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Sur les toits, des travailleurs essentiels

«J’aime la petite tuile, cela me rappelle mon Alsace natale», mentionne Frédéric Vargas, sur le pan sud du toit. Son rêve? «Faire le toit d’un clocher».
© Olivier Vogelsang

«J’aime la petite tuile, cela me rappelle mon Alsace natale», mentionne Frédéric Vargas, sur le pan sud du toit. Son rêve? «Faire le toit d’un clocher».

Avant l’hiver, les ferblantiers et les couvreurs sont à pied d’œuvre pour réparer les bâtiments endommagés de La Chaux-de-Fonds et du Locle à la suite de l’ouragan de cet été. Reportage avec une entreprise de la région

La passion du métier. C’est ce qui réunit le patron et l’employé, Fabien Prétôt et Frédéric Vargas. Tous deux ont la quarantaine, sont pères de famille et adorent leur profession respective, ferblantier et couvreur. En ce 10 octobre d’été indien, la météo est idéale. Au petit matin, Frédéric Vargas est déjà sur un toit. Nous le rejoindrons plus tard, au Crêt-du-Locle, quartier de La Chaux-de-Fonds durement frappé par la tornade du 24 juillet.

Au sud du Locle, l’entreprise Prétôt n’a, par contre, pas essuyé de dommage. Le patron nous accueille dans un bureau à côté de l’atelier. La société familiale rassemble des ferblantiers, des couvreurs et, depuis quelques années, des poseurs de panneaux solaires. Autant de métiers intrinsèquement liés, mais avec chacun leurs spécificités. «Le couvreur s’occupe des tuiles, de la sous-construction, du lattage… Le ferblantier de tous les métaux des toitures. Le poseur de panneaux solaires doit encore avoir d’autres compétences, notamment en électricité», explique-t-il.

L’entreprise s’occupe principalement de rénovations, très nombreuses du fait de l’ancienneté des maisons de la région, de la période Covid qui a vu les demandes de rénovations s’accroître sensiblement et des bouleversements climatiques. Les épisodes de grêle en 2021 et en 2022, et surtout la tornade de cet été mettent Fabien Prétôt sous pression. Il garde pourtant la tête froide: «L’organisation est un peu compliquée et certaines personnes sont impatientes. J’ai refusé beaucoup de mandats, car mon but reste le travail bien fait. Je ne veux pas surmener mon personnel. Des travailleurs sous tension ont plus de risque d’avoir un accident ou de faire du mauvais travail.»

© Olivier Vogelsang

Tornade sans commune mesure

Le 24 juillet dernier, la tornade qui s’est abattue sur la région, avec des vents de plus de 200 km/heure, a fait voler en éclats des milliers de toits et abattu encore plus d’arbres. «C’est un miracle, qu’il n’y ait eu qu’un mort», souligne Fabien Prétôt, en vacances à ce moment-là, comme bon nombre des habitants des deux cités horlogères inscrites à l’Unesco. «Près de 5000 bâtiments de La Chaux-de-Fonds sur 7000 ont été touchés. Le Crêt-du-Locle n’a pas été épargné non plus. Il y aura forcément des toitures encore sous bâches cet hiver, ce qui risque d’être difficile en termes d’isolation et de risques d’infiltration s’il neige beaucoup», craint le maître ferblantier. Il regrette que l’ECAP (Etablissement cantonal d’assurance et de prévention) n’ait pas voulu prendre en charge, pour des raisons de coûts, la pose de toiture temporaire. «Les habitants auraient été plus à l’abri, et les travailleurs aussi. C’est toujours plus agréable de travailler au sec. Et, en cas d’infiltration, cela va coûter encore plus cher à l’assurance.» 

