Qui a le droit d’être violent?
Alors que de nombreuses manifestations citoyennes font l’objet de répressions de plus en plus brutales, le réalisateur français David Dufresne présente Un pays qui se tient sage. Un film d’une rare perspicacité qui invite à s’interroger sur la légitimité de l’usage de la violence par l’Etat
Dans une petite salle de cinéma, deux protagonistes qui ne se connaissent pas, une table et deux verres d’eau. Sur l’écran, on projette des vidéos amateurs d’affrontements manifestants-policiers. La conversation entre le binôme se met alors en place autour des images diffusées. Voici, dans les grandes lignes, le concept du documentaire Un pays qui se tient sage, réalisé par le lanceur d’alerte, auteur et cinéaste français David Dufresne. Les intervenants? Des manifestants et des représentants des forces de l’ordre, mais surtout des historiennes, écrivains, sociologues, avocats, etc., qui viennent encore élever et complexifier un débat a priori binaire. Mais la fonction des uns et des autres ne sera pas révélée avant le générique de fin. Toute l’intelligence de ce documentaire consistant à écouter chacun sans préjugés, ainsi que l’explique le réalisateur: «Si je précise qu’Untel est secrétaire national d’Alliance Police, qu’Untelle est chercheuse, etc., le spectateur va plaquer d’emblée ses opinions préconçues sur la parole de l’intervenant, avant même que ce dernier prononce sa première phase.» Un choix judicieux et qui vient encore donner plus de force à des discours et des analyses d’une rare pertinence.
De plus, en montrant sur grand écran des images immortalisées généralement par les téléphones portables des manifestants, David Dufresne vient leur redonner toute leur puissance et leur brutalité. Ce que l’écran d’un ordinateur ou d’un smartphone ne pourra qu’effleurer.
Légitimité versus légalité
Soutenu par ces supports formels impeccablement soignés, le cinéaste égrène un discours rigoureux sur la distinction entre la légitimité et la légalité des violences policières. En rappelant que le maintien de l’ordre est un choix politique ou encore que la police se doit d’être au service du peuple et non du gouvernement. Au centre de sa réflexion, la citation du sociologue allemand Max Weber qui affirme que «l’Etat revendique le monopole de la violence physique légitime». «Il n’y a que l’Etat qui a le droit d’être violent», paraphrase à ce propos une intervenante. Pire encore, le pouvoir estimerait être le seul légitime à être autorisé à dire ce qui est brutal et ce qui ne l’est pas. «Qu’il y ait de la violence du côté de certains manifestants est une évidence, explique encore David Dufresne, mais la question est: cette violence est-elle délictuelle ou politique?... Il y a dans notre société une violence sourde, invisible, d’ordre économique, social, politique, et c’est cette violence diffuse, impalpable, qui appelle en réponse la violence d’une partie des manifestants. La police me reproche parfois d’oublier le contexte d’une violence policière, de ne pas m’arrêter à ce qui s’est passé dix ou vingt secondes avant… Mais le contexte, ce n’est pas seulement dix secondes avant, c’est trente ans!» Et c’est bien à cela qu’invite brillamment et implacablement Un pays qui se tient sage: prendre du recul pour appréhender les rouages de ces dérives. A ne pas manquer!