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Quand la novlangue managériale crée du mal-être au travail

Un homme se tient la tête face à son ordinateurs
© Thierry Porchet

La chercheuse a expliqué comment la novlangue et certaines méthodes de management diffusent une souffrance qui ne peut s'exprimer.

Une chercheuse a exploré les nouveaux discours cherchant à mobiliser les salariés afin de les mettre au service des objectifs des organisations et du capitalisme néolibéral

Combien de «plans de sauvegarde de l'emploi» sont annoncés au lieu de «plans de licenciements»? Combien de fois entend-on le verbe «s’investir» lorsqu’on évoque des heures supplémentaires non rémunérées? Ou celui de «libérer» quelqu’un de son travail plutôt que le licencier? Ou encore «se réaliser» via l’atteinte des objectifs organisationnels? Tels sont quelques exemples de leurres parmi les multiples outils du langage managérial et de l'impératif gestionnaire qui masquent la réalité de la violence sociale.

Dans son ouvrage La novlangue managériale. Emprise et résistance1, Agnès Vandevelde-Rougale, docteure en anthropologie et en sociologie, a exploré les processus de ce discours dominant et mondialisé. Lors d’une discussion organisée à Paris par le Réseau Souffrance et Travail2, créé par la psychanalyste Marie Pezé, la chercheuse a expliqué comment cette novlangue et certaines méthodes de management diffusent une souffrance qui ne peut s'exprimer. A la suite de cette conférence, Agnès Vandevelde-Rougale répond à nos questions.


Dans votre livre, vous décrivez un discours qui enferme le monde du travail dans un diktat du tout rentable, de la performance, de l'évaluation, etc. Vous comparez ce processus à la propagation d'un virus. Pouvez-vous nous l’expliquer?

Je ne dirais pas que le discours managérial enferme le monde du travail dans un «diktat» au sens d’une exigence imposée de l’extérieur. Les exigences sont multiples, le monde du travail est divers, mais surtout, l’influence de ce discours est intriquée à la dynamique d’adhésion ou de soumission volontaire, qu’elle soit consciente ou non. Sous l’étiquette «discours managérial», on retrouve des discours hétérogènes mais partageant un objectif commun, celui de mobiliser les êtres humains au service des objectifs des organisations et, plus largement aujourd’hui, du capitalisme néolibéral. Dans un monde instable, les promesses de maîtrise et d’efficacité de ce discours sont particulièrement séduisantes, favorisant sa reprise et sa diffusion – des entreprises privées aux secteurs public et associatif – mais aussi son intériorisation. L’approche gestionnaire et ses mots imprègnent le quotidien et la vision que l’on porte sur soi-même, ses expériences, ses proches… C’est aussi un discours de pouvoir, ce qui renforce sa domination. On retrouve une dynamique semblable à celle d’un virus et de sa propagation: un virus utilise les structures cellulaires pour se répliquer et, de même, le discours managérial se diffuse en utilisant les structures existantes: linguistiques, psychiques, mais aussi sociales.

Les enquêtes que vous avez menées mettent au jour un vécu de mal-être au travail, voire de violence, généré par une activité de travail empêchée. Que révèlent ces risques d'empêchement?

La notion d’activité, ou travail, empêchée a été développée par le professeur Yves Clot en clinique de l’activité et par le psychanalyste Christophe Dejours en psychopathologie du travail. Cette notion, c’est ne pas pouvoir se reconnaître dans ce que l’on fait, avoir l’impression de passer sa journée de travail à faire des tâches qui ne concernent pas son métier. Par exemple, devoir consacrer du temps à des tâches administratives, au remplissage de tableaux d’indicateurs, au lieu de soigner ou d’enseigner… Cela peut générer des frustrations, de la fatigue, du découragement, des conflits éthiques ou encore un surinvestissement qui risque de conduire au burn-out.

Dans l’étude de la mise en mots d’expériences de souffrance liées à des violences au travail telles que des brimades ou du harcèlement moral, j’ai identifié une autre souffrance, celle de se sentir empêché de la dire. C’est par exemple le cas quand, pour se faire entendre du service RH, on doit mettre certains mots-clés sur son vécu. Des mots-clés qui produisent un effet en matière de procédure, mais qui tendent à masquer l’intensité du vécu et limitent la compréhension des processus en jeu. Ainsi, voir les expériences de harcèlement moral comme relevant de seuls conflits interpersonnels est très réducteur, et empêche d’interroger le contexte organisationnel et sociétal qui a permis leur développement.

L'emprise de ce discours du pouvoir envers les «non-initiés et mystifiés», que vous évoquez aussi dans Mots et illusions: quand la langue du management nous gouverne3, installerait l’impression de se réaliser via l'option du développement personnel. Là encore, c'est l'organisation du travail et la souffrance qu'elle produit qui ne sont pas interrogées. Que proposez-vous comme outil de résistance?

Pour résister à l’emprise du discours managérial, il est important de sortir de sa grille de lecture et, pour ce faire, d’interroger ses mots et la réalité qu’ils dessinent. Vous évoquiez plus tôt le travail empêché. Il l’est parfois par des référentiels prescriptifs en matière de «qualité». Questionner un tel mot-valise, comme invite à le faire Yves Clot, peut permettre de mettre en discussion les points de vue et les critères de ce qu’est un «travail de qualité» dans un contexte donné, de chercher des compromis tenant compte des visions des différents acteurs par exemple. Ou encore, en matière de mal-être au travail, il est utile de sortir d’une vision centrée sur l’individu et les relations interpersonnelles, pour interroger ce mal-être comme symptôme des violences organisationnelles et sociétales qui traversent les situations de travail. En bref, questionner, ouvrir le sens plutôt que de l’enfermer.


1 La novlangue managériale. Emprise et résistance. Editions Erès, 2017.
2 Site: souffrance-et-travail.com
3 Mots et illusions: quand la langue du management nous gouverne. Editions 10/18, 2022.

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