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Des tatouages pour soigner corps et âme

Portrait de Marie de Goumoëns.
© Thierry Porchet

Marie de Goumoëns est fascinée par la possibilité de dessiner sur un être vivant.

Tatoueuse maîtrisant l’embellissement de cicatrices, Marie de Goumoëns met son art au service de victimes de maladie ou d’accident. Une prestation tout en délicatesse, basée sur la confiance

La découverte, il y a quelques années, du travail d’un tatoueur américain intervenu après une mastectomie a changé la vie de Marie de Goumoëns. La Vaudoise qui pratique le dessin depuis toute jeune – «Enfants nous avions des crayons, pas de télévision» – apprécie également le milieu du tatouage comme en témoigne un de ses bras enlacé de motifs végétaux. Elle est également séduite par l’aspect humain de la démarche suivie par le spécialiste d’outre-Atlantique. Aussi décide-t-elle de s’orienter dans cette voie. Et quand Marie de Goumoëns prend une résolution, rien ne peut l’en détourner. L’épouse et mère de quatre enfants de 10 à 14 ans entame alors une formation. Elle commence par se familiariser avec le matériel et les règles d’hygiène avant de bénéficier des connaissances d’une personne réalisant ce type de tatouages spécifiques liés aux corps meurtris. «Elle m’a accueillie dans son studio. J’ai pu ainsi acquérir de l’expérience et de l’assurance.» Au terme d’environ deux ans de pratique, Marie de Goumoëns, qui avait aussi fréquenté au préalable une école d’art et de communication, se sent prête. Et ouvre son propre espace à Ogens, dans le Gros-de-Vaud, où elle réside avec sa famille. Un cocon avenant et rassurant attenant à sa maison.

Des moments uniques et intenses

«Je travaille dans le domaine depuis environ six ans. La majorité de ma clientèle sollicite mes services après un accident ou une maladie, en particulier une mastectomie, une abdominoplastie ou pour masquer les traces laissées par un port-à-cath», précise la praticienne de 46 ans qui collabore avec l’équipe de l’association OSE Thérapies. Une structure proposant différentes activités sportives et créatives aux personnes atteintes du cancer, en traitement ou en rémission. «Chaque rencontre en vue d’un tatouage est intense et génère beaucoup d’émotions. C’est un moment unique et pérenne. Un choix pour la vie qui permet de se réapproprier son corps, de changer le regard que l’on porte à son image», souligne la quadragénaire, accordant dans ce contexte une importance primordiale à l’établissement d’une relation de confiance avec ses clients. Quant aux cicatrices, elle les considère comme une source d’inspiration. Des marques racontant l’histoire, la force et le pouvoir de guérison de personnes blessées que Marie de Goumoëns va utiliser et embellir. «Certains requérants ont des idées très précises, d’autres attendent que je leur fasse des propositions. Nous faisons beaucoup de photos avant la réalisation de l’illustration. Il s’agit aussi de prendre en compte la manière dont elle évolue en mouvement, d’imaginer comment elle vieillira.» Les motivations des intéressés, elles, sont plurielles.

Un regard différent

«Il y a des personnes qui ont toujours eu envie de se faire tatouer mais n’ont jamais franchi le pas avant la maladie. Celle-ci devient alors un alibi.» L’aspect esthétique joue également très souvent un rôle, notamment par exemple après la reconstruction d’un sein pouvant donner lieu à certaines asymétries. «On va alors tromper l’œil avec le dessin, amener le regard à se poser différemment sur le corps.» La démarche comporte parfois aussi un aspect rituel et ancre, par son caractère définitif, la volonté de clore un chapitre douloureux, de tourner une page. «Les histoires se révèlent souvent fortes, chargées, mais à l’atelier l’ambiance est positive, excitante. On aborde bien entendu la maladie, mais sans en être accablé. On démarre un nouveau projet.» Si Marie de Goumoëns prête une oreille attentive aux récits de ses clients, elle n’oublie pas sa première mission. «J’écoute, bien sûr, mais je reste concentrée sur ma tâche. C’est aussi un moyen de mettre une distance émotionnelle, une sorte de bouclier.» Avec au final, sourit la créative, nombre de tatoués qui hier cachaient des zones de leur corps et s’en montrent désormais fiers. La praticienne a aussi développé, en marge de cette spécialisation, une activité plus spontanée. «Des intéressés m’accompagnent en forêt pour collecter des végétaux qui seront directement reproduits sur la peau, sur la base de leur empreinte. C’est le tiers restant de ma clientèle.» Ces vivifiantes échappées font partie de l’art de vivre de Marie de Goumoëns qui réside à l’orée des bois, au bord d’une petite rivière dont elle aime le chant. Comme le ronron de son chat, un autre son plaisant... Son domaine accueille par ailleurs des cabanes construites dans les arbres par son mari et mises en location.

Le choix de la simplicité

«J’ai toujours voulu exercer une activité qui fasse sens, à la maison, tout en étant proche de la nature.» Une existence qui succède à des années à bourlinguer à l’étranger, Marie de Goumoëns ayant suivi son époux qui travaillait par le passé comme directeur des ressources humaines. «Nous avons beaucoup voyagé avant de poser nos valises à Ogens. Et avons créé ici un quotidien qui nous plaît. C’est pour moi le secret du bonheur», ajoute Marie de Goumoëns, assurant vivre pleinement le moment présent. «Je n’ai pas de croyances particulières. Je suis plutôt une pragmatique, ancrée dans le concret», souligne encore cette optimiste, introvertie et calme, qui consacre volontiers ses loisirs aux randonnées. «La haute montagne et ses paysages inspirants me séduisent particulièrement. On y mesure toute la puissance de la nature mais aussi la capacité de son corps à atteindre des sommets. On se sent alors tout petit et fort en même temps, tout en se rappelant que nous ne sommes que de passage.» Le temps de Marie de Goumoëns se décline dans le choix d’une existence familiale tournée vers une certaine simplicité, et la réalisation de tatouages sensibles qui sont autant de baumes pour le corps et l’âme des personnes qui la sollicitent.

Site de la tatoueuse: minutiae.art