«Il faut travailler toujours plus, et toujours plus vite»

Antonio Prattichizzo, employé dans la construction depuis plus de 25 ans, y a vu les conditions de travail se dégrader. Le 17 mai, les maçons manifesteront à Lausanne pour exiger des améliorations en vue du renouvellement de la Convention nationale.
Alors que la Convention nationale du gros œuvre est renouvelée cette année, un ouvrier nous raconte son quotidien, en espérant que les négociations qui vont démarrer permettront de l’améliorer.
Ces prochains mois, plus de 80000 travailleurs dans toute la Suisse vont suivre avec intérêt les négociations pour le renouvellement de la Convention nationale du secteur principal de la construction. Comme eux, Antonio Prattichizzo, du Mont-sur-Lausanne, espère que les tractations qui démarrent en ce moment permettront d’améliorer son quotidien. Car ce coffreur, employé dans le bâtiment depuis plus de 25 ans, y a vu se détériorer les conditions de travail.
Membre d’Unia, il a participé à l’assemblée locale du secteur, en mars à Bussigny, où ont été discutées les revendications en vue des négociations. Une augmentation du salaire horaire, des journées de travail plus courtes pour mieux concilier vie privée et vie professionnelle, les déplacements payés dès la première minute (et pas à partir de 30 minutes), la pause matinale de 15 minutes également rémunérée, et une limitation du travail le samedi. Voilà, en gros, ce qu’espèrent obtenir les syndicats. Des objectifs auxquels souscrit entièrement Antonio Prattichizzo.
Des journées à rallonge
«Une semaine de cinq jours, c’est déjà assez long comme ça. Il ne faudrait pas qu’en plus, les patrons puissent nous mettre régulièrement à contribution le samedi, considère l’ouvrier, âgé de 52 ans. On a parfois des journées de travail très longues, et quand il faut se déplacer dans un autre canton, c’est encore pire. Par exemple, pour arriver à 7h sur un chantier à Genève, je dois partir de chez moi à 4h30, puis rejoindre les collègues pour faire ensemble le trajet en voiture. Et le soir, je ne suis pas chez moi avant 19h ou 20h.» Inutile de dire que ces jours-là, il ne reste pas beaucoup de temps à Antonio Prattichizzo pour ses loisirs, ou simplement pour profiter de sa famille…
Le déplacement lui est certes payé, mais selon un temps de parcours théorique. «C’est calculé avec Google Maps, précise-t-il. Mais s’il y a des bouchons ou un accident sur la route, on met beaucoup plus de temps. Pourtant, on n’est pas payés plus.»
De leur côté, les associations patronales souhaiteraient introduire une plus grande flexibilisation des horaires sur l’année. Ainsi, les employeurs pourraient faire travailler les ouvriers plus longtemps quand il y a beaucoup de demandes dans la construction, et moins aux périodes plus calmes. C’est déjà en partie le cas, puisque la journée de travail est plus longue en été, où elle dure neuf heures. Le total est lissé sur douze mois. «A plein-temps, on est censés faire 2200 heures à l’année», explique Antonio Prattichizzo. Mais pour lui, pas question d’accepter des horaires à la carte comme il les a connus en Italie, où il vivait avant de venir en Suisse. «En été, on ne quittait pas le chantier tant qu’il faisait jour. Les journées de travail duraient alors 13 ou 14 heures. Et souvent, en hiver, on n’avait pas de travail pendant deux mois. C’est comme ça dans beaucoup de pays européens, mais je n’aimerais pas que ça devienne pareil en Suisse. C’est pas une vie!»
Pression croissante sur les délais
Une chose qui a bien changé depuis qu’il est dans le métier, c’est la pression croissante sur les délais. «J’ai surtout vu ça quand j’étais employé chez des sous-traitants. Même si un chantier démarre en retard, il faut qu’il se termine à temps, déplore le coffreur. Dans ces conditions, si on veut vraiment respecter les délais, on n’a pas toujours le temps de mettre en place toutes les mesures de sécurité, qui sont bien plus poussées qu’à l’époque. Avant, l’accent était mis sur la qualité du travail, mais aujourd’hui, il n’y a plus que la quantité qui compte. Il faut travailler toujours plus, et toujours plus vite. Et aussi avec moins de personnel. Il y a quelques années, on était trois pour monter un mur ou couler une dalle. Aujourd’hui, on n’est plus que deux, ou même tout seul.»
Toutefois, il souligne que les entrepreneurs ne sont pas seuls responsables: «Les patrons sont aussi mis sous pression par les maîtres d’ouvrage pour réduire les coûts et les délais. C’est une chaîne et, nous, on est le dernier maillon.»
Dans l’entreprise générale où il travaille depuis peu comme chef d’équipe, il ne s’estime cependant pas à plaindre, comparé à ce qu’il a pu voir ailleurs. Notamment sur le plan salarial. Le problème, c’est que le coût de la vie, les loyers et les primes d’assurance maladie ne cessent d’augmenter, et qu’avec cinq enfants dans sa famille recomposée, il faut parfois se serrer la ceinture. «Notre pouvoir d’achat diminue tout le temps, alors on espère toujours avoir une augmentation pour pouvoir partir au moins une fois par an en vacances.»
Un métier usant
Et puis, il y a la pénibilité du travail. Les lourdes charges à porter – malgré les moyens mécaniques – et les intempéries. En tant que coffreur, Antonio Prattichizzo y est particulièrement exposé. Toujours à travailler en extérieur, qu’il pleuve, qu’il neige ou que ce soit la canicule. «Il m’est déjà arrivé, par grand froid, de devoir casser une couche de glace avant de pouvoir couler une dalle. Avant, quand il y avait de fortes intempéries, on pouvait rester à la maison en étant payé à 80%. Pouvoir s’arrêter de travailler quand les conditions météo deviennent trop extrêmes, ce ne serait pas du luxe.»
Avec tout ça, le quinquagénaire natif des Pouilles ne cache pas une certaine usure. Il travaille depuis ses 14 ans, en étant passé par la vente, l’agriculture et la charpenterie, avant de venir en Suisse, au début en tant que saisonnier. «Avec l’âge, on est plus vite fatigué. Je m’entretiens, je fais du sport, mais c’est un travail qui use. J’ai de l’arthrose, des douleurs partout. On est tous comme ça dans la construction.» Antonio Prattichizzo compte déjà les huit ans qu’il lui reste jusqu’à la retraite anticipée – pour autant que l’âge de l’AVS ne soit pas relevé d’ici là. «Avec nos métiers, la préretraite, c’est mérité.»