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A Genève, le géant orange repeint des Migros en vert

En ville de Genève, à l’entrée de la plaine de Plainpalais, c’est dans la vieille Migros de la place du Cirque que Voi a pris ses quartiers.
© Neil Labrador

En ville de Genève, à l’entrée de la plaine de Plainpalais, c’est dans la vieille Migros de la place du Cirque que Voi a pris ses quartiers.

Avec sa franchise Voi Migros Partenaire, le distributeur s’affranchit de nombre de règles, telles que l’interdiction du travail le dimanche. Enquête

A Genève, la droite et les grands patrons du commerce de détail attaquent sur plusieurs fronts la Loi sur les heures d'ouverture des magasins (LHOM). Il y a d’abord une modification de la loi sur laquelle le peuple est appelé à se prononcer le 19 mai prochain à la faveur d’un référendum de la gauche et des syndicats, et qui autorisera l’ouverture des commerces trois dimanches par an durant deux ans à titre expérimental. Il y a ensuite deux projets de révision pendants au Grand Conseil et déjà acceptés en Commission de l’économie. Le premier d’entre eux propose un horaire unique jusqu’à 20h (actuellement, les magasins genevois ferment leurs portes à 19h du lundi au mercredi, à 21h le jeudi, à 19h30 le vendredi et à 18h le samedi). En plus de ces nouvelles fermetures tardives, une nocturne permettrait aux commerces de ne tirer leurs rideaux qu’à 22h pendant un mois durant la période des fêtes de fin d’année. Le second projet de loi veut donner ces mêmes horaires aux salons de coiffure, ainsi qu’aux boulangeries, pâtisseries et chocolateries. Ces dernières pourraient, en outre, ouvrir le dimanche jusqu’à 19h. Enfin, la LHOM est désormais contournée ouvertement par Migros Genève au travers de son enseigne Voi Migros Partenaire.

Problèmes...

Développée outre-Sarine, cette franchise a fait ses premiers pas en Suisse romande à Genève en septembre dernier avec deux magasins, à la place du Cirque et dans le nouveau quartier des Vergers à Meyrin. Tout l’assortiment du grand distributeur y est proposé accompagné d’articles bannis des supermarchés Migros: alcool, tabac, billets de loterie. L’Evénement syndical du 17 octobre 2018 avait montré comment cette structure permet non seulement de s’affranchir de l’éthique du fondateur de la coopérative, Gottlieb Duttweiler, sur l’alcool, le tabac et les jeux d’argent, mais aussi de la Convention collective nationale de travail (CCNT) de Migros, qui offre une rémunération un peu plus élevée que le Contrat-type de travail pour le commerce de détail genevois (remis en cause par un recours), un treizième salaire et d’autres avantages. Ce qui est pour le moins problématique, en particulier lorsqu’un de ces Voi prend la place d’une bonne vieille Migros, comme c’est le cas à la place du Cirque. 

Circulez, y a rien à voir!

De son côté, Le Courrier a relevé que Voi était aussi utile pour contourner les horaires prévus par la LHOM. Les deux magasins genevois sont ainsi ouverts jusqu’à 20h en semaine, 19h le samedi et même le dimanche, jusqu’à 17h. 

Nous avons cherché à comprendre comment il suffisait au géant orange de repeindre ses magasins en vert, la couleur de Voi, pour violer ouvertement la LHOM. Pour obtenir des réponses, le plus simple aurait été de lancer un coup de fil à l’Office cantonal de l'inspection et des relations du travail (OCIRT), mais pour communiquer avec cette administration, il faut passer par la direction du Département de la sécurité, de l'emploi et de la santé (DSES). Son directeur de la communication, Laurent Paoliello, dispose pour répondre aux journalistes d’une analyse sur Voi fournie par l’OCIRT, qu’il a refusé de transmettre à L’Evénement syndical, mais qu’il nous a lue au téléphone.

En gros, selon ses explications, ces magasins d’alimentation peuvent ouvrir en dehors des horaires fixés dans la LHOM dans la mesure où ils n’emploient pas de personnel à ce moment-là, telles ces petites épiceries familiales ou «dépanneurs» ouverts tard dans la nuit que l’on trouve au bout du lac. «Ne sont pas considérés comme du personnel au sens de cette disposition les travailleurs exerçant une fonction dirigeante élevée au sens de la Loi fédérale sur le travail», dit la LHOM. «Ce statut est difficile à interpréter», indique Laurent Paoliello.

Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) est toutefois assez clair: «Exerce une fonction dirigeante élevée quiconque dispose (…) d’un pouvoir de décision important, ou est en mesure d’influencer fortement des décisions de portée majeure concernant notamment la structure, la marche des affaires et le développement d’une entreprise ou d’une partie d’entreprise», peut-on lire dans une analyse publiée sur le site du Seco. Et encore: «Le critère qui prime est celui de la possibilité de prendre des décisions pour l’entreprise ou une partie de l’entreprise qui sont de nature à influencer fortement l’avenir de l’entreprise ou sa structure. Le montant du salaire, le pouvoir d’engager l’entreprise par sa signature, le fait d’avoir d’autres travailleurs sous ses ordres ne suffisent pas en soi à conclure à une fonction dirigeante élevée.»

