Trois ans pour agir
Dans sa dernière publication du 4 avril, le GIEC appelle une nouvelle fois à urgemment et drastiquement baisser nos émissions de CO2 pour espérer conserver une planète «vivable»
Si nous n’agissons pas contre les émissions de gaz à effet de serre, l’humanité court à la catastrophe. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) l’a souvent dit, mais il le répète à l’occasion de la publication, le 4 avril, du troisième volet de son sixième rapport. Une prise de conscience immédiate doit avoir lieu au niveau des Etats, des entreprises et des citoyens. Tout le monde doit s’y mettre. Afin de sauver les meubles, les émissions de CO2 devront atteindre leur apogée en 2025, dans trois ans, mais la trajectoire empruntée actuellement semble mettre cet objectif «hors de portée» selon les scientifiques.
Sonia Seneviratne, climatologue suisse et professeure à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, commente le dernier compte-rendu du GIEC. Spécialiste des événements climatiques extrêmes, elle a participé au premier volet du rapport en question publié en août 2021, coordonnant le chapitre sur sa spécialité.
Comment évaluez-vous dans son ensemble ce dernier volet?
Je l’ai trouvé très utile et clair. Il contient de nombreux messages importants. En particulier sur l'urgence à agir et sur le fait que des solutions à la transition énergétique sont maintenant disponibles à bas coût.
Les experts du GIEC sont une nouvelle fois très alarmistes: ils nous donnent trois ans pour changer les choses. N’est-il pas déjà clairement trop tard? Peut-on encore sauver la planète?
C'est la situation qui est alarmante, et non pas les experts qui sont alarmistes. Il est clairement urgent d'agir. Les politiciens se sont fixé l'objectif de limiter le réchauffement global à 1,5 °C, mais les engagements pris nous mettent en ce moment sur une trajectoire à 3,2 °C. Si les scientifiques ne tiraient pas la sonnette d'alarme, ils ne feraient pas leur travail. Ce n'est pas forcément la survie de la planète qui est en jeu, mais plutôt notre sécurité, notre qualité de vie et notre bien-être. Si nous ne parvenons pas à limiter le réchauffement global à 1,5 °C, nous devrons faire face à des événements extrêmes encore plus intenses et fréquents, nous aurons parfois à faire face à des événements auxquels nous ne pourrons pas nous adapter, avec plus de morts et de dégâts irréversibles à la clé.
Que doit-on faire pour inverser la vapeur?
Nous devons diminuer nos émissions de CO2 de moitié d'ici à 2030. La source principale d'émissions de CO2 est la combustion d'énergies fossiles, donc de pétrole, gaz et charbon. Il nous faut donc remplacer les chauffages à pétrole ou gaz par des pompes à chaleur électriques, renoncer aux voitures à essence, donc développer des transports publics plus performants et des meilleures infrastructures pour les cyclistes et les voitures électriques. Nous devons aussi augmenter la production électrique générée par des énergies renouvelables, c'est-a-dire le solaire, l'éolien et l'hydroélectricité.
Techniquement peut-on vraiment, dans un court délai, se passer de gaz et du pétrole? Est-ce simplement une question de bonne volonté?
C'est possible de diminuer une très grande part de notre consommation de gaz et de pétrole. Il nous faut des décisions au niveau fédéral nous permettant d'aller dans cette direction. En particulier, il nous faut augmenter notre production d'électricité à base d'énergies renouvelables.
Les experts appellent à la sobriété, qu’est-ce que cela implique concrètement?
Le terme de sufficiency (sobriété) est mentionné dans le rapport. Il est noté qu'environ 10% des émissions associées aux bâtiments pourraient être réduites par ce biais. Dans le domaine de la nourriture, une généralisation de régimes alimentaires sains et équilibrés (céréales, légumes et fruits, des noix, peu de viande mais pas nécessairement végétarien) ainsi que la réduction des déchets alimentaires peut diminuer les émissions de façon non négligeable: nous pourrions éviter ainsi environ 2 GtCO2 équivalents d'émissions par année, ce qui correspond à environ 3% des émissions annuelles.
A quoi doit-on s'attendre si ces objectifs ne sont pas tenus?
Les conditions vont continuer à se péjorer et nous prenons le risque d'atteindre des points de bascule dans le système climatique.
Le rapport évoque des «promesses creuses»: pourquoi les Etats sont-ils si inactifs sur la question climatique?
Il y a des lobbys financiers très puissants qui tentent de freiner cette transition climatique et énergétique par tous les moyens. Il y a aussi beaucoup de désinformation sur le sujet. Un exemple est la voiture électrique: une voiture électrique permet de diminuer les émissions de CO2 de moitié par rapport à une autre fonctionnant à l’essence. Pour les personnes ayant besoin d'une voiture, c'est clairement la meilleure solution. Mais des arguments erronés sont souvent mis en avant pour décourager cette transition.
On a eu une impression de prise de conscience pendant la pandémie, que l'humain et la nature étaient remis au centre. Est-ce que le monde a repris son cours comme avant, de manière aussi destructrice? N'a-t-on tiré aucune leçon du Covid-19?
C'est encore trop tôt pour le dire. Dans notre domaine, les conférences n'ont pas repris au même rythme. Je vois dans mon entourage que la crise du coronavirus a amené à une réflexion sur les choix de vie quotidienne. Et la guerre en Ukraine a aussi montré que notre dépendance aux énergies fossiles nous rend vulnérables aux pressions des pays exportateurs. J'espère que nous pourrons collectivement tirer les leçons de ces récentes crises. Nous devons nous passer des énergies fossiles de toute urgence et chacun d'entre nous doit faire sa part.