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La Suisse côté détestable

Il arrive que la Suisse soit détestable. C’est un constat, comme on va le voir, mais je commence ici par une question: l’Etat confédéral et plus exactement son pouvoir exécutif, et plus précisément les pouvoirs économiques et culturels historiques qui déterminent en réalité la politique mise en œuvre par ce pouvoir exécutif en apparence, traitent-ils les problématiques environnementales comme ils le font des problématiques sociétales?

Pour formuler la chose autrement: la Suisse considère-t-elle les travailleurs et les citoyens qui luttent pour leur survie dans les étages inférieurs de la construction nationale de la même manière qu’elle considère le vivant animal et végétal de la planète, avec l’air et l’eau des rivières et des océans qui baignent ses continents – et sont pareillement menacés d’effacement sous l’effet des dévastations humaines?

On a pour le moins vérifié ces dernières semaines que notre pays, dans le domaine environnemental, inscrit ses comportements sous le signe d’une parfaite indignité. Observons le dossier des émissions de CO2, par exemple, et voyons que sa pratique la plus stable consiste à se procurer hors de ses frontières le droit de ne conduire à l’intérieur des siennes aucun projet sérieux de lutte contre cette cause majeure de la dévastation planétaire.

Ainsi relâche-t-il la pression pourtant nécessaire sur les voitures plus polluantes, comme à l’occasion d’une révision de l’ordonnance sur le CO2 décidée l’année dernière, en retirant du calcul de ses émissions 15% des voitures les plus nocives pour cet exercice-là puis 10% pour cette année-ci. Alors que l’Union européenne, qu’on peut considérer comme notre instance de référence sur ce point, avait fixé pour ces deux périodes des cotes respectives de 5% et 0%.

Et que fait donc notre Suisse pour se donner l’illusion de sauver la face, pour réconforter les lobbys indigènes de la pollution, conforter ses élites économiques et financières les plus nocives, faire réélire sans faillir leurs relais au Parlement et sembler vis-à-vis de l’extérieur comme toujours infiniment proprette? Réponse claire et nette: elle négocie puis cosigne des contrats de compensation climatique tels qu’ils lui permettront de répondre à son engagement visant selon l’Accord de Paris à réduire de 50%, d’ici 2030 ses émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990. C’est déjà chose faite avec le Ghana, le Pérou et le Sénégal.

Rien ne résume plus joliment cette stratégie méthodique de la fiction vertueuse qu’un communiqué ad hoc publié l’autre mois par les services de la Confédération: «En concluant cet accord, y lisons-nous, la Suisse jette les bases pour mettre sur pied des projets climatiques internationaux qui répondent à des exigences strictes en matière de protection de l’environnement tout en respectant les normes internationales de protection des droits de l’Homme».

Amen, donc, et bravo. Même si, comme le rappelait l’an dernier le chercheur Augustin Fragnière (il travaille au Centre interdisciplinaire de durabilité de l’Université de Lausanne) sur le site du Temps, tout indique que «la politique consistant à compter sur des réductions à l’étranger n’est pas compatible avec l’objectif de 1,5 °C» déterminé par les accords internationaux.

Et même si, comme le rappelait l’autre jour encore sur le même site Philippe Cullet, professeur de droit international et de l’environnement à l’Université de Londres, ces accords de compensation climatique «ne font que repousser l’échéance d’une réduction en Suisse et rendront l’effort à faire encore plus grand quand il n’y aura plus d’autre option que de s’attaquer à nos propres émissions».

Et même si, poursuit Philippe Cullet, ces accords de compensation avec les pays du Sud «vont à l’encontre de la justice climatique» – les pays du Nord ayant «reconnu la responsabilité accrue qui leur incombe dans la lutte contre les changements climatiques», ce qui rend injustifiable «de demander aux pays du Sud un effort supplémentaire alors qu’il nous incombe en premier lien de le faire nous-mêmes».

C’est donc ici, on le constate en ce point conclusif de ma chronique, que la problématique environnementale se tricote avec la problématique sociétale. D’ailleurs, le confirme Philippe Cullet, «il est surprenant de constater que les accords de compensation ne comprennent aucune clause sur l’équité et en particulier aucune référence au principe des responsabilités communes, mais différenciées, qui est au centre des accords internationaux sur le climat». Conclusion? En déplaçant à peine les curseurs, on s’étonnera moins que les citoyens défavorisés d’Helvétie soient à leur tour les souffrants d’un tel système.