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Les petites mains d’Uber, Amazon et consorts font entendre leur voix à Genève

Manifestants à la place des Nations, à Genève.
© Olivier Vogelsang

Des employées et employés de plateformes venus du monde entier ont manifesté à Genève le 4 juin, en marge de la conférence de l'Organisation internationale du travail (OIT), pour réclamer les mêmes droits que tous les travailleurs.

En marge de la conférence de l’OIT, des travailleuses et des travailleurs du monde entier se sont réunis pendant trois jours pour exiger une réglementation de l’économie de plateformes.

«Workers power! Union power!» Impossible de louper l’arrivée à la place des Nations de la petite centaine de déléguées et de délégués du monde entier, qui déboulent du tram ce 4 juin en criant des slogans. Réunie pendant trois jours à l’Université ouvrière de Genève (UOG), cette assemblée joyeuse et déterminée est venue d’Asie, d’Amérique, d’Afrique et d’Europe pour faire entendre la voix des petites mains d’Uber, Amazon et consorts, pendant qu’à quelques encablures de là, se tient depuis le 2 juin la conférence annuelle de l’Organisation internationale du travail (OIT). Cette dernière doit, entre autres, discuter d’une éventuelle convention pour réglementer l’économie de plateformes à l’échelle mondiale. 

Au deuxième jour de la conférence tripartite entre gouvernements, employeurs et représentants des employés, une trentaine d’ONG, de syndicats et d’organisations de défense des droits de l’homme ont publié une déclaration commune, appelant l’OIT à adopter d’urgence une convention internationale sur cette économie en pleine expansion, afin d’envoyer «un signal fort indiquant que le progrès technologique ne doit pas se faire au détriment des droits humains». 

Le blocage des patrons

A la manifestation sur la place des Nations, Biju Mathew, cofondateur du syndicat New York Taxi Workers Alliance, qui participe aux négociations, a toutefois déploré que celles-ci traînent: «Après trois jours de discussions, on n’a toujours pas dépassé la première ligne de la future convention. Les employeurs font tout ce qu’ils peuvent pour bloquer le processus. La plupart des gouvernements nous soutiennent, mais la Suisse fait partie des pays qui sont du côté des patrons.» 

«Honte à elle!» crie la foule. A entendre les témoignages de travailleuses et travailleurs de plateformes, venus nombreux à la conférence parallèle qui se tient à l’UOG, les problèmes sont les mêmes sur tous les continents: faux statut d'indépendant, absence de couverture sociale, horaires à rallonge, revenus fluctuants, management algorithmique automatisé et déshumanisé, etc. 

Des oratrices et des orateurs tous plus remontés les uns que les autres défilent au micro. «Les plateformes ne peuvent pas rester impunies et continuer d’exploiter les gens!», lance Manju Goel, ex-employée d’Amazon en Inde, membre du syndicat GIPSWU (Gig & Platform Service Workers Union). «Ces compagnies affirment donner du travail à beaucoup de monde, mais c’est nous qui leur faisons gagner de l’argent. Alors nous avons le droit d’être mieux payés. Nous faisons des journées de 10, 12 ou 14 heures, il n’y a pas de limite. Et on ne peut se plaindre à personne, car on ne nous écoute pas.»

40 millions de travailleurs en Inde

L’économie de plateformes est très développée dans le sous-continent indien. «Il y a 40 millions de travailleurs dans ce domaine, estime Sangam Tripathy, syndicaliste indien. Cela va des chauffeurs VTC aux livreurs de pizzas, en passant par toutes sortes de services à domicile comme la manucure, la plomberie, la peinture, etc. Il y a beaucoup de chômage en Inde, alors les gens se connectent à ces plateformes et dès le lendemain, ils peuvent commencer à travailler. Le problème, c’est que ces compagnies ont une situation de monopole et si vous vous plaignez de vos conditions de travail, elles vous disent: “Il y en a dix autres qui sont prêts à prendre ta place”.»

Le président de l'association VTC-Genève, Aria Jabbarpour, se félicite de la victoire remportée fin mai devant le Tribunal fédéral: «Dans un arrêt, il nous a donné raison en confirmant que nous sommes des employés d’Uber et pas des indépendants, car nous dépendons totalement de l’application. Mais nous devons encore nous battre pour que le Conseil d’Etat genevois applique la décision des juges.» Des travailleurs luttent aussi de manière individuelle: «Nous avons aidé des centaines de chauffeurs d’Uber en Suisse et en France à récupérer leurs données pour prouver qu’ils ne sont pas indépendants, confie Paul-Olivier Dehaye, directeur de Hestia.ai, une société suisse spécialisée dans la protection des données. Rien qu’à Genève, il y a une trentaine de cas pendants devant la justice, et des démarches similaires sont en cours dans de nombreux pays.»

Un moment historique

La députée européenne française Leïla Chaibi, (La France Insoumise) est également là. Elle a été en charge des négociations pour la Directive sur le travail des plateformes, adoptée il y a un an par le Parlement européen: «Je suis ici pour poursuivre cette bataille au niveau global, déclare-t-elle. La conférence de l’OIT est un moment historique, car il s’agit de mettre sur pied une convention pour vous donner les mêmes droits que tous les travailleurs. Quelle que soit l’issue des négociations, vous avez déjà gagné, car en vous réunissant à Genève, vous donnez tort à ces compagnies qui pensaient que jamais les travailleurs du monde entier ne pourraient s’unir. Nous sommes en train de changer le rapport de force!»

Lors des discussions à l’UOG, le chercheur néerlandais Rodrigo Fernandez a décrit l’économie de plateformes comme un modèle d’affaires prédateur, au même titre que le capital-investissement. «Ces sociétés font des bénéfices en réduisant au maximum leurs charges – en particulier les salaires – et en faisant payer des droits pour l’utilisation d’une application. Nous devons construire des alternatives publiques à ces plateformes, qui soient entre les mains des utilisateurs et des contributeurs à l'écosystème», suggère-t-il.

A l’OIT, les discussions se sont achevées le 13 juin. Finalement, les parties ont accepté le principe d’une convention, ce qui n’était pas gagné d’avance, certains pays comme la Suisse et les Etats-Unis y étant d’abord opposés. Mais pour l’instant, seul un article sur soixante a fait l’objet d’un consensus. Il y a donc du pain sur la planche pour le second round de négociations, qui aura lieu dans un an.

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