «En partant de ce truc personnel, je touche à l'universel, analyse l'écrivain. C'est proche de l'archéologie: on part de l'individuel pour aller vers le collectif.»


A lire: Jacques est sur le parking, Presses littéraires de Fribourg, 2023.

A écouter: sa musique sur mx3.ch