A l’heure des négociations pour le renouvellement de la Convention collective de travail (CCT) de la technique du bâtiment, on ne peut s’empêcher de lui demander sa position quant aux revendications syndicales. Fabien Prétôt, dont le père a fait partie de la commission paritaire de la branche, répond: «Personnellement, je suis d’accord avec les syndicats. Si je pouvais, je donnerais un salaire de 6000 francs à chacun de mes employés. Mais si je suis beaucoup plus cher que les autres, nous n’aurions plus de mandats.» Face à la concurrence déloyale, il ajoute: «Tout le monde doit être dans le même panier. Si une entreprise ne travaille qu’avec des intérimaires payés au lance-pierre et laissés à la maison sans solde quand la météo n’est pas bonne, c’est impossible pour moi d’être concurrentiel. Je fais partie de Suissetec, mais certaines boîtes sont sous d’autres CCT même si elles travaillent dans le même domaine. Aujourd’hui, cela ne devrait plus être possible d’ouvrir une entreprise sans CFC ni brevet, voire de maîtrise. Notre métier devrait être protégé.»

L’heure tourne vite dans la cité horlogère, et il est déjà temps de rejoindre un des chantiers à dix minutes de route.

© Olivier Vogelsang

Faire «le singe» à 60 ans?

Au Crêt-du-Locle, le paysage de toitures bâchées ou en travaux offre une vision étrange dans ce quartier de maisons anciennes. Des arbres démembrés ou coupés frappent aussi le regard. Sur un toit, deux ouvriers lancent des tuiles endommagées dans une benne. Un troisième travailleur se trouve devant le bâtiment. Fabien Prétôt nous le présente avant de repartir rapidement sur d’autres chantiers. Il s’agit de Frédéric Vargas. Le couvreur, par sa stature, répond bien à la description de son patron: un Viking. Il a suivi lui aussi les traces de son père, décédé trop tôt. «Enfant, je l’accompagnais sur les chantiers, puis j’ai continué avec mon oncle. J’ai fait mon bac, j’aurais pu poursuivre mes études, mais cela aurait coûté cher à ma mère et, surtout, je suis trop heureux de travailler dehors. Je me suis formé en France, puis j’ai travaillé comme tâcheron à Strasbourg. Plus je faisais plus je gagnais.» A l’en croire, il a gardé son «rythme de sauvage», même s’il sent bien qu’il n’a plus la fougue de ses 20 ans. «Je ne sais pas si j’arriverai à faire encore le singe sur les toits à 60 ans.» Il rigole, celui qui, à 45 ans, se déplace dans les hauteurs comme s’il foulait le plancher des vaches.

En cette matinée ensoleillée, il prépare le pan de toit qui accueillera de nouvelles tuiles l’après-midi. Il est accompagné par deux collègues. «C’est important de bien s’entendre», souligne Frédéric Vargas. S’il aime toutes les facettes de son métier, il se plaint toutefois de la laine de verre qui gratte la peau, l’été surtout. «Heureusement, c’est de plus en plus rare, l’isolation se faisant de plus en plus avec de la fibre de bois.» Il ajoute: «Les masques et les combinaisons, lorsqu’on doit manier de l’Eternit amiantée sont tout aussi étouffants.»

Avec ses 26 ans de métier, malgré son plaisir à la tâche, il souligne la pénibilité de la profession et son soutien à la demande de revalorisation salariale portée par les syndicats: «Quand il fait chaud, on monte vite à 40 degrés, même ici au Locle. Mais le pire, c’est la flotte! Les couvreurs sont toujours dehors. Ce n’est pas comme les ferblantiers qui peuvent faire du travail de pliage en atelier.»

S’il n’est pas allé manifester à Zurich pour des raisons familiales – il a cinq enfants – il encourage ses collègues à se syndiquer. «Même si ça va très bien avec le patron et qu’on n’a pas de problème dans notre boîte, ils ne se rendent pas compte qu’il faut se tenir les coudes. C’est un métier du futur qui mérite de meilleurs salaires…» lance Frédéric Vargas, sans se plaindre personnellement. Depuis l’échafaudage, il conseille un jeune travailleur sur la manière de poser le faîtage au sommet du toit. Puis, prend des mesures pour tailler quelques tuiles afin de les insérer autour d’un velux. A la ceinture, l’«indispensable marteau, son «bébé» comme il l’appelle.

© Olivier Vogelsang

«Tout était ravagé»

Frédéric Vargas revient sur ce fameux 24 juillet 2023. «C’était mon premier jour de congé», souligne l’habitant de Morteau, en France voisine. «J’ai annulé le voyage dans ma famille en Alsace et je suis venu bâcher, rapidement, faire le strict minimum pour soulager et calmer les gens sous le choc. Dans certains quartiers, c’était comme si c’était la guerre. Tout était ravagé. Certaines structures d’édifices ont même bougé.» D’autres collègues ont aussi interrompu leurs vacances pour aider la population en parant au plus urgent, en bâchant les toits, en remplaçant les tuiles, pour éviter si possible des infiltrations d’eau.

