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«C’est déjà une victoire pour Jessica d’être arrivée jusque-là»

action syndicale devant le Tribunal
© Olivier Vogelsang

Une action de soutien à la victime a été menée devant le tribunal le 13 octobre. 

Clap de fin sur le procès intenté contre Five Guys pour avoir manqué à son obligation de protéger son employée, victime de harcèlement sexuel. Retour sur les plaidoiries.

Le 13 octobre a eu lieu l’ultime audience dans le procès qui oppose Jessica* à son ancien employeur, l’entreprise Pastem SA, qui exploite le fast-food Five Guys à Genève. L’heure était aux plaidoiries, en présence de plusieurs dizaines de personnes venues soutenir la plaignante. 
Ses avocates ont ouvert le bal, en rappelant leur requête, à savoir une indemnité de plus de 43 000 francs équivalant à six mois de salaire suisse moyen, comme le prévoit la loi sur l’égalité en cas de harcèlement sexuel. Elle demande par ailleurs 5000 francs pour tort moral, et environ 16 800 francs pour dommages et intérêts, qui sont justifiés par le manque à gagner chaque mois depuis sa démission et jusqu’au début du procès.
«Il ne s’agit pas seulement de l’histoire de Jessica mais aussi de celles de ses collègues et de toutes les femmes qui ont du se taire, commence Maître Debernardi, qui ajoute qu’au vu du nombre de personnes présentes dans la salle et de l’intérêt que cette affaire a suscité, Jessica n'est pas un cas isolé mais le reflet d’une réalité sociale. «Les chiffres montrent que plus de la moitié des travailleurs atteste avoir subi un comportement de harcèlement au travail, et l’hôtellerie-restauration est l’un des trois secteurs les plus touchés.» Ce contexte sociétal ne peut être laissé de côté, selon l’avocate, qui salue le courage de Jessica de se confronter à une multinationale, dans ces grandes salles de tribunal, en présence du public et des médias.
Ce procès doit servir d’exemple. «Encore trop d’employeurs ne savent pas ce qu’est le harcèlement sexuel et ce qu’il provoque chez les victimes», poursuit-elle.

Élément déclencheur
Pour elle, tous les problèmes rencontrés par sa cliente sont en lien avec le harcèlement sexuel qu’elle a subi et le manque de soutien de sa direction: sa dépression, sa démission et sa réorientation. «L’employeur a violé ses obligations de manière crasse et doit être sanctionné pour cela. Ces agressions ont laissé des traces qui ont eu un impact important sur son avenir et sa santé. Aujourd’hui à l’Hospice général, elle fait tout pour quitter définitivement la restauration.»
Maître Moreau, son autre avocate, explique qu’il existe deux formes de harcèlement sexuel, souvent difficiles à prouver, et démontre que Jessica a été confrontée aux deux. «Il y a eu les insultes, les questions déplacées sur son intimité ou sa sexualité, les blagues sexistes, les remarques sur ses seins, qui font partie des comportements non désirés. Et puis il y a l’environnement général, hostile aux femmes, confirmé par les témoignages qui rapportent une ambiance machiste, des frottements, des câlins et des baisers forcés. La direction a pu déclarer dans ce tribunal que les blagues grivoises, il y en a dans toutes les cuisines. Il y a donc clairement une banalisation de ces comportements.»

Peut beaucoup mieux faire
Est-ce que l'entreprise Pastem SA a agi comme elle le devait? A-t-elle pris assez de mesures de prévention? Pour l’avocate, l’action de la société est largement insuffisante. «Que ce soit à l’ouverture du restaurant, à la nomination des managers, à la promotion des employés ou quand ma cliente se fait agresser, rien n’est mis en place en matière de prévention au harcèlement. Et après l’intervention d’Unia, il n’y aura toujours rien de concret. La direction et les managers ne font rien quand elle se confie sur son agression et les personnes de confiance externes ne feront rien non plus. Aucune enquête ne sera menée, contrairement aux promesses faites à Unia. A chaque fois, il ne se passe rien… Ces employés, il aurait fallu les former, mettre fin à leurs comportements et les sanctionner, pas les promouvoir au rang de managers.»

Faux procès contre Unia
Five Guys, cette enseigne américaine qui fabrique les meilleurs burgers selon Barack Obama, a généré un chiffre d’affaires de plus de 1,6 milliard de dollars en 2018. «Cette chaîne internationale a manifestement les moyens de bien traiter ses collaborateurs et de les former correctement, soulève Maître Moreau. Or elle est ce qui est arrivé de pire à Jessica, qui a travaillé durant quatre ans dans un climat délétère, où elle a laissé sa santé et sa dignité. La défense fera sans doute le procès d’Unia, mais ce n’est pas au syndicat d’enquêter ni de protéger les travailleuses, mais bien à l’employeuse, qui a brisé toute une équipe de jeunes femmes. Ma cliente est abîmée mais elle est là, ce qui est arrivé doit être su. La procédure a été longue et douloureuse et c’est déjà une victoire pour Jessica d’être là. Elle s’en remet donc à votre justice pour que ce fardeau soit transmis à son employeuse.»

La défense minimise
De son côté, la défense a martelé le devoir de la Cour de se fier aux pièces du dossier exclusivement pour juger cette affaire. «Vous n’êtes pas là pour rendre justice de manière globale mais pour déterminer si Jessica mérite ce qu’elle demande», a déclaré Maître Baeriswyl, l’avocat de la défense, qui insiste sur les témoignages – notamment masculins – disant que l’atmosphère de travail était bonne. Et de minimiser sur l’ampleur des délits reprochés, soulignant que ces employés étaient «des jeunes gens» et qu’il apparaît qu’il s’agissait davantage de «jeux de séduction». «Sont-ils un problème en soi? Peut-être, mais on doit juger ici de harcèlement sexuel, ou non», insiste l’homme de loi.
Ce dernier souligne que les protocoles anti-harcèlement mis en place ont été validés par Unia. «C’est un peu fort de café de nous les reprocher!»

Verdict en 2026
Le verdict sera rendu dans plusieurs semaines voire plusieurs mois. Très touchée lors de l’audience, Jessica fond en larmes à la sortie du tribunal. Ce sont des larmes de joie et de soulagement. «Ça y est, c’est fini», lâche-t-elle, tout en remerciant chaleureusement le comité de soutien, le syndicat et ses avocates. «C’est un cas particulièrement grave, conclut Me Moreau. Jessica a été très courageuse et a apporté beaucoup de preuves. Nous avons donc bon espoir que le Tribunal lui donne raison.»

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