Les patrons des grandes entreprises toujours plus privilégiés
Une coiffeuse ou un employé dans l’hôtellerie à Genève gagnerait un salaire mensuel que le CEO d’UBS, Sergio Ermotti, atteindrait en 30 minutes seulement.
Une étude d’Unia dévoile l’écart grandissant entre les salaires des CEO et ceux des employés les moins bien rémunérés.
Comment se porte la justice sociale en Suisse? L’étude que réalise chaque année Unia – exercice qui se renouvelle depuis 2005 – donne une réponse saisissante à la question, en se concentrant tout particulièrement sur les écarts salariaux entre les chefs d’entreprise et leurs employés les moins bien rémunérés. L’analyse porte sur les 39 plus grandes entités du pays, comptant plus de 11000 collaborateurs, et qui sont dans la plupart des cas cotées en Bourse. Un premier élément frappe les esprits: la publication inaugurale, en 2005, faisait état d’un rapport entre les deux valeurs de 1:52. Il fallait donc 52 mois de travail pour que le salarié le moins bien loti atteigne la rémunération mensuelle du patron.
Aujourd’hui, vingt ans plus tard, ce rapport est de 1:143! Une donnée moyenne qui se réfère aux chiffres de 2024. Un autre constat s’impose aux yeux des observateurs: le salaire des CEO n’a cessé de grimper ces douze derniers mois. Sept de ces rémunérations ont franchi la barre des dix millions et ont poursuivi une progression constante et très significative. Ainsi, le patron de Novartis, Vasant Narasimhan est passé de 16,2 millions en 2023 à 19,2 millions l’année suivante, gardant sur sa tête la couronne du mieux payé dans sa catégorie. Autre exemple, celui de Partners Group, dont le CEO David Layton a perçu 16,9 millions en 2024 contre «seulement» 7 millions en 2023. Un bond impressionnant. Quant au directeur général d’UBS, Sergio Ermotti, il fait également partie du peloton de tête, étant passé de 14,4 à 14,9 millions de francs perçus, tandis que les plus fortes progressions salariales ont été enregistrée chez les dirigeants du groupe Richemont (+17%) et de Logitech (+33%).
Novartis, cas d’école
L’étude souligne encore que 16 entreprises, parmi les 39 passées au peigne fin, ont connu une augmentation d’au moins 10% des salaires les plus élevés. Et seulement 8 sur les 39 ont connu un mouvement inverse, en réduisant d’autant leurs plus grosses rémunérations. Ces chiffres acquièrent une tout autre importance lorsqu’ils sont scrutés à l’aune du plus haut et du plus bas salaire au sein d’une même entreprise. De manière générale, sur la base des données de 2022 de l’Office fédéral de la statistique, le salaire annuel médian en Suisse en 2024 était estimé à environ 84000 francs. Dès lors, toute personne percevant cette rémunération devrait travailler 228 ans pour atteindre le salaire annuel du CEO de Novartis.
L’écart grandit jusqu’à la démesure lorsqu’on s’arrête sur des cas spécifiques. Novartis, qui truste la tête de tous les classements, est un cas d’école à lui tout seul. Ici, selon les données pour 2024, l’employé avec le salaire le plus bas devrait travailler 333 ans pour gagner ce que perçoit en une seule année son CEO! En 2023, ce rapport était de 1:285. Pas loin, on retrouve Partners Group avec une valeur de 1:328. Chez UBS, il faudrait 276 ans pour égaler la rémunération annuelle du patron, et encore 218 chez Nestlé ou 206 pour Zurich Insurance. En quittant le haut de la pyramide pour se consacrer aux actionnaires de ces grandes entreprises, l’étude d’Unia souligne que les succès sur le marché profitent grandement aux volumes des dividendes. Ainsi, en 2024, les sociétés analysées ont distribué environ 46 milliards de francs à leurs actionnaires. Les dix plus grands distributeurs de capitaux ont atteint 36 milliards de francs, soit près de 80% de la somme globale. Par ailleurs, des montants faramineux – le total atteint 20,6 millions de francs – ont été investis par certaines entreprises dans le rachat de leurs propres actions.
Attaque contre les salaires minimum
Les salaires excessifs des patrons dont il est question dans l’étude ne cessent donc d’augmenter. Et ce au nez et à la barbe de la large majorité des votants ayant accepté en 2013 l’initiative «contre les rémunérations abusives». Douze ans se sont écoulés depuis sans que le Parlement et les autorités donnent suite à la volonté exprimée par le peuple. C’est plutôt à une dynamique contraire à laquelle on assiste dans l’arène politique. Ainsi de la motion Ettlin, défendue par l’élu au Conseil des Etats Erich Ettlin (Centre) et soutenue par la majorité bourgeoise. Le projet de loi fédérale entend s’attaquer aux plus bas salaires, en supprimant le salaire minimum là où il est entré en vigueur après adoption par le vote populaire (cantons de Neuchâtel et Genève, villes de Zurich, Winterthour et Lucerne), en le substituant avec celui, dans de nombreux cas moins élevé, fixé par les conventions collectives de travail (CCT de force majeure). En juin dernier, le Conseil national a adopté le projet. La balle est désormais dans le camp du Conseil des Etats. Entérinée, la motion rendrait encore plus strident l’écart entre les hautes et les basses rémunérations en Suisse. Dépourvue de son salaire minimum, une coiffeuse ou un employé dans l’hôtellerie à Genève gagnerait un salaire mensuel que le CEO d’UBS, Sergio Ermotti, atteindrait en 30 minutes seulement...