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Le Conseil fédéral veut jouer à Big Brother

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©Thierry Porchet

L’Etat va-t-il s’immiscer jusque dans nos ordinateurs et nos vies privées? Le Conseil fédéral veut en effet obliger les fournisseurs de services de communication (e-mails, messageries chiffrées, partage de fichiers, etc.) de conserver pendant six mois l’identité et les données de tous leurs usagers, même en l’absence de procédure pénale.

Le gouvernement prévoit d’étendre massivement la surveillance des télécommunications et des messageries. Un projet qui suscite de vives oppositions de tous bords.

Serons-nous bientôt tous espionnés par l'Etat qui, tel Big Brother dans le roman de George Orwell, 1984, s’immiscera dans nos vies privées? C’est ce que l’on peut redouter avec le projet de révision de l’Ordonnance sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (OSCPT), élaboré par le Conseil fédéral.

Le gouvernement veut étendre à l’immense majorité des fournisseurs de services de communication (e-mails, messageries chiffrées, partage de fichiers, etc.) l’obligation – à laquelle sont déjà soumis les opérateurs de téléphonie – de conserver pendant six mois l’identité et les données de tous leurs usagers. Cela même en l’absence de procédure pénale et avec, en prime, la possibilité d’une transmission automatique à l’Etat. Seuls les prestataires ayant moins de 5000 utilisateurs seraient épargnés.

Atteinte aux droits fondamentaux

Alors que la phase de consultation de ce projet vient de s’achever, L'Evénement syndical a eu accès aux multiples avis reçus par le Département fédéral de justice et police (DFJP) – il y en a plus de 800 pages. De nombreuses voix, à droite comme à gauche, s’élèvent pour dénoncer une ingérence disproportionnée dans la sphère privée. Amnesty International Suisse voit là «un tournant préoccupant vers une surveillance généralisée de la population», qui contreviendrait tant à la Constitution fédérale qu’à des traités internationaux ratifiés par la Suisse, comme la Convention européenne des droits de l’homme ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 

Beaucoup soulignent que notre pays ferait figure d'exception en permettant une telle atteinte aux droits fondamentaux. La Cour de justice de l’Union européenne a, pour sa part, invalidé des mesures analogues, jugées trop intrusives. «La sécurité ne doit jamais se faire au prix des libertés fondamentales, considère Illan Acher, expert en droits numériques à Amnesty. Il en va de la crédibilité de la Suisse en tant qu’Etat de droit.» 

Ce projet suscite en particulier des craintes pour toutes celles et ceux qui ont besoin de communications confidentielles pour exercer leur profession ou leurs droits, comme les journalistes, avocats, syndicalistes, médecins, lanceurs d’alerte ou défenseurs des droits humains.

Du côté des partis politiques, tant les socialistes que les Verts, le PLR ou l'UDC rejettent catégoriquement cette révision de l'OSCPT. Evoquant les incertitudes géopolitiques actuelles et rappelant qu'en vertu du droit en vigueur, la justice et les services de renseignement ont déjà accès à des données relevant de la sécurité, le Parti socialiste suisse trouve dangereux d'exiger des systèmes de cryptage qui puissent être décryptés à tout moment par les autorités. «Cela crée d'énormes risques pour la sécurité, qui constituent une faille pour les attaques de pirates informatiques, l'utilisation abusive des données et l'espionnage.»

Une réforme contre-productive

Pour les Verts, la réforme serait même contre-productive: «On peut se demander si davantage de données permettraient d'obtenir de meilleurs résultats: il n'est pas plus facile de trouver une aiguille dans une botte de foin en ajoutant encore plus de foin», image le parti.

L’avocat Sylvain Métille doute, lui aussi, de l’efficacité de la révision. Professeur associé à la Faculté de droit, des sciences criminelles et d'administration publique de l’Université de Lausanne, il a également écrit au DFJP, en tant qu’expert du droit de la protection des données et de la sphère privée: «Le cybercriminel qui veut agir en ligne en ne laissant pas de traces trouvera toujours de nombreux fournisseurs opérant légalement depuis l'étranger, sans parler de l'offre illégale tout aussi facilement accessible, prévient-il. Ce n'est pas en adoptant des obligations restrictives pour quelques prestataires de services que la lutte contre la cybercriminalité sera fondamentalement facilitée.»

En outre, beaucoup font remarquer que ces exigences pénaliseraient les entreprises suisses face à la concurrence étrangère. D’ailleurs, des sociétés spécialisées dans le cryptage de données, comme Proton et Threema, ont déjà averti qu’elles envisagent de quitter la Suisse si la réforme entre en vigueur. Les Verts notent que le départ de ces entreprises, «qui coopéraient jusqu'à présent avec les autorités fédérales, entraînerait la perte d'un accès important aux données».

Un autre point pose problème: le fait qu’il s’agisse de la révision d’une ordonnance et non d’un projet de loi, ce qui interdit toute possibilité de référendum. L’article 36 de la Constitution fédérale stipule pourtant que toute restriction importante d’un droit fondamental doit être fondée sur une base légale. Le Big Brother bernois serait-il inspiré par le roi Ubu qui gouverne actuellement les Etats-Unis à coups de décrets? 

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