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«Il s’agit d’une attaque frontale contre les gens qui travaillent»

«Il y a des métiers où travailler plus longtemps est impossible», rappelle Benoît Gaillard, le porte-parole de l’Union syndicale suisse (USS), devant l’entrée d’un chantier du centre-ville de Lausanne.
© Thierry Porchet

«Il y a des métiers où travailler plus longtemps est impossible», rappelle Benoît Gaillard, le porte-parole de l’Union syndicale suisse (USS), devant l’entrée d’un chantier du centre-ville de Lausanne.

Soumise en votation le 3 mars, l’initiative «Pour une prévoyance vieillesse sûre et pérenne» des Jeunes PLR «vise à affaiblir l’AVS», met en garde le syndicaliste Benoît Gaillard

Au menu des votations du 13 mars, il y a aussi l’initiative «Pour une prévoyance vieillesse sûre et pérenne», dite initiative sur les rentes, des Jeunes libéraux-radicaux. Son texte propose de reculer l’âge de départ à la retraite à 66 ans pour tous et toutes d’ici à 2033 puis, à partir de là, de lier par étapes l’âge de référence à l’espérance de vie. A l’horizon 2050, la retraite devrait se situer à 67 ans et sept mois selon les initiants. «Sous couvert d’un prétendu bon sens, c’est une recette idéologique qui méprise la réalité des travailleurs et des travailleuses», dénonce Benoît Gaillard, le porte-parole de l’Union syndicale suisse (USS) et chef de campagne pour la 13e rente, par ailleurs conseiller communal socialiste à Lausanne. Interview.

Que faut-il penser de cette initiative sur les rentes?
C’est une attaque frontale contre les gens qui travaillent. Allez demander à une infirmière, à un ouvrier de la construction, à une vendeuse ou à un magasinier s’ils peuvent bosser deux ans de plus! Il y a aussi les métiers où le stress est très présent, là aussi, travailler plus longtemps est impossible. L’initiative ne prévoit aucune exception. Aucune! Et elle menace directement les solutions de retraite anticipée paritaires qui existent.

Cela paraît pourtant logique d’aligner l’âge de la retraite sur l’espérance de vie, non?
Non, c’est une double erreur. D’abord, le fait de vivre plus longtemps ne veut pas dire que, arrivé à 65 ans, on est plus en forme qu’avant pour continuer à travailler. Cela n’a rien à voir. La fatigue physique ou mentale, l’usure sont les mêmes à 65 ans, même si l’espérance de vie après 65 ans est un peu plus grande. Pour beaucoup de gens, les dernières années avant la retraite sont déjà difficiles, on serre les dents… La seconde erreur, c’est de croire que l’espérance de vie en hausse pose un problème financier aux retraites. En Suisse, les gens sont de plus en plus nombreux à avoir un travail salarié. Les femmes notamment travaillent plus qu'avant. Et nous sommes de plus en plus productifs: en une heure, on fait plus qu’il y a vingt ans. Tout cela rapporte de l’argent à l’AVS et compense largement le vieillissement. La preuve: l’AVS fait des bénéfices.

Il s’agit donc d’une recette simpliste?
C’est une recette idéologique qui vise à affaiblir l’AVS, sous couvert d’un prétendu bon sens. C’est une recette qui méprise la réalité des travailleuses et des travailleurs.

La plupart des pays d’Europe occidentale relèvent l’âge de la retraite à 66 ou 67 ans, pourquoi la Suisse ne ferait-elle pas pareil?
Ce qu’on ne dit jamais, c’est que, dans ces pays, il y a la plupart du temps un double système: en plus d’un âge de référence, on a le droit de partir plus tôt avec une retraite pleine si on a par exemple 40 ou 42 années de cotisations. En Suisse, ce n’est pas comme ça. Partir avant l’âge AVS signifie une rente réduite, même si on a travaillé 44 ou 45 ans. Il faut comprendre que, si c’est oui, tout le monde devra bosser jusqu’à 66, puis 67 ans, d’ici à une dizaine d’années, pour avoir la rente AVS pleine.

