L’écrivain et homme d’Etat anglais Joseph Addison (1672-1719) a eu cette belle formule, très imagée, pour qualifier le septième jour de la semaine: «Le dimanche, disait-il, efface la rouille de la semaine.» Et il est vrai que les heures d’oisiveté que nous offre ce temps suspendu, durant lequel nous pouvons assouvir toute sorte de passions personnelles, nous consacrer aux besoins restés en souffrance, nous tourner vers nous-mêmes et vers nos proches, et bien, ces heures s’avèrent toujours providentielles. Car c’est à travers elles que nous rétablissons le bien-être physique et l’équilibre psychique mis sous pression durant le restant de la semaine, lorsqu’on est une personne active dans le monde du travail. Alors oui, on affirme par là une évidence, on assène une vérité établie depuis des siècles. Le temps libre recèle des vertus granitiques qu’on ne pourra pas contester. Il faudrait plonger une dernière fois vers le passé, un passé très éloigné, pour être conforté dans cette vérité. La sacralité du dimanche? Tiens, l’empereur Constantin l’a figée une fois pour toute dans le calendrier, en la dédiant au soleil. Et, bien sûr, au repos absolu du corps et de l’esprit. C’était en l’an 321 de notre ère…
La sagesse des anciens ne semble plus compter pour grand-chose aujourd’hui. C’est du moins ce que laissent entendre certains élus fédéraux à travers des actions parlementaires à la teneur résolument ubuesque. Ainsi, une initiative du Canton de Zurich, déposée au Parlement, veut renverser la table et s’attaquer à ce droit fondamental des travailleuses et des travailleurs qui consiste à faire autre chose que trimer durant le jour dont il est ici question. L’assaut est frontal et décomplexé. Il se permet de transformer l’exception en règle: vous pouviez travailler quatre dimanches par semaine au maximum? Il faudra passer désormais à douze! On reconnaîtra à cette proposition totalement amnésique des volontés du peuple – celui-ci s’est exprimé le plus souvent contre ce genre d’atteintes, à l’échelle cantonale – une qualité stupéfiante. Elle a réussi à coaliser contre elle un vaste front, (l’«Alliance pour le dimanche»), solidaire et étonnamment éclectique, qui entend se battre avec détermination.
Rarement dans ce pays, on aura vu assis à la même table une trentaine de syndicats, dont Unia, des partis politiques, des organisations féminines, des représentants des Eglises catholique et réformée ainsi que des membres de la Société suisse de médecine du travail. Cette coalition est là pour faire entendre avec pugnacité des arguments qui devraient tomber sous le sens. Arguments dévoilés de manière limpide par la recherche commanditée par Unia au Centre interdisciplinaire pour les études de genre de l’Université de Berne. On y (ré)apprend notamment que 15,6% des actifs travaillent le dimanche et que 7,9% le font irrégulièrement. Sans surprise, on relève que les femmes et les migrants en situation précaire y sont surreprésentés. On rappelle par ailleurs les conséquences néfastes du travail dominical sur la santé des personnes concernées: trouble du sommeil, dépression, épuisement émotionnel, maladies cardiovasculaires… Et on ne parle pas de l’atteinte portée à la vie familiale, sociale, sportive ou spirituelle.
Le projet en discussion à Berne place donc, sur le terrain politique, une ligne rouge qu’il ne faudra pas franchir. Car rien ne justifie qu’on sacrifie le septième jour sur l’autel du consumérisme effréné et de la flexibilité à tout va. Aucun argument n’est pertinent quand il s’attaque au droit au repos des travailleuses et des travailleurs.