Des tuiles cuites au pied du Salève
A Genève, les tuiliers de Bardonnex, qui se battent depuis cet été pour sauver leur usine menacée de fermeture, présentent leur métier au travers d’une exposition de photos
A Genève, jusqu’au 21 novembre, le couloir principal de la Maison des associations accueille une exposition de photographies sur le travail des tuiliers de Bardonnex. Rappelons que les ouvriers de la Tuilerie de Bardonnex se battent depuis cet été pour sauver leur usine menacée de fermeture à la fin de l’année par le propriétaire du site, le groupe Gasser Ceramic. Pris par un travailleur de l’usine, les clichés montrent différentes étapes de fabrication des tuiles. Le processus est plus long et compliqué qu’on l’imagine. Tout commence dans la carrière, située au pied du Salève et attenante à la tuilerie, où l’argile est extraite. «A huit mètres de profondeur se trouve ce que nous appelons la terre de fond, composée d’environ 60% de sable», indique Tony, un contremaître, qui avec deux de ses collègues, nous a commenté l’accrochage. Formée il y a plus de 10000 ans lors du retrait du glacier du Rhône, cette argile donne à la tuile de Bardonnex cette couleur jaune si visible sur les bâtiments historiques et les maisons de campagne de la région. Rien à voir, pour Tony, avec les tuiles «rouges, froides et tristes» cuites ailleurs. De la carrière, la terre est convoyée à la «préparation», où, en passant sur des tapis roulants, elle va être nettoyée des corps étrangers, laminée et humidifiée avant d’être stockée dans de grands silos. Les machines font du bruit. «On ne met pas toujours le casque, car il faut que l’on puisse entendre si un collègue appelle à l’aide. Il y a eu plusieurs accidents, j’ai perdu moi-même un bout d’oreille… Mais nous avons pas mal amélioré la sécurité», raconte celui qui affiche 33 ans de boîte au compteur et… 36 points de suture à l’oreille. Après la préparation peut démarrer la fabrication proprement dite. L’argile est encore envoyée sur un tapis, cette fois sous la forme d’un long ruban qui est moulé et découpé en tuiles. Arrive l’étape de la couleur. Des pigments minéraux offrent une large palette de teintes aux tuiles.
Secrets de fabrication...
«Tout est naturel, mais nous avons quelques secrets de fabrication qu’on ne veut pas révéler. Le collège Calvin, le château de Chillon, c’est moi qui ai fait les mélanges de tout ça», lance, pas peu fier, Tony. Suivant les demandes, il faut confectionner des moules spéciaux et certaines tuiles, par exemple pour le faitage, sont façonnées à la main. Les tuiliers travaillent la terre comme des potiers, sauf qu’ils n’utilisent pas de tour. Après quoi débute le séchage des tuiles sous des ventilateurs, qui dure environ six jours. «A partir de la préparation, il faut compter 13 à 14 jours pour fabriquer une tuile», précise son collègue Manu. Après le séchage, vient le tour de l’empilage. Les tuiles sont superposées une à une sur des wagonnets envoyés toutes les quatre heures dans le four. Construit en briques et mesurant près de 100 mètres de long, le four chauffe en permanence à l’exception d’un arrêt l’été pour maintenance. Les wagonnets mettent sept jours à le traverser. «La tuile reste six heures dans la zone la plus chaude, entre 1030 et 1060 °C, où elle entre alors en fusion», dit Tony. «Il faut monter lentement en température et redescendre tout aussi doucement, si on va trop vite, ça casse», ajoute notre troisième interlocuteur, Philippe. Lorsque les tuiles sont froides débute la dernière phase, le triage et le conditionnement. «Tout ce qui est tordu, grillé ou n’affiche pas la bonne couleur est écarté. Ce travail est réalisé manuellement, un robot ne serait pas capable de juger des couleurs. Il y a beaucoup d’opérations manuelles ici qui ne semblent pas plaire au patron.»
Genève veut «tout mettre en œuvre» pour sauver sa tuilerie
Saisie du conflit par le personnel de la tuilerie, la Chambre des relations collectives de travail a, dans un arrêt, enjoint les parties à «ouvrir sans tarder des négociations sérieuses, y compris sur les mesures permettant d’éviter ou de limiter les licenciements». Pour rappel, les treize ouvriers licenciés et leurs représentants n’avaient pu proposer d’alternatives aux licenciements lors de la procédure de consultation. Pour l’heure, la direction de Gasser Ceramic n’entend pas dialoguer. La semaine dernière, elle a adressé aux travailleurs une lettre de deux pages dans laquelle la décision de stopper la production à Bardonnex est qualifiée d’«irrévocable». «Aucune mesure ne saura l’influencer, écrivent les administrateurs du groupe. Nous n’allons pas non plus revenir sur les licenciements prononcés.» Les dirigeants évoquent les démarches collectives entreprises par la commission du personnel et les syndicats Unia et Syna, qui vont «entraîner des dépenses supplémentaires» et impliquer les «moyens financiers qui auraient pu être affectés à un plan social». «Nous avons de plus constaté que la majorité des collaborateurs concernés par le licenciement collectif ont déposé des recours», soulignent-ils, estimant qu’«il va de soi qu’aucun plan social volontaire ne peut être mis en place tant que des procédures judiciaires sont en cours». «Il ne s’agit pas d’un véritable plan social, conteste José Sebastiao, secrétaire syndical d’Unia Genève. Les dirigeants de Gasser aimeraient bien que les salariés signent ce plan et acceptent la fermeture de l’usine, mais les ouvriers n’en veulent pas, ils veulent poursuivre leur travail.» De son côté, le Conseil d’Etat genevois a affirmé la semaine passée qu’il entendait «tout mettre en œuvre pour sauver cette entreprise d'une valeur unique et en protéger les employés». A cette fin, il a écrit à son homologue vaudois et à la Ville de Genève pour leur demander de confirmer leur besoin d’approvisionnement pour les chantiers patrimoniaux.