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Au Chili, la pomme attire le médecin

Epandage de pesticide dans un verger au Chili.
Image tirée du film "Pomme de discorde".

Des vergers à perte de vue. L’épandage des pesticides affecte la santé des enfants et des personnes vivant aux abords de ces vastes plantations.

Le documentaire «Pomme de discorde» de Daniel Künzi montre dans quelles conditions sont produites les «Pink Lady» du Chili vendues dans nos grandes surfaces

Pomme de discorde (Alerte pesticides), le dernier documentaire de Daniel Künzi, qui sera projeté dès le 17 mai sur quelques toiles romandes, s’intéresse au premier de nos fruits à pépins. Il dévoile dans quelles conditions les «Pink Lady» vendues sur les étalages de Migros et de Coop sont cultivées au Chili. Dans les plantations de ce pays, les épandages de pesticides sont massifs, intoxicant les travailleurs et les populations riveraines, en particulier les enfants. Ces produits chimiques interdits en Suisse provoquent notamment des retards de développement et des malformations chez les nourrissons. Une partie est fabriquée par le groupe bâlois Syngenta. En contrepoint du Chili, le film nous emmène au Val-de-Ruz, dans le canton de Neuchâtel, où une coopérative s’est organisée autour d’un pressoir avec pour objectif de reconstituer des vergers. C’est là que réside l’alternative pour le réalisateur Daniel Künzi. Interview.


Comment vous est venue l’idée de ce film?

Le 1er Août 2017, un ami qui participait à un brunch à la ferme m’a expédié une photo d’une pomme proposée au cours du repas. Elle ne venait pas du domaine, qui cultive pourtant des pommes, mais de Nouvelle-Zélande. Le lendemain, j’ai constaté que Coop et Migros proposaient des pommes du Chili. Renseignements pris, j’ai remarqué que le Chili est le premier producteur de pommes de l’hémisphère sud.

Est-ce que vous saviez à quoi vous attendre au Chili?

Oui et non. Je connaissais les plantations de bananes au Panama, mais je n’imaginais pas l’ampleur territoriale de ces cultures au Chili: sur des centaines de kilomètres, des plantations vouées à l’exportation longent la Carretera Sur, l’interminable route du sud. Ni la misère des travailleurs et des travailleuses temporaires, qui gagnent 400 francs par mois. «Nous sommes les esclaves du 21e siècle», m’a résumé l’une d’elles, en ajoutant qu’il est mal vu d’être syndiqué.

Image tirée du film.
«Nous sommes en quelque sorte les esclaves du 21e siècle», constate dans le film Ingrid Rivera, ouvrière agricole au Chili. Image tirée du film.

 

Avez-vous été surpris par l’ampleur des empoisonnements des enfants?

Franchement oui. Je pensais bien que des travailleurs seraient contaminés, mais l’empoisonnement des enfants est massif et toute la population est touchée bien qu’elle ne consomme pas de pommes. Les écoles rurales sont comme des îles dans un océan de vergers.

Est-ce que vous avez eu des difficultés à enquêter et à tourner au Chili? Un cadre local de Syngenta aurait été licencié après vous avoir parlé?

Les temporaires ont peur de parler, l’ombre de Pinochet plane toujours sur le Chili. La difficulté provient de l’absence d’organisation syndicale rurale des travailleurs, contrairement au Brésil. Les temporaires ne sont pas au courant des dangers qu’ils risquent. A titre d’exemple, au Chili, le pesticide est nommé «el liquido», le liquide, comme s’il s’agissait d’un détergent quelconque.

J’ai effectivement rencontré un cadre de Syngenta qui a défendu bec et ongles son entreprise. «Je sais que les produits que nous utilisons sont interdits en Suisse, mais chaque pays a ses lois et nous nous conformons à celles du Chili, mais vous savez, on en met si peu», m’a-t-il dit en me faisant un petit signe avec son pouce et son index. Mais Syngenta n’a pas apprécié qu’il s’exprime sans l’autorisation de ses supérieurs. Furieux, deux jours après, il m’annonçait avoir été licencié après vingt ans d’activité dans l’entreprise.

Syngenta, d’un côté, et Migros et Coop, de l’autre, ne sont pas interrogés, pourquoi?

