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«On ne conseille plus, on est là pour faire du chiffre»

Black Friday
© Olivier Vogelsang

L’attractivité de la branche en a pris un coup. Bas salaires, travail du samedi (et du dimanche qui guette), pression, horaires flexibles et clientèle exigeante.

Black Friday, Noël et soldes: deux vendeurs genevois témoignent de la pression qu’ils subissent en cette fin d’année, avec le spectre du travail dominical en toile de fond.

Chaque année, c’est la même chanson. Alors que la plupart des gens commencent à lever le pied en fin d’année, à préparer les Fêtes et à profiter en famille, les vendeuses et les vendeurs ne vivent pas la même magie de Noël. Horaires élargis, charge de travail plus importante, pression au rendement et interdiction de poser des congés: ils finissent l’année sur les rotules. Jean-Baptiste* et Marc*, conseillers de vente dans un magasin d’ameublement à Genève et militants chez Unia, livrent leurs témoignages.

L’enfer du Black Friday
Le mois de décembre vient à peine de commencer qu’ils sont déjà lessivés. Ils sortent de trois semaines de Black Friday, devenu l’événement le plus important de l’année dans leur magasin. La consigne est claire: ils doivent faire du chiffre. «En tant que conseiller de vente, on nous a appris à proposer ce qui correspondait le mieux aux attentes des clients, explique Jean-Baptiste. Là, en dix jours, on doit faire le chiffre du mois, donc on n’est plus dans le conseil, on est là pour vendre, et même, on force les ventes. C’est la grande fête du mercantilisme et, moralement, ça me gêne. Notre métier perd son essence.» Pendant cette période d’actions défiant toute concurrence, il y a beaucoup plus d’affluence, mais aussi une manutention accrue, car il faut changer tous les affichages, et surtout déplacer et remplacer les meubles qu’on veut mettre en avant. Un travail qui était auparavant effectué par les employés du dépôt, mais relégué aux vendeurs, car les effectifs ont été réduits. «L’organisation familiale est chamboulée, car on nous impose de faire plus d’heures, souligne Marc. Le magasin a aussi eu l’idée de lancer un concours avec des objectifs à atteindre, ce qui engendre de la compétition entre les employés, des tensions qui n’existent pas le reste du temps, et donc du stress supplémentaire.»

Travaillant à 80% sur cinq jours, Jean-Baptiste monte à 38 ou 39 heures par semaine au moment du Black Friday au lieu des 33 habituelles. Le samedi, les pauses repas sont écourtées à 30 minutes. «On n’a pas le choix, on reçoit notre planning deux semaines avant et c’est comme ça.» Ces heures supplémentaires seront récupérées quand l’employeur le décidera, pas en concertation avec les employés en fonction de leurs besoins. Ce chiffre, les employés du magasin l’ont atteint, non sans peine. «Cette pression au rendement, ça nous bouffe le cerveau, reprend Jean-Baptiste. On est saturés, on doit aller vite, faire du chiffre, on bâcle et, du coup, ça peut arriver qu’on se trompe…»

Pas le temps de souffler
A peine sortis du Black Friday, nos deux militants ont enchaîné avec les soldes. Rebelote, ils ont dû changer tout l’étiquetage ainsi que les canapés et autres meubles en exposition. Mais ils ne sont pas au bout de leurs peines, car à Genève, les magasins seront ouverts le dimanche 21 décembre. Là où travaillent les deux vendeurs, on propose de travailler sur la base du volontariat, en étant payé le double avec un jour de compensation en plus. Seule la moitié des collaborateurs s’est inscrite. «Le dimanche est sacré pour nous, c’est l’unique jour qu’on a pour nous reposer, nous réunir en famille, et il est menacé», regrette Jean-Baptiste. Pour Marc, les dés sont pipés: «On parle de volontariat, mais c’est une aubaine d’être payé le double. Les salaires sont tellement bas dans la vente qu’ils ne vont pas passer à côté de l’opportunité de mettre un peu de beurre dans les épinards, surtout avant les Fêtes!»
Ceux qui travailleront le 21 enchaîneront jusqu’à six jours d’affilée, et ce juste avant les Fêtes. «Sachant qu’on nous interdit de poser des congés à Noël, quand est-ce qu’on se repose nous, qu’on prend du temps pour nous et nos familles? On finit le 24 décembre à 18h, on débarque pour le réveillon épuisés, et on reprend le 26. Une fois de plus, on ne profitera pas des Fêtes!»

Vers une généralisation du travail dominical?
Est-ce que, dans ces conditions, cette ouverture du 21 sera rentable pour les commerces genevois? Est-ce que ce sera un bide, comme les nocturnes du jeudi soir? Pour Jean-Baptiste, les employeurs de la branche voient plus loin. «Leur dernière conquête inachevée est celle du temps, ils veulent commencer à habituer les clients et les collaborateurs au travail dominical afin de le généraliser. Le problème, c’est que cela se fait au détriment des vendeuses et des vendeurs.» Marc évoque l’initiative de la droite sur l’ouverture de douze dimanches par an en Suisse. «J’ai peur que le dimanche devienne un jour travaillé comme les autres, qu’on le banalise. Si ça passe, nous n’aurons potentiellement plus aucun jour de congé en commun avec le reste de notre famille.» Sans oublier les mères célibataires. «Qui vont-elles trouver pour garder leurs enfants, et à quel prix?» Nos militants citent l’exemple de la France, où le travail du dimanche a fini par devenir la norme, avec des compensations de plus en plus faibles pour les salariés.

Démotivation générale
Jean-Baptiste et Marc le voient bien, les magasins ont de plus en plus de peine à recruter, notamment chez les jeunes. L’attractivité de la branche en a pris un coup. Bas salaires, travail du samedi (et du dimanche qui guette), pression, horaires flexibles, clientèle exigeante: les contraintes sont devenues trop nombreuses. «Chez nous, plus de la moitié des employés cherche un autre emploi, et dans une autre branche, lâche Marc. Je n’ai jamais vu une équipe aussi démotivée en plus de trente-cinq ans de carrière.» Jean-Baptiste est l’un d’eux. «Avant c’était avantageux, mais notre travail a changé. On nous demande de vendre des produits, mais aussi des services complémentaires de logistique, des extensions de garantie ou des traitements antitaches. On est vendeur et assureur, mais nos primes ont été divisées par deux, cherchez l’erreur! Les gens quittent la profession petit à petit. Moi-même, je cherche à me former pour partir dans autre chose, un emploi où je serai moins fatigué, mieux payé, avec deux jours de congé consécutifs.»
Que faire pour retrouver du bien-être dans la vente? Pour Marc, il est capital de négocier une convention collective de travail, mais les associations patronales ne veulent pas en entendre parler. «Pour revaloriser nos métiers, il faut augmenter les salaires, revoir la planification du travail et accorder au moins un week-end de libre par mois aux vendeuses et aux vendeurs afin de leur permettre d’avoir une vie familiale et sociale digne de ce nom.» Il y a encore du pain sur la planche... 

* Prénoms d’emprunt

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