L’ubérisation du marché du travail se prend une gifle

Le rejet de l’initiative Grossen est une première étape dans le combat pour la défense du statut de certaines catégories de travailleurs.
Le Conseil national a écarté l’initiative parlementaire visant à contourner les règles qui régissent le statut de travailleur indépendant.
C’est un grand jour pour les travailleuses et les travailleurs en Suisse, dont le statut et une partie des acquis étaient au cœur d’un débat crucial en ce mardi 3 juin. Le Conseil national a en effet refusé d’entrer en matière sur l’initiative parlementaire Grossen, du nom de l’élu vert’libéral Jürg Grossen. Celui-ci entendait bouleverser de fond en comble les conditions qui permettent aujourd’hui de déterminer le statut des indépendants, en remodelant les canons existants en vue de privilégier une dérégulation du domaine. Plus précisément, l’initiative préconisait que la condition de l’indépendance ne soit plus régie par des critères objectifs mais plutôt par une convention entre l’employeur et le salarié comprenant des formules que l’Union syndicale suisse (USS) considère comme trompeuses.
Contre les faux indépendants
L’application du nouveau dispositif aurait provoqué une multiplication massive des faux indépendants au sein de ces catégories professionnelles peu protégées et mal rémunérées, plutôt enclines à se défaire du statut de salarié. Constat particulièrement prégnant auprès du second œuvre, des coiffeuses et coiffeurs, dans le nettoyage ou encore au sein des chauffeurs et chauffeuses. Le revers de la médaille du changement de statut aurait consisté, pour les travailleurs concernés, en une perte de la couverture contre le chômage, en l’absence d’assurance contre les accidents, en la disparition des cotisations de l’employeur à la prévoyance professionnelle. S’ajoute à cela le délitement des règles qui fixent la durée maximale de travail et le droit au repos. Reconnue par les opposants comme rampe de lancement pour le dumping salarial, l’initiative Grossen a su générer un front commun (syndicats, associations patronales, cantons, Conseil fédéral) pour la combattre. Et elle a fini par être rejetée alors même que la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS-N) l’avait soutenue sans réserve.
Trois mesures pour l’avenir
Pour l’USS, cette victoire est à saluer mais elle ne représente qu’une étape dans un processus qui doit viser à mieux protéger certaines catégories de travailleurs. «Le problème des faux indépendants gagne en effet du terrain, dans l’économie de plateforme comme dans les emplois précaires du secteur des services ou dans les chaînes de sous-traitance reposant sur la division du travail», déclare dans un communiqué l’organisation faîtière. Qui préconise trois mesures concrètes pour avancer dans ce dossier épineux. En premier lieu, faire bénéficier les salariés des plateformes de la présomption du statut de dépendant, et exiger par conséquent de l’entreprise d’apporter la preuve du contraire. Habiliter, en deuxième lieu, les syndicats à «faire trancher de manière contraignante, pour des groupes entiers de travailleurs, la question de la relation de travail». Enfin, obliger les grands donneurs d’ordre à faire respecter les droits sociaux des travailleurs dans toute la chaîne de sous-traitance.