Tisser des liens, malgré la douleur

Lors de l’été 2024, Nour et Huwaida ont participé, avec d’autres participants de différentes communautés, à un séjour de dialogue intitulé «Breaking the Ice» aux Diablerets.
L’association Coexistences offre un espace de rencontre entre Israéliens et Palestiniens depuis presque vingt ans. Face au conflit, elle continue d’œuvrer à la paix.
Les mots manquent. Comment appréhender les massacres toujours en cours à Gaza par le gouvernement Netanyahou, se souvenir de ceux du 7 octobre par le Hamas, des otages israéliens, des prisonniers palestiniens et des familles qui souffrent? Comment ne pas oublier les manifestants pacifistes israéliens et les Gazaouis qui survivent sous les bombes et à la famine? Dans ce contexte si douloureux, comment continuer à œuvrer lorsque l’on s’efforce de tisser des liens entre Juifs et Arabes (musulmans, chrétiens, druzes, bédouins)?
Vaille que vaille, l’association Coexistences continue de croire au dialogue et à mener ses projets au sein des sociétés civiles en favorisant la rencontre et le dialogue.
Depuis presque vingt ans, Massimo Sandri, cofondateur et président depuis quelques mois, a inauguré l’accueil en Suisse de groupes mixtes, israéliens et palestiniens, avec l’objectif de renforcer le dialogue. Fils d’un dirigeant communiste italien, ancien conseiller communal lausannois et député popiste au Grand Conseil vaudois, l’homme au grand cœur accueille, de surcroît, depuis l’invasion russe, des Ukrainiens chez lui. Résolument militant, grand connaisseur d’Israël, il nous livre une analyse personnelle de la situation.
Que fait Coexistences?
En 2006, de manière inofficielle et par le biais de connaissances, une dizaine de familles suisses a accueilli des jeunes femmes juives et arabes ayant déjà entrepris un travail de dialogue. Cette première expérience a été incroyable. Ce qui nous a poussés à la renouveler. Nous avons donc créé l’association en 2007. Et, depuis lors, nous offrons un espace sécurisé pour un dialogue approfondi. En amont, le choix des participants se fait par nos partenaires locaux auprès de milieux très divers avec un nombre égal de personnes des deux communautés. Des médiateurs professionnels israélo-palestiniens facilitent les rencontres et aident les participants à mieux se connaître (culture, traditions, religion, rôles des femmes et des hommes, histoires individuelles et collectives…) pour tenter de vaincre les peurs et briser les stéréotypes. Des discussions, dont les thèmes sont suggérés par les membres du groupe, sont organisées. Le travail entamé en Israël et en Palestine se poursuit pendant les dix jours du séjour en Suisse. Ils sont accueillis en duo dans des familles et partagent une même chambre. Ils passent également plusieurs jours tous ensemble dans un chalet de montagne. Libérés du contexte stressant du conflit, dans un environnement étranger et une situation de coexistence intense, la dynamique du groupe se transforme et une solidarité émerge. Après avoir accueilli 42 groupes, pour un total d’environ 750 personnes, nous avons constaté que le séjour aboutit toujours à la formation d’amitiés profondes et à ouvrir de nouvelles perspectives. Après le séjour chez nous, les rencontres se poursuivent en Israël et en Palestine…
Quels sont vos projets cette année, alors que Gaza est toujours sous les bombes?
Nous avons trois groupes qui seront, comme à chaque fois, encadrés par des facilitateurs et des facilitatrices qui viennent également de leur région, parlent hébreu et arabe. Le premier projet réunit des jeunes femmes d’Israël et de Cisjordanie qui se forment au leadership et à la résolution de conflit. Le deuxième réunit des directeurs d’écoles juives et arabes de Galilée et de Jérusalem. Et le troisième regroupe des éducateurs arabes et juifs de Haïfa, ville mixte.
Ces personnes qui s’engagent à venir dialoguer ne sont pas forcément des militants, mais leur participation au projet est un acte politique fort, en opposition à la logique du mur contre mur des gouvernants actuels. Ces groupes mixtes cherchent à se parler et à trouver des solutions. D’ailleurs, ils sont souvent ostracisés par leurs communautés respectives, car on les accuse d’entente avec l’ennemi.
Comment se positionne Coexistences face au conflit israélo-palestinien?
Nous œuvrons pour les uns et pour les autres, et non pas pour les uns contre les autres. Israéliens et Palestiniens sont deux peuples qui vivent sur un même et exigu territoire. Ils n’ont d’autre choix que de trouver les moyens de vivre ensemble. Je tiens à rappeler, dans ce journal, que l’histoire du sionisme est étroitement liée à celle du mouvement ouvrier. Du reste, il n’y a pas un, mais des sionismes divers et variés, marxiste, socialiste, révisionniste, messianique. La gauche israélienne, qui se mobilise chaque jour contre Netanyahou, est totalement affaiblie par l’hostilité d’une partie de la gauche européenne envers un sionisme non différencié et «essentialisé». Ceux qui manifestent pour la libération des otages à Tel-Aviv manifestent aussi pour le cessez-le-feu et sont de ce fait les alliés des Palestiniens. D’autre part, comment ne pas voir ce qui se joue dans le monde palestinien, notamment l’écart béant qui sépare les Frères musulmans du Hamas de l’Autorité nationale palestinienne (ANP) issue de l’OLP d’Arafat? La gauche européenne n’entretient malheureusement presque aucune relation avec la gauche israélienne et encore moins avec l’ANP. Or, ce sont seulement elles qui peuvent faire barrage au gouvernement Netanyahou et au Hamas.
Actuellement, plusieurs projets de loi du Parlement israélien, la Knesset, affectent nos partenaires sur le terrain. L’un d’entre eux prévoit de taxer à hauteur de 80% les dons reçus de l’étranger par les ONG, dont la grande majorité sont engagées dans le dialogue. Nous avons entamé une démarche auprès des autorités fédérales helvétiques pour qu’elles agissent contre ces propositions.
Comment voyez-vous l’avenir de cette région?
Il ne faut pas oublier toutes celles et tous ceux qui militent et œuvrent ensemble pour la paix des deux côtés. Ils sont beaucoup plus nombreux qu’on ne l’imagine. Une solution à deux Etats souverains confédéraux, des gouvernements qui respectent les minorités et la séparation des pouvoirs semblent l’unique solution viable. Nous n’avons pas d’autre choix que d’éviter le manichéisme; voir la souffrance des deux côtés, reconnaître les raisons des uns et des autres, même si cet exercice est très difficile. De là, une autre voie pourra émerger. Mais aujourd’hui, nous sommes dans un cul-de-sac. Une grande dame du pacifisme, Vivian Silver, a été tuée lors du massacre du 7 octobre par le Hamas. Elle œuvrait avec et pour les Gazaouis. Le documentaire Résister pour la paix, de Hanna Assouline, fondatrice du mouvement Guerrières de la paix, et Sonia Terrab lui rendent hommage. Nous pleurons, parmi tant d’autres victimes, la mort de cette militante, comme celle de notre ami Tamam Al Saadi, jeune infirmier palestinien pacifiste que nous avions accueilli à Lausanne en 2023, tué par l’armée israélienne à Jénine, alors qu’il rentrait du travail…