«On récolte ce qu’on sème», soupire Frédéric Vargas, en pensant à la responsabilité humaine quant aux événements météorologiques extrêmes. Avant la pose des nouvelles tuiles cet après-midi, les trois ouvriers redescendent des échafaudages pour le repas du midi. La tête du propriétaire sort d’une fenêtre. Il confie: «J’aurais aimé en profiter pour isoler davantage mon toit, mais c’est trop cher pour moi.» Il était en France lors de l’ouragan qui s’est engouffré dans sa demeure. «Regardez cette maison, là. Avant, je ne la voyais même pas, elle était entourée d’arbres. Le paysage a changé. Le sapin, on va devoir le couper. Mais le tilleul semble reprendre vie…»


Photos Olivier Vogelsang

© Olivier Vogelsang

Une entreprise et un métier qui évoluent

Début 2021, Fabien Prétôt a repris les rênes de la société familiale, transmise de père en fils, fondée par son grand-père cinquante ans plus tôt. Le 21 et le 28 juin de cette même année, la région essuie deux tempêtes de grêle endommageant de nombreuses maisons. Rebelote le 22 juillet 2022. Autant de dégâts dont certains sont encore sur la longue liste d’attente des travaux à effectuer, malgré l’engagement de nombreuses personnes. «En deux ans, on est passé de huit employés à plus d’une vingtaine», explique le jeune patron, qui peine toujours à trouver du personnel qualifié. Il regrette que le métier se perde. Tout comme son employé, le ferblantier Patrick Coendoz, 32 ans de boîte, 37 de métier, qui souligne: «Aujourd’hui, on forme des poly-bâtisseurs. Ils savent tout faire, les échafaudages, les stores, les toits, mais rien à fond. Les ferblantiers ne sont plus aussi précis, moins débrouilles.»

Dans la technique du bâtiment comme dans la construction en général, la relève manque. Prétôt SA compte quand même trois apprentis dont une ferblantière en formation. «La ferblanterie est moins physique que le métier de couvreur. Ce dernier peut porter des tonnes de tuiles en une seule journée. Il n’a pas besoin d’aller soulever de la fonte au fitness», explique Fabien Prêtôt en souriant. «Aujourd’hui, on travaille beaucoup avec l’informatique, les drones… le métier à plein de facettes, c’est loin d’être monotone», souligne le passionné, étonné du peu de motivation des jeunes travailleurs. «Après ma journée de travail comme apprenti, je passais encore des heures à l’atelier à faire de petites pièces», se souvient celui qui estime que le travail n’a plus la même place «depuis l’arrivée du smartphone surtout». Il ajoute: «Les jeunes s’écoutent davantage, sont plus souvent malades. Ils sont moins rustiques.»

Fabien Prétôt regrette de n’avoir plus le temps d’être sur les toits, ni de plier des tôles. «C’est comme faire de l’origami. On donne vie à un élément plat grâce à des techniques ancestrales. A chaque fois, c’est différent. Chaque élément de ferblanterie est fait sur mesure.»

Avec les réparations actuelles d’une ampleur inédite, certains propriétaires en profitent pour mieux isoler ou faire poser des panneaux solaires. Toutefois, un tiers des bâtiments de La Chaux-de-Fonds est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et est donc soumis à des critères très stricts qui, selon l’entrepreneur, «devraient être assouplis, car la survie de l’humanité passe avant le Patrimoine». Reste que des panneaux solaires peuvent toutefois être intégrés sur le dernier tiers du toit, «pour rappeler les anciennes verrières des années 1800». Entre autres réglementations, l’inox est interdit, le cuivre et le rouge naturel des tuiles obligatoires. «On essaie de travailler avec des tuiles suisses pour plus de durabilité. Quant aux tuiles solaires, elles sont encore très chères et produisent beaucoup moins d’énergie qu’un grand panneau. Mais c’est une technique d’avenir.»

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