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La grève, et après?

Aude Spang au micro.
© Olivier Vogelsang

Pour Aude Spang, ici lors de l’action du 31 mai à Berne durant laquelle une large alliance a appelé à la mobilisation le 14 juin, la nouvelle grève féministe a été un succès historique.

Deux semaines après le 14 juin, c’est l’heure de tirer le bilan de cette troisième grande grève féministe, mais aussi de questionner la suite du mouvement. Entretien avec Aude Spang, secrétaire à l’égalité d’Unia

Plus de 300000 personnes ont battu le pavé le 14 juin 2023, un nouveau succès pour les féministes. Aude Spang, secrétaire à l’égalité chez Unia, revient sur cette journée de mobilisation historique, mais aussi sur les luttes et les défis à venir, dans la rue et au sein du syndicat. Analyse.


Quel bilan peut-on tirer de cette journée de mobilisation?

C’était fantastique, puissant et important. C’est surtout une grosse victoire, car on a démontré que 2019 n’était pas juste un hasard dans la lancée du mouvement #MeToo, mais qu’il y a un vrai mouvement féministe en Suisse qui travaille et qui arrive à mobiliser. En termes de chiffres, on comptabilise plus de 300000 manifestantes et manifestants, donc une mobilisation massive: on s’inscrit dans une histoire féministe suisse avec trois grèves depuis 1991 qui montent chaque fois en intensité, en force et en lutte.

En 2019, les femmes ont pris conscience des inégalités et des discriminations. En 2023, le mouvement a été beaucoup plus radical et plus politisé. Au niveau syndical, il y a eu beaucoup de mobilisations sur les lieux de travail. L’attention a été attirée sur des secteurs peu visibles et à majorité féminine, avec des revendications claires qui ont été posées par branches à l’image de l’horlogerie, par des femmes sur les chantiers ou par des assistantes en pharmacie. C’est une belle avancée.

Que répondre aux critiques sur la baisse de la mobilisation?

Ces critiques sont sans intérêt. On a vu que cette lutte était massive et qu’elle avait largement bloqué le pays. Il n’y a pas d’autre cause en Suisse qui rassemble autant de gens partout, au même moment, dans les grandes villes et les petites localités. C’est unique et historique.

Comment expliquer cette mobilisation massive des femmes?

A cause d’AVS 21, mais aussi du fait que rien n’a bougé en matière d’égalité depuis 2019. Les femmes et les minorités de genre sont en colère, cette mobilisation répond à un besoin que les choses changent et s’améliorent.

La Grève des femmes va plus loin que le 14 juin: quels sont les combats à mener demain?

Au niveau de la politique institutionnelle, nous devrons mener des luttes concrètes sur des sujets qui touchent aux différentes revendications féministes, comme les rentes. Il faudra tout mettre en œuvre pour obtenir une 13e rente AVS et enterrer le projet LPP 21.

Sur la question des salaires, les syndicats organisent une grande mobilisation le 16 septembre à Berne. C’est important d’y participer pour des raisons féministes, car les métiers à majorité de femmes sont les plus exposés aux bas salaires et il est urgent d’améliorer leur situation économique.

Dans les branches, la suite sera d’obtenir les revendications féministes sur les lieux de travail et de les intégrer dans les négociations conventionnelles. Quoi qu’il arrive, il faut maintenir l’organisation collective avec ses collègues afin de conquérir des avancées.

Enfin, le mouvement féministe dans sa globalité va continuer à mettre la pression sur la Suisse pour lutter contre les inégalités et les discriminations. Et puis, toutes ces personnes qui ont participé en juin sont actives dans la société et elles vont porter des luttes partout où elles sont: au travail, à la maison, dans leur quartier... c’est ça aussi les fruits de cette mobilisation!

Peut-on dire que ce 14 juin a aussi porté ses fruits au niveau politique ou social?

La Grève féministe fait bouger les lignes. Elle a permis une conscientisation des discriminations et elle a autorisé les femmes à être en colère et à l’exprimer. Il y a une vraie politisation du sujet de l’égalité. Ce mouvement relancé en 2019 aura un impact pour les décennies à venir.

Au niveau institutionnel et politique, on a obtenu un congé paternité, même si sa durée est ridicule, et on a le mariage pour toutes et tous, mais aucune protection contre la transphobie. Les salaires minimums cantonaux et communaux touchent eux directement les femmes qui ont souvent les salaires les plus bas.

Cela dit, le 14 juin même, le Parlement a tenu une session extraordinaire sur l’égalité, et toutes les propositions ont été balayées. Les Chambres sont complètement déconnectées de ce que réclame le peuple.

Il y a eu une guerre des chiffres entre les collectifs et les autorités, mais aussi des agressions à déplorer dans certains cortèges. Quelle est votre réaction?

En effet, on observe une volonté politique des autorités de minimiser l’importance des manifestations pour décrédibiliser l’ensemble de la lutte. Quant aux agressions, que nous condamnons fermement, c’est une réalité qui montre que le patriarcat est dérangé par le fait que les femmes et les minorités de genre occupent l’espace public. Cela exprime aussi une certaine crainte, car si nous n’étions rien, il n’y aurait pas de réactions si fortes. Le fait que, à Zurich par exemple, c’est la police qui a commis une agression, nous dit aussi quelque chose sur le rôle que peuvent jouer les forces de l’ordre dans les luttes sociales.

Est-ce que le 14 juin permettra de renforcer la présence des femmes dans les rangs des syndicats?

Il est plus difficile d’organiser les femmes dans certaines branches que dans d’autres. La construction syndicale prend du temps et cette grève a été une bonne opportunité de se concentrer sur les branches à majorité de femmes. Le défi sera désormais de maintenir cette activité et de ne pas lâcher sur les revendications féministes dans le travail syndical quotidien.

Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais petit à petit, à force de maintenir notre présence sur le terrain. Plus on sera là, plus les femmes s’identifieront à Unia: il y aura un impact à moyen terme. La proportion de femmes augmente au sein des syndicats, et je pense que cette tendance va continuer si on est visible comme une force de lutte féministe, ce que l’on a été. Nos militantes se sont d’ailleurs beaucoup mobilisées pour ce 14 juin et elles ont accompli un travail incroyable: ce sont elles aussi qui vont faire grossir les rangs du syndicat à terme.

Il faut encore soulever que les collectifs et les syndicats se sont particulièrement bien cordonnés en 2023; le rôle des syndicats dans la lutte féministe est clair. Les collectifs ont appelé à rejoindre les syndicats, dont ils reconnaissent l’importance. Cela va aussi avoir son impact dans les années à venir.

Quelles leçons peut-on tirer de ce 14 juin?

Le travail de construction syndicale a été important et la mobilisation des travailleuses a été remarquable. On voit que, quand on écoute les travailleuses et qu’on leur laisse un espace, la force de frappe est grande; cela les motive et elles mobilisent leurs collègues à leur tour. Poursuivre ce travail renforcera le syndicat.

Il est aussi indispensable pour les syndicats de continuer à avoir de bonnes relations avec les mouvements sociaux qui luttent sur le terrain, car quand on combine nos forces, on est bien plus puissants! Ce qu’on a fait en 2019 et en 2023 est historique!

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