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«Depuis près de 30 ans, je ne travaille pas. Ce que je fais est une passion»

Yves Defferrard
© Olivier Vogelsang

Yves Defferrard dans les bureaux d’Unia Genève: «Avec les cas de Stahl Gerlafingen et de Swiss Steel, on a compris que, si une partie de l’industrie disparaît, c’est tout un pays qui est bloqué.» 

Membre du comité directeur d’Unia, Yves Defferrard quittera bientôt ce poste pour se consacrer pleinement à la section genevoise. C’est l’heure des bilans et des nouveaux défis à relever.

Dans une poignée de jours, il sera temps de tourner une page pour Yves Defferrard. Figure du syndicalisme romand et helvétique, ce membre du comité directeur d’Unia, où il a représenté le secteur de l’industrie, quittera le poste – en concomitance avec le congrès – après un seul mandat de quatre ans. Les vicissitudes de la section genevoise du syndicat l’ont voulu ainsi: voilà deux ans, l’homme a été appelé à la rescousse au bout du lac Léman pour redresser une situation de crise interne qui avait trop duré. Cette mission s’est donc ajoutée à celles dont il s’acquitte à Berne, générant au passage une surcharge qu’il aurait été peu judicieux de prolonger sur le long terme. Celui qui dit adorer par-dessus tout le travail de terrain, dans les négociations et la résolution de crises, retrouve le costume de secrétaire régional, déjà endossé par le passé dans le canton de Vaud. Il nous accueille dans son fief, fidèle à lui-même, évoquant ses expériences passées et son devenir d’un verbe plus que prolixe et avec un enthousiasme demeuré intact. 

Depuis près de deux ans, vous êtes présent sur trois fronts distincts chez Unia. Comment expliquer ce cumul de casquettes?
J’ai été élu tout d’abord au comité directeur de l’organisation, il y a quatre ans, pour représenter le secteur de l’industrie. A cette première mission s’est ajoutée pendant un temps la présidence du journal L’Evénement syndical, qui a pris fin en 2024. Il y a eu encore la part qui m’incombait dans la répartition des régions au sein du collège du comité directeur, et j’ai eu donc la chance de m’occuper du Valais, de Neuchâtel et de Genève. 

Quelle a été votre première mission, en tant que membre du comité directeur?
Il a fallu tout d’abord faire un tour de Suisse des régions afin d’harmoniser et de rendre fluides au sein de chaque entité les relations et l’approche du secteur dont je m’occupais. J’ai eu la chance, dans cette mission, d’avoir été accueilli les bras ouverts par les secrétaires régionaux, qui me connaissaient depuis longtemps, ayant moi-même incarné ce rôle dans le canton de Vaud. Et puis, au milieu de mon mandat, il a fallu venir en aide à la section genevoise, qui s’est trouvée en grosse difficulté dans sa direction, avec le départ de la secrétaire régionale. Mon arrivée à Genève a eu comme conséquence directe que je n’ai plus pu réaliser tous les projets que j’envisageais de concrétiser. 

Est-ce que cela a généré des frustrations?
Non, dans la mesure où je considère qu’il faut être au service de l’organisation et qu’il faut aller aux priorités. Je ne pouvais pas concevoir de piloter la situation genevoise avec un joystick, depuis Berne. Il y a ici une quarantaine de collaborateurs, je ne pouvais pas comprendre leur situation et l’environnement dans lequel ils évoluent sans être sur place. J’ai donc libéré le plus de temps possible pour prioriser ma mission genevoise, dans un contexte de crise, et j’ai gardé en même temps la main dans le secteur de l’industrie. L’équipe qui m’accompagnait à la tête de cette branche fonctionne heureusement de manière autonome, j’ai pu compter sur elle. Je me suis senti aussi soutenu par le comité directeur, qui fait preuve d’une très belle collégialité et qui a compris la situation en me donnant des coups de pouce dans mon secteur. Quant aux régions Valais et Neuchâtel, j’ai dû malheureusement renoncer à m’en occuper avec assiduité. 

Faisons un premier bilan de votre mission genevoise. Estimez-vous que la situation soit désormais apaisée, dans cette section qui a connu de grandes secousses?
Je pense qu’on est passé d’une situation de crise à une phase de sortie de crise, et ce n’est pas rien. Ici, il y a eu des problèmes internes de toutes sortes, largement médiatisés par ailleurs. Je ne crois pas qu’on puisse déjà parler de stabilité retrouvée, bien qu’on en soit très proche. L’ambiance s’est nettement améliorée et, avec elle, la capacité de travailler ensemble, entre secteurs, entre secrétaires syndicaux. Le respect du travail des uns et des autres est rétabli, ce qui me rend très heureux. Nous avons des choses à faire au niveau de l’organisation. Il faut mettre en place des modes d’emploi et des règles dans tous les secteurs. Ce processus est bien avancé mais pas terminé.

Les effectifs au sein d’Unia Genève ont beaucoup changé en même temps.
Oui, nous avons beaucoup de nouveaux collaborateurs, arrivés entre fin 2024 et début 2025. Les équipes sont motivées et je suis optimiste pour la suite. Les derniers venus sont des personnes issues des métiers, elles connaissent les problématiques qui s’y rattachent et savent de quoi elles parlent. 

