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«Nous sommes à l’aube d’un tournant!»

pierre-yves maillard
© Thierry Porchet

Danielle Axelroud et Pierre-Yves Maillard sont intervenus face à la centaine de personnes venues de tout le canton dans les locaux d’Unia au Locle. Le débat s’est ensuite poursuivi après la projection du film «Le Protokoll», dans la salle du Casino-Théâtre de la ville.

La journée syndicale de formation et de réflexion sur les retraites, tenue au Locle le 10 février, a permis d’aguerrir la centaine de militantes et de militants présents

S’il est une chose sur laquelle tout le monde s’est accordé à l’issue de la journée syndicale de formation et de réflexion tenue au Locle le 10 février, c’est bien que la votation du 3 mars sur la 13e rente AVS offrait la possibilité d’un tournant à 180 degrés de la politique en matière de prévoyance vieillesse en Suisse. Cette journée, organisée par l’Union syndicale cantonale neuchâteloise, a connu un franc succès, avec une bonne centaine de participants réunis à la salle d’Unia de la «Mère commune des Montagnes neuchâteloises», berceau de la révolution de 1948, «toujours à l’avant-garde de la lutte ouvrière», comme l’a rappelé le popiste Cédric Dupraz, membre de l’Exécutif de la Ville.

La journée était articulée sur le thème: «Des retraites pour vivre – A l’aube d’un tournant?». Danielle Axelroud, ancienne experte fiscale et membre du collectif de la Grève féministe vaudoise a ouvert les feux sur la question des femmes et de l’AVS. Puis, le président de l’Union syndicale suisse, Pierre-Yves Maillard, est intervenu sur les enjeux de l’initiative AVS x13. Après un savoureux repas concocté par l’équipe du restaurant social Ekir de La Chaux-de-Fonds, les participants se sont rendus au Casino du Locle. Non pas pour y jouer leurs retraites, mais pour assister à la projection du film Le Protokoll dans la salle transformée en cinéma-théâtre. Une projection suivie d’un riche débat en présence des réalisateurs, Claudio Tonetti et Pietro Boschetti.

Une retraitée sur quatre ne touche que l’AVS

«Pourquoi l’AVS est-elle importante pour les femmes?» C’est à cette question que Danielle Axelroud, qui a longtemps travaillé dans une fiduciaire zurichoise, a répondu en présentant de nombreux chiffres. Ainsi, une retraitée sur 4 ne touche que l’AVS, d’un montant de moins de 1600 francs. La rente AVS moyenne est de 1880 francs et très peu de personnes perçoivent la rente AVS complète de 2450 francs, alerte l’experte. Elle précise qu’il faut un revenu moyen de 85320 francs pour y avoir droit. Autre chiffre, la différence de rente globale, AVS et 2e pilier, est de 34%, au détriment des femmes. «Cela représente 19000 francs par an. Ce n’est pas des peanuts!» s’exclame celle qui a créé, en 2018 avec d’autres économistes et juristes, le Collectif #65NoPeanuts!*. Ce dernier demande l’«égalité complète, pas des cacahuètes». La cause de ces écarts n’est pas le fait de l’AVS, mais de la Loi sur la prévoyance vieillesse (LPP), le 2e pilier, explique-t-elle. «A l’avenir, cela ne va pas s’améliorer, une travailleuse sur 6 n’a pas encore de LPP.»

De cette situation découle un risque de pauvreté accru chez les femmes. Danielle Axelroud rappelle que 12,7% des personnes à la retraite touchent des prestations complémentaires (PC) dont deux tiers sont des femmes. De plus, environ 20% des retraitées ne font pas appel à ces prestations, comme de nombreux hommes d’ailleurs. Au total, 250000 femmes, soit plus d’un quart des retraitées, touchent ou auraient droit à des PC. L’experte fiscale décrit encore le parcours du combattant que représente une telle demande: «C’est extrêmement compliqué, il manque toujours un document, puis quand la réponse arrive, il n’est pas pris en compte. Pour une personne avec peu de formation, ou des problèmes de langue, c’est insoluble. En plus, il faut se présenter à un guichet ouvert, les gens alentours entendent la conversation.» Elle réagit à tous ceux qui prétendent que la 13e rente n’est pas nécessaire, qu’il faut aider les gens qui en ont «vraiment besoin». «Ceux qui disent ça sont les mêmes qui ont voté la dernière révision des PC qui a eu pour effet que des dizaines de milliers de personnes n’y ont plus droit ou ont vu le montant diminuer de plusieurs centaines de francs! Prenez aux pauvres, ils sont les plus nombreux!» s’indigne-t-elle.

«On arrête, on change de paradigme!»

Elle dément également ceux qui disent que la révision LPP 21 allait résoudre les problèmes d’inégalités à la retraite. «Depuis la 10e révision de l’AVS, il y a 25 ans, toutes les réformes proposées ont visé à faire des économies et des réductions de prestations. La votation sur la 13e rente AVS est l’occasion de dire: “On arrête, on change de paradigme!”»

Lors du débat, de nombreuses préoccupations ont été exprimées. «Le fait que les personnes ayant droit aux PC n’y accèdent pas est absolument insupportable. Il faut inverser la chose, les autorités publiques doivent se charger de chercher qui y a droit», lance un retraité. «Beaucoup d’hommes sont aussi dans une situation catastrophique, indique un autre. Ils ne gagnent pas assez à la retraite, n’ont pas assez pour survivre. Tout a augmenté l’année passée. Oui, il faut améliorer les retraites des femmes, mais n’oubliez pas les hommes!» Une retraitée ajoute: «J’ai travaillé toute ma vie, je gagnais bien mais je ne suis jamais arrivée à ce montant de 85320 francs pour une rente complète.»

