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Les grévistes polonais victorieux à Sainte-Croix

La grève a duré 16 jours. Au final la lutte collective a payé et l'employeur a été contraint de négocier

Epilogue dans le conflit de Sainte-Croix. Les patrons ont été amenés à la table des négociations après 16 jours de grève et l'intervention des autorités vaudoises et neuchâteloises. Ils ont accordé un montant de 62000 francs net aux six ouvriers polonais qui exigeaient le paiement de la totalité de leur travail. Unia salue cette victoire.

Il aura fallu 16 jours de grève et d'occupation du chantier sur lequel ils travaillaient pour que les six travailleurs polonais de Sainte-Croix réussissent à faire céder leur employeur. Et engranger une victoire tant pour eux que pour les régions Vaud et Neuchâtel d'Unia qui les ont soutenus.
Les six ouvriers avaient débuté leur lutte le 30 août après qu'Unia ait découvert des conditions de travail dignes de l'exploitation la plus totale (voir nos éditions des 7 et 14 septembre). Des salaires de 8 à 9 euros de l'heure, des journées interminables, des heures supplémentaires non payées, des loyers usuriers... Les travailleurs polonais se sont serré les coudes et ont fait preuve de courage et de détermination. Avec Unia, ils ont dénoncé les mécanismes obscurs reliant l'entreprise qui les avait engagés, Alpen Peak sise à Neuchâtel, et d'autres sociétés actives dans l'immobilier et l'investissement, comme celle du gérant d'Alpen Peak, Laurent Bovet, par ailleurs sous-directeur d'une multinationale de conseil aux entreprises, Mazars SA. C'est à la suite d'actions devant ces sociétés, le 6 septembre à Sainte-Croix et le 7 à Lausanne, que les fronts ont commencé à bouger. Les départements de l'économie des cantons de Vaud et de Neuchâtel ont diligenté des enquêtes sur l'affaire. Puis syndicat et grévistes étaient reçus par le président du Conseil d'Etat vaudois. Enfin, le ministre vaudois de l'économie Philippe Leuba a proposé ses bons offices pour amener le directeur d'Alpen Peak, Laurent De Giorgi, et son gérant et propriétaire Laurent Bovet, à la table des négociations. Le mardi 13 septembre, une séance préliminaire pouvait enfin se tenir. Le soir même, l'occupation des locaux était suspendue. Deux jours plus tard, un accord était sous toit.

Séquestre maintenu jusqu'au paiement
La société s'est engagée à payer un total de 62000 francs net, dont 20000 d'indemnités pour tort moral, aux six Polonais. Elle s'acquittera en plus des charges sociales respectives. Saisie de l'affaire, la commission paritaire neuchâteloise du second œuvre avait sanctionné Alpen Peak d'une amende de 10000 francs pour avoir fourni des documents lacunaires au sujet de ces six Polonais et de ceux les ayant précédés. Selon un communiqué des conseillers d'Etat vaudois et neuchâtelois de l'économie sur la fin du conflit de Sainte-Croix, la procédure entamée «a été clôturée». De son côté, Unia a maintenu la procédure de séquestre sur les deux voitures de luxe d'Alpen Peak et le matériel de construction saisi dans l'attente du paiement, qui devait être effectué ce début de semaine.

«En s'organisant, on peut se faire respecter»
Unia Vaud et Neuchâtel ont salué l'accord obtenu. «C'est une victoire syndicale. Cet accord, validé par les travailleurs eux-mêmes, les rétablit largement dans leurs droits», relève Lionel Roche, responsable de l'artisanat à Unia Vaud. «Les moyens de lutte mis en place, la grève et l'occupation des locaux, ont été efficaces», souligne-t-il, ajoutant que cette victoire lance un double message: «Aux travailleurs, en montrant qu'il n'y a pas de fatalité, qu'on peut toujours lutter pour que nos droits soient reconnus et obliger les patrons à appliquer les CCT. Et aux entreprises crasses qui ne sont peut-être pas impressionnées par les commissions paritaires et les sanctions, mais qui doivent savoir qu'il reste la capacité des syndicats et des travailleurs d'agir pour qu'ils respectent leurs obligations.»
Appelant à un renforcement des mesures d'accompagnement et des contrôles dans un «secteur gangrené par le dumping salarial et les scandales», le syndicaliste prône aussi, en parallèle, l'action directe des salariés et du syndicat. «Cette année, nous avons mené six actions de ce type dans l'artisanat vaudois. Dans les autres cas, les patrons se sont assis tout de suite à la table des négociations. Cette fois, la lutte a été plus dure, mais nous n'avons pas lâché. Cette grève victorieuse doit donner confiance à tous les travailleurs afin qu'ils n'hésitent pas à se battre et se défendre pour faire valoir leurs droits. Elle montre qu'en s'organisant collectivement, il y a un moyen de se faire respecter.»

Sylviane Herranz


«Au noir, en Italie, j'étais mieux traité qu'avec un contrat en Suisse»
Jeudi 15 septembre. Jan, Piotr, Andrzej, Lukasz, Tomasz et Artur sont à Lausanne, dans les locaux d'Unia. Soulagés, alors que la signature de l'accord est imminente. Ils sont confiants, l'argent sera versé. Et s'apprêtent à remonter sur le balcon du Jura pour remercier les personnes les ayant hébergé, avant de repartir, dans un jour ou deux, retrouver leur famille en Pologne.
L'heure est aux sourires, et au rire aussi. Qui jaillit après des jours de tension et d'attente. Comme lorsque Jan, qui s'exprime un peu en italien, raconte l'histoire d'Artur, le plus jeune d'entre eux, qui vient de fêter ses 20 ans. «Il n'imaginait pas se retrouver sous les feux des projecteurs ou encore au cœur d'une manifestation de 20000 personnes à Berne le 10 septembre! Sa maman, affolée par tout ce qu'il lui racontait, lui a dit: rentre vite en Pologne!» Il déclenche à nouveau les rires lorsqu'il mime un regard inquisiteur sur une feuille de papier: «Lorsque nous recevrons un contrat d'un futur employeur, nous irons le montrer à Unia, et surtout, nous ferons très attention à ce que De Giorgi et Bovet ne se cachent pas derrière la société!»
Car une chose est sûre, c'est qu'ils reviendront bientôt en Suisse pour chercher du travail, même s'ils étaient mieux traités en Italie, en France ou en Allemagne où certains ont travaillé, souvent pour des patrons polonais installés dans ces pays. «Nous ne connaissions pas les règles en Suisse. Sur le contrat, ça avait l'air bien. Mais ensuite les choses se sont gâtées», explique Jan. «En Italie, le patron payait toutes les heures. On n'en faisait que 8 par jour. C'était correct et régulier, j'étais payé chaque fin de semaine, au salaire minimum du pays. Je bossais peut-être au noir, mais j'ai été mieux traité qu'avec un contrat en Suisse!»
Forts de la présence d'Unia, c'est aujourd'hui en Suisse qu'ils souhaitent travailler. «En Pologne, les salaires sont de 400 à 450 euros, ajoute Jan. On ne nourrit pas sa famille avec ça, les prix sont chers, l'appartement, la nourriture. Tout le monde part. Il ne reste que les grands-parents là-bas. Et les patrons en Pologne sont comme celui que nous avons connu ici...»

SH