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«Notre succès s’est construit sur un engagement passionné»

Vasco Pedrina durant sa présentation avec une photo de la manifestation nationale sur la place Fédérale en 2002.
© Olivier Vogelsang

De juin 2001 à mars 2002, le SIB a organisé plusieurs actions de protestation. La campagne en faveur de la retraite anticipée a culminé le 16 mars sur la Place fédérale où 15000 maçons ont décidé le lancement d’une grève, a rappelé Vasco Pedrina, l’une des chevilles ouvrières de cette conquête syndicale.

A l’occasion des 20 ans de la retraite anticipée dans la construction, Vasco Pedrina, président du syndicat à l’époque, retrace l’histoire de cette lutte

Comme nous l’indiquions dans notre dernière édition, la retraite anticipée dans le secteur principal de la construction a fêté ses 20 ans le 1er juillet. Depuis 2003, quelque 30000 salariés du gros œuvre ont pu prendre une retraite méritée à l’âge de 60 ans. Cet acquis n’est toutefois pas tombé du ciel, il est le résultat d’un combat opiniâtre. «Ce fut l’une des luttes les plus dures que nous avons eues à mener ces dernières décennies», se souvient Vasco Pedrina, l’une des chevilles ouvrières de cette conquête syndicale.

Invité le 1er juillet par Unia Neuchâtel à évoquer ses souvenirs, le syndicaliste, qui était à l’époque président du Syndicat industrie et bâtiment (SIB), l’une des organisations ayant donné naissance à Unia, a retrouvé la première affiche évoquant la retraite anticipée. C’était en 1990. Deux tentatives de faire passer la mesure à l’occasion des négociations pour le renouvellement de la Convention nationale (CN), en 1993 et en 1997, échouent, malgré des déclarations d’intention.

C’est le moment où une nouvelle génération de syndicalistes arrive à la direction de l’organisation. «Nous estimions qu’il fallait orienter le SIB vers plus de combativité. Les Trente glorieuses avaient avachi le syndicat. Nous n’avions plus mené de grèves depuis 50 ans et nous ne savions plus le faire.»

«Blick» fait campagne pour les maçons

En vue du renouvellement de la CN en 2002, il est décidé de faire de la retraite anticipée une revendication prioritaire et de préparer le terrain bien en amont. Dès l’été 2000, le SIB lance une campagne sur le thème de l’inégalité sociale face à la mort et à l’invalidité, qui rencontre beaucoup d’écho. Un appel national signé par des personnalités est lancé. «Nous avons réussi à gagner l’opinion publique à notre cause. Le quotidien Blick s’est même mis à faire campagne pour nous», sourit Vasco Pedrina.

Au printemps 2001, une enquête est menée auprès de 4000 travailleurs, qui montre que 60% d’entre eux donnent la priorité à la retraite anticipée sur les autres revendications, contre 28% à l’augmentation des salaires. Il faut dire que le SIB a obtenu de bonnes augmentations durant les deux années précédentes. La retraite anticipée n’emporte toutefois pas l’adhésion de tous. «Nous avions beaucoup de jeunes saisonniers qui ne pensaient pas à leur retraite. Mais par un travail de sensibilisation de longue haleine, nous avons pu convaincre ces jeunes.»

De juin 2001 à mars 2002, le SIB organise plusieurs actions de protestation. La campagne culmine le 16 mars sur la Place fédérale où 15000 maçons décident le lancement d’une grève. «Les urnes passaient par-dessus les têtes, c’était une manifestation très émotionnelle qui montrait notre détermination.»

Coup de théâtre

La Société suisse des entrepreneurs (SSE) est impressionnée, puisque deux jours plus tard elle signe un accord pour la retraite à 60 ans. Un mois après, l’assemblée des délégués de la faîtière patronale confirme ce choix.

On pense alors que la partie est gagnée, mais en juin, coup de théâtre: une nouvelle assemblée des délégués fait machine arrière et déchire l’accord!

«C’était une douche froide. Comment réagir? Nous avons décidé d’être très durs. Nous avons eu deux mois pour préparer le mouvement de grève à la rentrée. Le contexte n’était pas très favorable. La Suisse traversait une récession et, sur le plan politique, le conseiller fédéral Pascal Couchepin parlait d’augmenter l’âge de la retraite à 70 ans. Mais même des bourgeois étaient sidérés par la rupture de la SSE et nous avions encore plus de monde derrière nous. Nous avons organisé des grèves décentralisées, y compris dans des coins de campagne qui n’avaient jamais vu une manifestation. Défiler dans les rues de Saint-Moritz a eu autant d’impact qu’à Zurich.»

Un tunnel d’autoroute bloqué

Encore une fois, le SIB veut marquer un gros coup, cette fois le choix se porte sur le tunnel du Baregg. Percé près de Baden, dans le canton d’Argovie, l’ouvrage permet à l’autoroute A1 de relier Zurich à la Suisse occidentale. «L’idée était de montrer que nous étions capables de bloquer la Suisse.» L’opération est compliquée. Il s’agit d’acheminer en bus 2000 participants depuis Berne et Zurich et de bloquer chaque entrée du tunnel sans provoquer d’accident. Pour ne pas être embêtés par la police, nous avions dit que nous allions manifester à Olten», s’amuse Vasco Pedrina. L’action devait durer 30 minutes, mais le tunnel est bloqué durant deux bonnes heures, provoquant des kilomètres de bouchon. «De chaque côté, on voulait traverser pour rejoindre les copains.» Et le tunnel mesure près de 1400 mètres. Le succès est au rendez-vous, car une semaine plus tard, le 12 novembre 2002, la SSE rend les armes.

Fort de cette réussite, le SIB se fondait deux ans après dans Unia, dont Vasco Pedrina devenait coprésident.

L’idée que la lutte paie

Vasco Pedrina et trois autres syndicalistes seront poursuivis par la justice pour cette action au Baregg. «Nous avons transformé cette procédure en procès politique. Ce qui comptait pour nous, c’est que la revendication de la retraite anticipée était légitime.» Le Tribunal fédéral finira par les condamner, par les voix de trois juges contre deux seulement, preuve que l’illégalité de cette mesure de lutte était l’objet d’une controverse.

«Il arrive rarement que l’on fasse des bonds en avant, la retraite anticipée a été l’un de ces bonds.» Parmi ces sauts, on peut citer, dans la construction, la première semaine de vacances (1944), la semaine de cinq jours (1962) ou encore le treizième salaire (1973). «Il faudrait une nouvelle grande avancée, on l’espère dans la prochaine décennie. Il est important de garder en tête les clés de nos succès antérieurs, même si chaque nouvelle lutte a ses spécificités.»

Quelles conclusions, utiles pour l’avenir, faut-il justement tirer de cette victoire? «Notre succès s’est construit sur un engagement passionné d’un grand nombre de militants et de secrétaires syndicaux. Mais préparer le terrain parmi les travailleurs et l’opinion publique, gagner leur adhésion pour une revendication ressentie comme une urgence est essentiel. Pour cela, il faut dépasser les peurs en bâtissant progressivement la confiance dans la force de l’unité, la solidarité et dans l’idée que la lutte paie.»

Silvia Locatelli et Vasco Pedrina.
La rencontre a été organisée par Unia Neuchâtel. Silvia Locatelli, secrétaire régionale, et Vasco Pedrina qui coprésida Unia à sa fondation, réunis sous les bannières syndicales actuelle et ancienne. © Olivier Vogelsang

 

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