Mais l’initiative n’empêche pas de prendre une retraite anticipée.
Avec une baisse de la rente AVS à la clé, durant toute la retraite. En cas de oui, quelqu’un qui devrait quand même prendre sa retraite à 65 ans aurait donc une baisse de rente. Voilà ce que signifie l’initiative. Seuls les très hauts salaires pourraient se financer, à coup de versements dans les 2e et 3e piliers, une retraite anticipée.

D’après les initiants, l’AVS serait au bord de la faillite, à l’USS, au contraire, vous assurez qu’elle se porte bien… Alors qui dit vrai?
Nous nous référons aux pronostics du Conseil fédéral: 3,5 milliards de francs de bénéfices en 2026, 70 milliards de réserves d’ici à 2030. Sur le plus long terme, une chose est sûre: tous les pronostics se sont toujours révélés trop pessimistes. Les banques prédisent à intervalles réguliers la faillite de l’AVS… et ce sont les banques qui font faillite. Le Conseil fédéral a toujours dû réviser ses scénarios, car l’AVS allait mieux que prévu. Il n’y a donc aucune raison de paniquer.

Il faudra quand même trouver un financement additionnel à l’avenir, aussi pour financer la 13e rente portée par l’USS. Quelle est votre solution?
L’initiative demande que la 13e rente soit introduite au plus tard en 2026. Cette année-là, le bénéfice prévu de l’AVS sera de 3,5 milliards. La 13e rente coûte environ 4 milliards. Si, une fois de plus, le bénéfice est un peu meilleur que prévu, la 13e rente sera entièrement financée déjà pendant quelques années. Ensuite, nous sommes clairs: s’il faut un financement à long terme, 0,4% de cotisation salariale supplémentaire suffit. Ce qui fait que les très hauts revenus vont payer massivement pour cette 13e rente. On peut aussi introduire ce supplément par paliers selon les besoins.

Cela pèsera dans le budget des ménages modestes, non?
Ils paieront beaucoup moins que ce que la 13e rente leur rapportera. De manière générale, 90% des gens touchent plus de rente AVS à la retraite que ce qu’ils ont payé toute leur vie en cotisations. C’est d’ailleurs pour ça que l’AVS est sans cesse attaquée. Elle répartit de l’argent du haut vers le bas et ceux qui sont en haut de l’échelle des revenus aimeraient payer moins pour les autres…

Les retraites anticipées dans le bâtiment sont en danger

L’initiative sur les rentes des Jeunes PLR menace directement les possibilités de retraite anticipée des salariés du bâtiment, alerte Unia.

Depuis 2003, les travailleurs du secteur principal de la construction bénéficient d’une retraite flexible à 60 ans et plus de 28000 d’entre eux ont pu depuis poser leur truelle à cet âge-là et toucher une rente transitoire correspondant à environ 70% du dernier salaire. «Mais cet acquis historique est désormais menacé», prévient Nico Lutz, responsable du secteur de la construction du syndicat. La Fondation pour la retraite anticipée (FAR) finance en effet au maximum les cinq années qui précèdent l’âge ordinaire de la retraite. Si cet âge de référence est relevé à 66 ans ou plus, la retraite des maçons sera repoussée d’autant. Or, avant l’introduction d’une retraite anticipée, seul un travailleur de la construction sur cinq arrivait à travailler jusqu’à 65 ans, les autres devant chercher un emploi moins pénible dans un secteur différent ou finissant à l’assurance invalidité lorsqu’ils n’étaient pas décédés prématurément. «A 55 ans déjà, ils ont des problèmes physiques liés au dur travail dans leur branche et beaucoup des plus âgés comptent les jours jusqu’à la retraite anticipée à 60 ans.» La FAR aurait de plus des difficultés à anticiper les évolutions de l’espérance de vie sur laquelle est bâtie l’initiative des Jeunes PLR.

Dans le bâtiment, cette initiative s’attaque aussi aux retraites anticipées des salariés des échafaudages, de l’enveloppe des édifices, du second œuvre romand, de la plâtrerie et de la peinture ou encore de l’industrie de la pierre naturelle. Des acquis de haute lutte qui permettent aux travailleurs entre 60 et 63 ans de s’épargner des années précieuses.

«L’initiative des Jeunes PLR économise sur le dos des employés qui travaillent dur, conclut Nico Lutz. Nous ne laisserons en aucun cas cela se produire.»

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