Parmi les défis à relever, il y a celui de la reconquête de nouveaux membres, dans une tendance qui est à l’érosion. Comment s’y prendre?
Depuis la création d’Unia, cette région était en constante perte de membres. Actuellement, on est tout proche des 10000 alors qu’il y en avait 25000 au départ. Nous devons stopper l’érosion et repartir ensuite vers la hausse. Pour y arriver, nous avons pris une série de mesures visant à optimiser notre présence sur le terrain et à faciliter le recrutement. Nous avons formé les collaborateurs, organisé notamment des jeux de rôles. Les collègues ont montré une très belle dynamique et sont désormais capables de formuler de bons arguments aux travailleuses et aux travailleurs. Aujourd’hui, je me dis qu’on a enfin l’élément déclencheur, on peut aller de l’avant et fixer de nouveaux objectifs. Depuis septembre dernier, nous sommes en progression en nombre d’adhérents et on fait la meilleure année depuis 2022.

Comment qualifieriez-vous les relations d’Unia avec le syndicat Sit, cet acteur agissant à l’échelle cantonale et qu’on pourrait percevoir comme un concurrent?
J’ai été habitué, dans le secteur de l’industrie, à cohabiter avec plusieurs organisations syndicales. A Genève, il y a un très grand potentiel quand on pense au nombre de travailleurs qui ne sont pas syndiqués. Je crois donc qu’il y a de la place pour tout le monde. Aujourd’hui, la collaboration avec le Sit est globalement bonne. Preuve en est la peur que manifestent les politiciens de droite à Genève face à l’union affichée par les deux entités. 

Entre la situation vécue à Berne et celle locale, à Genève, où vous sentez-vous le plus chez vous?
A vrai dire, bien que restant convaincu de ce que je fais et gardant intact mon enthousiasme, je me sens le plus à l’aise dans les négociations, lorsqu’il s’agit d’éviter la fermeture de sites et les licenciements collectifs. J’aime aussi transmettre mon savoir auprès des secrétaires syndicaux. Je voudrais un jour avoir l’occasion de mettre à la disposition de l’organisation ces deux compétences.

Revenons à vos années au sein du comité directeur. Y a-t-il eu, durant ces années, un fait qui vous a particulièrement marqué?
Je suis fier d’un fait. C’est que, dès la première année, le dialogue avec les régions, à travers mes tournées dans les sections, a permis une meilleure compréhension du secteur que je défendais. Dès le départ, il y a eu une très bonne écoute des secrétaires régionaux. S’est ajoutée ensuite la capacité d’intervention et d’action dont a fait preuve mon équipe lorsqu’il s’est agi de s’occuper de dossiers extrêmement chauds, impliquant des licenciements collectifs. Ce fut le cas de BAT, dans le Jura, par exemple. A l’époque, j’ai passé quasiment deux mois sur place. Il y a eu plus récemment Stahl Gerlafingen et Swiss Steel, situations bien résolues par mes collaborateurs. On pourrait ajouter encore les cas de Novartis, d’Ovomaltine ou de Toblerone. Dans chacun de ces cas, nous avons réussi à donner un coup de main important aux régions. 

Avez-vous des regrets?
Non, pas pour mes deux premières années au sein du comité directeur. Dans la suite du mandat, j’aurais aimé mener à bien tout ce que j’avais en tête de réaliser dans ce secteur. En allant à Genève, il était impossible d’y parvenir. 

Quel est le paysage industriel en Suisse, aujourd’hui? Est-ce que la désindustrialisation du pays est un fait inéluctable?
Je reste persuadé que notre secteur est loin de disparaître, surtout si on considère la situation géopolitique d’aujourd’hui. On se rend compte qu’un pays ne peut pas se passer de l’industrie et que la mondialisation a affiché ses limites. Avec les cas de Stahl Gerlafingen et de Swiss Steel, on a compris que, si une partie de l’industrie disparaît, c’est tout un pays qui est bloqué. On revient donc en arrière, en Europe comme en Suisse, et on veut désormais renforcer l’indépendance des pays, ce qui dépend beaucoup de la présence d’une industrie forte. 

Une dernière question: qu’est-ce qui vous a fait tomber dans la marmite du syndicalisme? 
Une succession de faits et de facteurs. Mon père est syndicaliste depuis 75 ans. Dès mon premier jour d’apprentissage, il m’a fait m’inscrire à mon tour dans une organisation. Plus tard, j’ai été représentant syndical romand dans une grosse entreprise qui fabriquait des systèmes de sécurité. Après de longues années de stabilité, elle a connu une succession de ventes et de rachats spéculatifs. Il y a eu Crédit Suisse d’abord, qui a provoqué 900 licenciements. Une année plus tard, la banque a vendu à Electrowatt, qui a licencié à son tour 1300 collaborateurs. Et à chaque fois, j’ai participé aux négociations des plans sociaux. D’autres catastrophes ont suivi et, à la veille de la vente à Siemens, j’ai décidé de quitter l’entreprise. Le syndicat FTMH m’a proposé un poste. J’ai commencé en 1999 à Nyon, en tant que recruteur de nouveaux membres. A l’époque, on appelait cela propagandiste. Depuis, je n’ai plus quitté le métier. Et j’aime dire: depuis près de 30 ans, je ne travaille pas. Ce que je fais est une passion. 

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