Alors que le projet d’ouvrir les magasins un dimanche par mois va de l’avant, des vendeuses rejettent la proposition et dénoncent des conditions de travail déjà difficiles.
Garder les commerces ouverts un dimanche par mois: l’idée suit son chemin, comme L’ES l’a relaté dans sa dernière édition, à la suite d’un avis positif de la Commission du Conseil national de l’économie, emboîtant le pas à celle du Conseil des Etats. Mais qu’en pense le personnel de vente? Comment réagit-il à cette nouvelle dégradation potentielle de ses conditions de travail alors que la branche est déjà réputée pour ses bas salaires, la pénibilité de l’activité, les pressions subies et la difficulté des employées à concilier vie professionnelle et vie privée – le secteur compte une majorité de femmes. Quatre vendeuses souhaitant garder l’anonymat répondent à ces questions et parlent plus généralement de leur travail ou de ce qui a été hier leur job, ayant depuis jeté l’éponge ou été licenciées.
Témoignages
Jarana (Vaud) : « Je m’épuisais»
«Déjà qu’on est privés du samedi, comment pourrait-on encore aller travailler le dimanche?» Jarana pense à ses collègues. Elle, par contre, a donné sa démission, après plus de dix ans de service, tant ses conditions de travail se sont dégradées et sa santé avec. «J’ai essayé de faire de mon mieux, mais j’étais en train de m’épuiser et de me faire encore plus mal. Rester debout longtemps et porter de lourdes charges n’était plus possible.» Malgré sa situation précaire, elle veut voir le verre à moitié plein. «Mes filles sont heureuses de me voir à la maison, sourit-elle. Il m’arrivait comme responsable du magasin de rentrer après 20h et même plus tard, juste le temps de leur dire bonne nuit. Pour la vie familiale, c’est dur.» Jarana a pourtant aimé son travail. «Au début, l’ambiance était humaine, on était soudés, on s’entraidait et on travaillait avec joie. Actuellement, les gens engagés ne sont pas formés, donc ça surcharge tout le monde.» Plus spécifiquement, les changements incessants de gérance ont accentué la détérioration des conditions de travail. «Plusieurs personnes malades ont subi des pressions. Une collègue a même été appelée le jour de son opération pour savoir quand elle allait revenir.» Les horaires sont devenus également problématiques. «On ne touche plus les heures supplémentaires, car ils nous imposent des congés pour ne pas devoir payer les suppléments. Les plannings sont parfois fixés moins d’une semaine avant, sans compter les imprévus. Même celles et ceux qui travaillent à 50% doivent être disponibles à 100%.» Jarana cherche du travail, mais plus dans la vente. «Depuis la fin du Covid, les clients sont devenus plus agressifs, plus égoïstes, arrogants. On dirait qu’on est leurs esclaves.»
Ana (Fribourg) : « Six jours par semaine, ça suffit»
Travailler un dimanche par mois? Ana, qui est employée depuis près de dix ans dans un commerce de taille moyenne dans le canton de Fribourg, ne voit pas cette idée d’un bon œil. «Dans la vente, nous avons déjà des horaires très élargis par rapport aux autres professions, en particulier comparé aux gens qui travaillent dans des bureaux. Je fais une nocturne une fois par semaine, deux samedis par mois et il faudrait en plus travailler régulièrement le dimanche?» Elle a abordé le sujet avec ses collègues, qui sont du même avis qu’elle. «Les commerces sont déjà ouverts six jours par semaine, ça suffit. Il n’y a vraiment pas besoin d’ouvrir en plus un dimanche par mois. Si nécessaire, il y a les shops des stations-services.» Le dimanche est actuellement le seul jour de repos fixe le week-end pour les vendeuses, qui doivent souvent jouer les prolongations. «Une fois le magasin fermé, raconte Ana, il faut encore faire la caisse et ranger. Cela prend environ un quart d’heure et on n’est pas payées pour ça. Mais j’ai connu pire dans un précédent emploi, où j’avais parfois des journées de douze heures non-stop. Je devais manger sur place, en m’interrompant si un client arrivait. Ce n’est pas si rare dans la vente, même si ce n’est heureusement plus le cas dans mon emploi actuel.»
Maria (Vaud) : « On est devenus des numéros»
A l’idée de travailler 12 dimanches par année, les yeux de Maria s’écarquillent de surprise. «Déjà qu’on doit être disponible tout le temps dans la vente…» Pour l’heure, malgré ses quinze ans de loyaux services, Maria a été mise à la porte après six mois de congé maladie. «J’ai traversé une période tellement difficile avec la naissance prématurée de ma fille que je ne vais pas mourir pour un licenciement. Ce n’est pas la fin du monde!» soupire-t-elle, avec un certain soulagement dans la voix. «J’ai subi, comme mes collègues, beaucoup de harcèlement et de pression. Je me sentais nulle, car on me le disait tous les jours. Il n’y avait jamais de compliments. Au début, l’entreprise était quasi familiale, il y avait des valeurs. Depuis quelques années, on est devenus des numéros, avec un stress énorme en prime. Vous savez, quand je rentre dans un shop de station-service, il y a plus de personnel que dans le magasin, beaucoup plus grand, où je travaillais. Je devais m’occuper de tout: la caisse, la mise en place, l’accompagnement des clients, faire les commandes, s’occuper de chauffer le pain, lire les circulaires, s’occuper des palettes, et on n’arrêtait pas de me dire: “Pourquoi t’as pas fait ça?” Ça me donnait juste envie de pleurer. Pendant quinze ans, j’ai tout donné pour ce boulot, avant ma santé, avant ma famille, sans aucune reconnaissance. Et maintenant… un licenciement. Je digère encore, mais je le vois comme une opportunité de faire quelque chose d’autre. J’aime travailler, et je vais trouver ailleurs. J’essaie de rester confiante et positive.»
Lurds (Neuchâtel) : «On n’a pas de vie de famille»
«On nous demande sans cesse de nous adapter et de travailler plus, mais à un moment donné, ce n’est plus possible.» Après avoir été employée pendant près de vingt ans chez Coop, Lurds a remis sa démission en novembre dernier. La pénibilité des horaires de travail et le manque de perspectives de progression professionnelle ont fini par avoir raison de sa motivation. «Les horaires n’arrêtent pas de changer, c’est comme du travail sur appel. Souvent, ce n’est qu’en arrivant le matin qu’on nous dit jusqu’à quelle heure on doit rester. Des fois, il faut être là de l’ouverture à la fermeture du magasin, avec une longue pause de deux heures à midi. Mais malgré ça, on n’a pas forcément le temps de rentrer chez soi manger, alors on reste sur place et on ne se repose pas vraiment.» Autrement dit, les vendeuses doivent être en permanence à la disposition du magasin: «Je travaillais tous les samedis, sans avoir un jour fixe de libre dans la semaine. Et quand on demande des congés ou des vacances, ce sont toujours les besoins de l’entreprise qui passent en premier.» Lurds confie que ces conditions de travail ont eu des conséquences néfastes sur sa santé, tant mentale que physique. En plus, les salaires ne sont pas mirobolants: «Avec un CFC et presque vingt ans d’ancienneté, je ne gagnais que 4500 francs brut par mois. J’ai fini par être nommée responsable du rayon boulangerie, mais je n’en avais que le titre et devais tout faire, y compris le service. Alors je travaillais aussi pendant mes pauses, pour passer les commandes, etc. Dans ce métier, on n’a déjà pas de vie de famille. S’il faut en plus faire un dimanche par mois, ça n’est pas acceptable!»