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L’écriture, sésame pour voyager

Sabine Dormond
© Olivier Vogelsang

Sabine Dormond puise son inspiration dans le monde d’aujourd’hui. Et se montre particulièrement sensible aux questions liées à la déshumanisation de la société, la robotisation, les migrations ou encore  l’intégration.

Dans son dernier livre, Tonitruances, l’écrivaine Sabine Dormond évoque son combat contre la dépendance. Un douloureux chapitre de sa vie constitutif de sa riche personnalité. A cœur ouvert.

Parcours difficile que celui suivi par la Vaudoise Sabine Dormond, 57 ans, entre enfance chahutée, dépendance et deuil. L’écrivaine et traductrice grandit au sein d’une famille empoisonnée par les non-dits, dans un climat tendu. Elle est une gamine distraite. Une écolière qui aligne les mauvaises notes, perd constamment des objets et va même jusqu’à rentrer de l’école en oubliant d’enfiler ses chaussures. Mais déjà elle aime jouer avec les mots et écrit des poèmes. Cet attrait se révèle néanmoins insuffisant pour la protéger de sa tendance à l’autodestruction. Adolescente, Sabine Dormond devient anorexique. «J’ai arrêté de manger à l’âge de 15 ans. Cette situation a duré trois années environ», témoigne la quinquagénaire, qui atteindra le seuil critique de 39 kilos pour son 1,69 mètre. Avant de tomber dans une autre dépendance, le cannabis. Une substance qui l’aide à regagner du poids, mais l’enferme dans la maladie de l’addiction. «Entre 18 et 34 ans, je fumais jusqu’à 20 joints par jour, tout en me persuadant que je gérais ma vie malgré tout», raconte celle qui traversera de surcroît une épreuve terrible perdant, à 27 ans, l’homme qu’elle aimait alors. 

Montagnes russes

«Je travaillais à cette époque comme traductrice pour Caritas Suisse à Lucerne. Mon compagnon était aussi employé par l’ONG, comme journaliste. Il a été tué lors d’un reportage en Somalie le 1er septembre 1994.» Ce deuil va encore augmenter sa consommation de marijuana. «J’avais conscience que je raccourcissais mon espérance de vie, mais je ne voyais pas d’autre issue jusqu’à ce que je pousse la porte des narcotiques anonymes, il y a 23 ans.» Ses rencontres avec des personnes abstinentes l’aident à rompre avec son addiction. Et à gérer ses émotions comparées aux montagnes russes. «Je ressentais beaucoup de colère, révélatrice d’une perte de maîtrise. J’ai appris à verbaliser.» Sabine Dormond raconte son histoire dans Tonitruances, paru au début de cette année, avec l’espoir d’épauler d’autres malades et leurs proches en misant sur «un effet miroir». «On peut s’en sortir, peu importe le produit», insiste l’auteure, qui anime aussi des ateliers d’écriture et d’improvisation théâtrale à destination de dépendants. Et continue à fréquenter le cercle des narcotiques anonymes où elle reconnaît avoir rencontré des gens extraordinaires. «Cette démarche m’a soutenue et me soutient toujours», confie encore la Vaudoise, alliant délicatesse, élégance et une touche de fantaisie comme en témoignent ses bottines aux lacets de couleurs différentes ou encore une mèche de cheveux plus longue tranchant avec sa coupe courte...

De la parole aux actes

Si Sabine Dormont a toujours apprécié écrire, elle rédige ses premiers livres à l’âge de 39-40 ans, alternant entre recueils de nouvelles et romans. «J’aime changer d’univers. Et le format court correspond bien à un mode de vie où nous sommes constamment interrompus», constate l’écrivaine, puisant son inspiration dans le monde d’aujourd’hui. Et se montrant particulièrement sensible aux questions liées à la déshumanisation de la société, la robotisation, les migrations, l’intégration, etc. Un dernier intérêt qui s’exprime aussi dans son quotidien. Vivant dans un grand appartement à Montreux, la locataire partage son espace avec un réfugié afghan. Un jeune homme timide dont elle souligne les progrès en français et sa volonté de s’insérer dans le monde professionnel. «Il a travaillé bénévolement à la Soupe populaire et aussi pour la voirie de Vevey sans être du tout payé, ce que je trouve parfaitement injuste... Il rêve aujourd’hui de pouvoir effectuer un apprentissage mais n’a pas d’appui. Notre politique d’accueil est scandaleuse», s’indigne Sabine Dormond, qui a travaillé des années comme traductrice pour le compte de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés. Une activité professionnelle en phase avec ses convictions et ses valeurs, dont une, cardinale: «Chaque vie humaine a la même importance. Je déteste l’idée qu’on puisse les hiérarchiser.»

Reverdir le Sahara

Mère de deux grands enfants, en couple, l’écrivaine dit s’accrocher pour rester optimiste dans le contexte actuel, estimant qu’on va droit dans le mur. Elle dénonce pêle-mêle la passivité face au génocide palestinien, les courbettes et allégeances à l’égard de Trump, les préoccupations écologiques qui passent à la trappe... «Je rêverais de voir ceux qui dépensent de l’énergie dans l’exploration spatiale s’atteler à des projets autrement plus extraordinaires, comme celui de reverdir le Sahara. Un exploit nettement supérieur à la volonté de coloniser Mars.» L’essor de l’intelligence artificielle, qui la prive désormais de son travail de traductrice, suscite des craintes élargies. «Cet outil vide les êtres de leur créativité, ne leur laissant que les aspects bureaucratiques. Je suis sidérée qu’on n’en parle pas davantage», se désole l’auteure, pour qui écrire, «c’est voyager dans sa tête et celle des autres, vivre plein d’existences différentes». Son prochain livre, qui paraîtra en août, illustre bien ses propos. Il relate l’histoire vraie d’une fille d’un vétéran du Vietnam. Un récit rédigé sur demande qu’elle s’est néanmoins approprié, ajoutant aux confidences recueillies et à la réalité des faits la chaire de son imaginaire. Sa passion de l’écriture ne lui permet pourtant pas de vivre. Aussi, Sabine Dormond suit aujourd’hui une formation de professeure de yoga. Et cultive une vision du bonheur de l’ici et du maintenant alliée à du temps dégagé pour les personnes qu’elle aime. «Je suis heureuse», affirme sans hésiter l’écrivaine, même si elle doit encore apprendre à se libérer de nouvelles dépendances, comme celle affective ou à un jeu de dés. «J’y passe beaucoup de temps. Et je suis une mauvaise perdante. Je ne résiste pas à la colère», avoue Sabine Dormond, d’une sincérité touchante.

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