«L'OCIRT se base, bien évidemment, sur les commentaires du Seco ainsi que sur la jurisprudence rendue en la matière», assure Laurent Paoliello, en ajoutant que «ce dossier est en cours d'instruction». Bref, circulez, y a rien à voir!

Vraiment indépendants?

Migros présente les gérants de Voi comme des «entrepreneurs indépendants». Doivent-ils acheter ou louer la franchise? Dans la brochure de présentation de Voi, il est écrit que les franchisés doivent disposer de «certains fonds propres», sans plus de précision. Pour gérer ces deux Voi genevois, Migros a recruté ses propres collaborateurs. Et on sait que le niveau des salaires des employés de base dans l’entreprise ne permet pas d’accumuler des fortunes.

Il faut noter que l’entreprise reste propriétaire des murs, la société a ainsi investi 1,2 million de francs dans la rénovation de la place du Cirque, nous apprend Migros Magazine. Migros fournit l’agencement, les services informatiques, de marketing et de promotion, livre bien sûr tous les articles mis en vente, gère les stocks et fixe les prix. Il semble que les horaires d’ouverture soient aussi décidés par la maison-mère. Les Voi sont donc fournis clés en main, les gérants n’ont plus qu’à embaucher et à gérer le personnel.

Parade trouvée

Se pourrait-il qu’il s’agisse de «faux entrepreneurs» à l’instar des faux indépendants que l’on trouve dans certaines branches? Pour en avoir le cœur net, nous avons demandé à Migros Genève de consulter un contrat de franchise, mais essuyé un refus. «Les magasins Voi Migros Partenaire sont des commerces indépendants gérés par des franchisés autonomes, qui travaillent majoritairement en famille», répète Isabelle Vidon, responsable des relations publiques de Migros Genève.

Secrétaire syndical d’Unia Genève, Pablo Guscetti nous rend attentifs à un point: selon la Loi sur le travail, ne peuvent travailler en dehors des horaires usuels que «le conjoint ou le partenaire enregistré du chef de l'entreprise, ses parents en ligne ascendante et descendante et leurs conjoints ou leurs partenaires enregistrés, ainsi que les enfants du conjoint ou du partenaire enregistré du chef de l'entreprise».

Un gérant de Voi peut donc travailler tranquillement avec son épouse le dimanche. Mais c’est un peu limite de tenir à deux un magasin de près de 200 mcomme celui de la place du Cirque durant huit heures, sans compter la mise en place le matin ainsi que le rangement et le nettoyage le soir. Une parade a été trouvée: l’ancien responsable du rayon fruits et légumes, qui a pris la franchise, s’est associé avec son frère dans une société en nom collectif. Avec leurs épouses, ils se retrouvent à quatre.

Par contre, nous n’avons pas trouvé trace dans le Registre du commerce du responsable du Voi de Meyrin, ce qui est pour le moins étrange de la part d’un «entrepreneur indépendant».

«Le problème, c’est l’absence totale de contrôle dans les commerces», note Pablo Guscetti, qui s’inquiète en particulier du contournement de la CCNT.

Contre-attaque de Coop?

Coop, pour sa part, n’emploie pas les mêmes méthodes. Mais pour combien de temps encore? Avec les Migros de l’aéroport, de la gare Cornavin et de Neydens, en France voisine, ainsi que ses deux Voi, le géant orange a pris position sur les courses du dimanche dans la région genevoise. Et Migros Genève ne cache pas ses ambitions, lançant des appels aux gérants volontaires et aux surfaces disponibles. Les campagnes genevoises dépourvues de Migros pourraient se couvrir rapidement de Voi, tous ouverts le dimanche. Sans parler des possibilités offertes par les nouvelles gares qui seront inaugurées en décembre lors du lancement du Léman express. Comment Coop pourrait rester impassible? Ainsi, à la gare Cornavin, où Migros enregistre un chiffre d’affaires record, le distributeur bâlois a répliqué avec deux points de vente dans l’enceinte ferroviaire, ouverts plus longtemps, jusqu’à minuit.

Il serait temps de mettre le holà à cette dérive. Mais Migros a le bras long à Genève. Fin novembre, l’entreprise a réussi à placer son président, Guy Vibourel, à la tête de la Fondation pour les terrains industriels. Migros Genève a pourtant de gros intérêts immobiliers en jeu, mais le Conseil d’Etat, présidé par l’écologiste Antonio Hodgers, a passé outre. Un autre Vert, Robert Cramer, siège au Conseil d’administration de Migros Genève depuis 2012. A suivre.


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