«Faisons respecter la volonté populaire!»
A Genève, syndicats et partis de gauche lancent un référendum contre le passage en force de l’ouverture des magasins le dimanche sans compensation pour les employés
Comme annoncé dans notre édition précédente, le Grand Conseil genevois a approuvé, le 21 septembre dernier, une modification légale dite temporaire permettant l’ouverture des commerces trois dimanches par an jusqu’au 31 décembre 2020. Les Genevois, qui se sont exprimés sur la question en novembre 2016, avaient pourtant demandé que les ouvertures dominicales soient directement liées à la négociation d’une Convention collective de travail (CCT) qui protège les employés du secteur. Avec le passage en force de ce projet de loi, qui ne prévoit aucune contrepartie, l’exigence de la CCT tombe. Face à ce «déni démocratique», les syndicats et les partis de l’Alternative ont décidé de lancer un référendum.
«Les vendeurs que nous représentons ne sont pas forcément fermés à l’ouverture des dimanches, mais ils veulent des remparts contre des conditions de travail toujours plus difficiles et toujours plus flexibles», relève Pablo Guscetti, du syndicat Unia, lors d’une conférence de presse. Sa consœur de Syna, Ilaria Sergi, insiste sur les contraintes auxquelles sont exposées les vendeuses. «Le temps partiel est souvent imposé, il n’y a pas de congé fixe, pas d’horaire régulier et on leur demande d’être toujours disponibles. Comment voulez-vous qu’elles complètent leurs revenus avec un second emploi? C’est impossible. Sans CCT, il n’y aura pas de compensation digne pour les employés.» Pour Jesús Gomez, du SIT, c’est la manière de procéder qui pose problème. «Déjà en 2017, alors même qu’on négociait une CCT avec les employeurs du commerce de détail, ils se sont acoquinés, dans notre dos, avec la Société des employés de commerce (SEC) qui n’a aucun membre actif à Genève. Je n’ai jamais vu cela en trente ans de syndicalisme, c’est un dénigrement total du partenariat social et des syndicats représentatifs.»
Horaires versus pouvoir d’achat
La gauche genevoise a elle aussi rallié la cause. «L’argument de la droite et des milieux patronaux est la lutte contre le tourisme d’achat, souligne le Vert Dominique Tinguely. C’est un faux prétexte. Si les gens vont faire leurs courses en France, ce n’est pas parce que les magasins y sont ouverts, c’est parce que c’est moins cher!» Et ce dernier d’évoquer une étude de 2017 mettant en lumière que Coop et Migros étaient les détaillants qui dégagaient les plus grandes marges brutes d’Europe. «Pour garder les clients, une solution serait d’abord de baisser les prix…» Pour l’élu, si le travail du dimanche est une «atteinte à la santé sociale», c’est aussi une manière de tuer les petits commerces, qui s’en sortent justement en ouvrant quand les grandes enseignes sont fermées.
Clairement, pour les auteurs du référendum, ce projet de loi va droit dans le mur. «Les consommateurs ne vont pas dépenser plus car ils n’ont pas plus d’argent qu’avant, s’indigne Jocelyne Haller, d’Ensemble à Gauche. Ils vont simplement différer leurs achats. On veut nous faire croire que l’animation de la ville passe uniquement par l’activité mercantile, mais on peut voir la société d’une autre manière, notamment en développant la culture par exemple.» Pour la députée, qui dénonce une manœuvre «grossière et tordue», ce projet de loi n’augure rien de bon. «La Commission de l’Economie a donné son aval pour l’ouverture des magasins six jours sur sept jusqu’à 20h, toujours sans compensation. Quand on connaît l’échec des nocturnes du jeudi, c’est scandaleux!»
Très déçu par l’attitude des milieux patronaux et de la droite, notamment du revirement du MCG, le socialiste Romain de Sainte Marie pose la question du bilan de ces ouvertures dominicales. «Nous n’avons aucun élément déjà aujourd’hui, sur quelles bases allons-nous donc l’établir?» Ce dernier reste confiant quant à la votation à venir. «Les Genevois n’aiment ni être pris pour des idiots, ni voter deux fois sur un même objet, j’ai donc bon espoir qu’ils confirment leur choix.»
Le référendum ayant un effet suspensif sur la modification légale, l’ouverture des dimanches n’aura pas lieu cette année. «Le dialogue social est de plus en plus difficile, constate Dominique Tinguely. Il va falloir aussi que le Conseil d’Etat prenne ses responsabilités et tape du poing sur la table.»
L’instrumentalisation de la précarité des jeunes
L’argument qui revient souvent dans la bouche des défenseurs des ouvertures des commerces le dimanche est de permettre aux jeunes d’avoir des petits boulots et d’acquérir des compétences. La Jeunesse socialiste s’y oppose. «On parle de l’emploi étudiant comme si c’était un état de fait naturel et normal, dénonce Thomas Bruchez. Les étudiants ne travaillent pas par plaisir mais par nécessité, ce ne sont plus des jobs pour se faire de l’argent de poche mais des boulots alimentaires. Les employeurs et la droite se nourrissent de la précarité des jeunes pour encourager l’ouverture des dimanches, et ce n’est pas normal.» Et de conclure: «Quant à l’expérience, ce n’est pas en trois jours de travail qu’on acquiert quoi que ce soit!»