C’est à eux qu’il faudrait poser la question. J’ai tout simplement demandé à Migros et à Coop de me dire dans quelle plantation ces pommes ont été cultivées et qui les ont cueillies. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas fiers de leur business avec le Chili. Après des mois de palabres, la réponse a été: «Nous préférons ne pas collaborer à votre film.»

Pour Syngenta, c’est plus curieux. J’ai demandé des explications à la direction mondiale à Bâle. La réponse a été la suivante: «Vous avez déjà réalisé une interview au Chili avec un de nos ingénieurs, vous lui avez déclaré être un producteur de fruits, comme vous avez menti, nous ne vous dirons rien.» Et ils m’ont interdit de diffuser cette interview avec ce cadre local.

Est-ce qu’on pourra voir votre film sur la RTS?

Il faut bien comprendre que je mets en lumière la politique agricole de la Confédération, ainsi que le business de Migros et de Coop, qui sont parmi les premiers publicitaires de la RTS. Sans compter Syngenta. Cela fait beaucoup pour un film. En Suisse, on a le droit de critiquer les excès du système, mais pas LE système. Un responsable de la RTS m’a fait remarquer le chiffre d’affaires de cette multinationale, près de 13 milliards de dollars, et m’a conseillé de prendre un bon avocat pour me protéger…

Le 13 juin, nous nous prononçons sur deux initiatives visant à bannir les pesticides, on peut vous demander ce que vous allez voter?

Avant mon film, j’aurais voté pour la première, «Pour une Suisse libre de pesticides», et me serais abstenu ou aurais voté contre la seconde, «Pour une eau propre et une alimentation saine». Mais maintenant j’estime qu’en Suisse, on est allé beaucoup trop loin sous la domination du lobby chimique. Il faut faire une pause. Et si l’on met en lumière ce que nous dépensons pour notre sécurité militaire, nous avons les moyens de nous offrir une transition écologique pour accompagner la paysannerie et manger sainement.

Affiche du film.

Pomme de discorde (Alerte pesticides), de Daniel Künzi, dès le 17 mai sur les écrans romands, bande-annonce visible ici.


FilPortrait de Daniel Künzi.mographie engagée

Né à La Chaux-de-Fonds en 1958, Daniel Künzi a suivi une formation d’électronicien au Locle avant de s’installer à Genève. Après avoir décroché un certificat d’études pédagogiques, il a pu enseigner dans les écoles secondaires. Parallèlement, il a produit et réalisé de nombreux films documentaires historiques et sociaux. On lui doit La Boillat vivra! (2007) consacré à la lutte des ouvriers de l’usine de Reconvilier. Daniel Künzi est aussi engagé en politique, il a longtemps siégé au Conseil municipal de Genève sur les bancs de Solidarités.

«Pink Lady» de Coop et Migros «équitables»

Coop et Migros disposent-ils d'informations sur les conditions de production des «Pink Lady» au Chili? «En principe, nos pommes “Pink Ladyˮ proviennent de Suisse. Si cette variété n'est pas disponible en Suisse en quantité et en qualité suffisantes, elle est importée du Chili ou d'Argentine. Ce n'est pas le cas pour l'instant», explique, à L’Evénement syndical, Andrea Ruberti, porte-parole du groupe Coop. «Lors de nos importations, nous nous en remettons à des fruits et des légumes commercialisés de manière équitable et nous exigeons de nos partenaires commerciaux qu'ils respectent des normes sociales minimales. Les pommes “Pink Ladyˮ importées proviennent de cultures certifiées selon la norme GRASP.» Celle-ci est un module complémentaire du label de l'organisation GLOBALG.A.P. œuvrant pour une agriculture saine et durable. Même topo du côté de Migros: les importations chiliennes ne durent que trois à quatre semaines et le volume se monte à moins de 1% des ventes, nous explique Patrick Stöpper, porte-parole de la Fédération des coopératives Migros. Le distributeur attend également des producteurs qu’ils adhèrent au GLOBALG.A.P. «Migros n'a pas vu le film et ne peut pas le commenter. Il serait important de savoir dans quelles plantations a été tourné le film.»

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