Une jeune participante a demandé comment en finir avec le système des trois piliers. «Personnellement, je suis absolument pour une réflexion sur la refonte des trois piliers, a répondu Danielle Axelroud. Les caisses de pensions, c’est une catastrophe, et le manque de contrôle des assureurs est problématique. De plus, on va vers une société où la croissance ne sera pas comme les années précédentes. Les modes de travail changent. Qui travaillera 40 ans à temps plein, sans interruption et sans temps partiel à l’avenir? Et quand j’entends que le 3e pilier a fait ses preuves, mes cheveux se dressent sur ma tête! Oui, il a fait ses preuves, mais comme système d’économies fiscales!»

* 65nopeanuts.ch

Retour en arrière pour convaincre

Au Locle, Pierre-Yves Maillard, président de l’USS, a fait un détour par l’histoire pour exposer les enjeux de la votation du 3 mars

«Pour une fois, nous sommes à l’offensive. Nous sommes à un tournant.» Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse (USS), a fait le voyage au Locle pour parler des enjeux de l’initiative AVS x13. Une votation cruciale pour l’avenir des retraites, qu’il a mise en perspective en faisant un détour par l’histoire, celle qui débute un peu avant 1947, année de la votation ayant permis la création de l’Assurance vieillesse et survivants (AVS). «A l’époque, quand on n’était plus en capacité de travailler, à cause de la vieillesse, d’un accident ou d’une maladie, il n’y avait plus un franc qui rentrait. Les gens vivaient dans l’angoisse de ne plus pouvoir nourrir leur famille. Dans les années 1930, il y avait un chômage de masse, des soupes populaires partout.» Le syndicaliste explique ensuite pourquoi, en 1947, ce que les syndicats demandaient depuis longtemps, notamment lors de la grève générale de 1918, a pu voir le jour: «Face à la misère, les gens se révoltent contre le système démocratique et se tournent vers des systèmes fascistes ou staliniens. En 1945, les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont pensé qu’il n’était plus possible de revenir à ces situations. Il y a eu une prise de conscience politique qu’il fallait développer la sécurité sociale.» D’où l’instauration, après-guerre, de grandes avancées en matière de sécurité sociale, avec notamment la création de l’AVS, ponctionnant une partie du produit du travail pour assurer l’absence de revenu à la vieillesse. «Mais depuis trente ans, un virus politique s’est répandu: le néolibéralisme. Un virus de l’oubli des leçons de l’histoire. Il a introduit l’idée du moratoire social, puis a commencé à dégrader ce qui avait été acquis. Ce n'est pas une question économique, mais un choix politique.» Il remarque aussi que beaucoup de personnes recommencent à avoir peur face à leur retraite, et qu’après des années d’oubli, les réponses de l’extrême droite réapparaissent.

Solidarité massive entre les générations

Abordant la campagne pour la 13e rente, Pierre-Yves Maillard dément un chiffre brandi par les adversaires, celui du nombre d’actifs par retraité qui diminuerait. «En 1947, il y aurait eu 6 actifs pour un rentier, et maintenant plus que 3. C’est faux. Il y avait 6 adultes pour un retraité. La moitié étaient des femmes qui, pour l’immense majorité, n’avaient pas de salaire. Au sens de l’AVS, il y avait donc 3,5 actifs pour un rentier.» Les inactifs n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, ajoute-t-il, mentionnant que les retraités actuels assument pour 8 milliards de francs de prestations de garde, soit l’équivalent de 80000 places de travail. «Quand on nous dit que la 13e rente AVS c’est prendre aux jeunes pour donner aux vieux, c’est le contraire qui est vrai! C’est grâce aux grands-parents qu’ils peuvent bosser. C’est une solidarité massive entre les générations.»

«Opération choquante»

Le président de l’USS fustige aussi les cinq anciens conseillers fédéraux qui ont écrit une lettre à 700000 retraités suisses alémaniques pour qu’ils rejettent la 13e rente. «Quand je les croiserai, je leur demanderai s’ils s’inquiètent pour leur retraite. Eux qui gagnent 23000 francs de rente par mois, et ont laissé la Confédération avec 50 milliards de dette! C’est un scandale de voir des gens qui vivent tous les mois avec autant qu’un retraité en une année s’opposer à cette 13e rente! C’est très choquant, cette opération de propagande financée par Economiesuisse.»

Lors de la discussion, un participant s’est enquis des chances de succès de la 13e rente en Suisse alémanique, la double majorité du peuple et des cantons risquant de faire défaut. «C’est très difficile à juger, a répondu Pierre-Yves Maillard. Les sondages étaient à 80% de oui en Suisse romande et de 58% à 65% en Suisse alémanique, mais cela a toujours tendance à baisser.» Il ajoute que l’USS investit des moyens outre-Sarine, que des débats ont lieu, qu’il a lui-même participé à l’Albisgüetli de l’UDC zurichoise et que les courriers de lecteurs sont à 9 sur 10 favorables à l’initiative syndicale, même dans la très conservatrice Weltwoche. «Mais cela reste la grande incertitude dans cette affaire.»

 

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