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La lutte chez Smood continue

Action Smood à Genève.
© Olivier Vogelsang

Des livreuses et des livreurs de Smood de toute la Suisse romande, accompagnés de syndicalistes et de sympathisants, ont manifesté samedi à Genève contre l’ubérisation, la flexibilisation à outrance et la précarité.

Les livreuses et les livreurs de Smood poursuivent leur combat. Les anciens grévistes traversent une période difficile et exigent la fin de l’ubérisation, de la flexibilisation à outrance et de la précarité. Avec Unia, ils ont protesté à Genève et appellent les autorités à agir

«Stop à l’ubérisation, à la flexibilisation à outrance et à la précarité!» Des livreurs et des livreuses de Smood, des sympathisants et des syndicalistes de tous les cantons romands se sont rassemblés samedi à Genève. Autour d’un sac de livraison géant posé devant les enseignes de restauration rapide de la rue du Mont-Blanc, ils ont réitéré leurs revendications et ont signé une lettre adressée à la conseillère d’Etat genevoise en charge de l’Economie et de l’Emploi, Fabienne Fischer.

Pour mémoire, face au refus de la société de livraison de repas d’ouvrir des négociations, la magistrate avait saisi début décembre la Chambre des relations collectives de travail (CRCT) du canton de Genève après cinq semaines de grève dans onze villes de Suisse romande. La procédure de conciliation qui a suivi s’est conclue fin janvier par un échec. La direction continuant à se montrer inflexible et fermée au dialogue social, aucun compromis n’a pu être trouvé. Smood n’a pas non plus donné suite à une demande d’arbitrage.

Certes, sous la pression, l’entreprise a annoncé vendredi dernier porter le salaire horaire de 19 à 23 francs (en incluant les vacances et les jours fériés) à partir du 26 février, augmenter l'indemnité pour l'utilisation du véhicule privé et verser 20 centimes l'heure pour l'utilisation du téléphone. Smood a également promis de mettre en place une nouvelle application permettant aux collaborateurs d’accéder à leur planning et à leur décompte d'heures. Mais les contrats ne garantissent toujours aucune heure de travail, une grande partie des livraisons réalisées dans la région lémanique par une société sous-traitante, Simple Pay, restent payées à la minute et les frais, notamment de véhicule, ne sont toujours pas intégralement indemnisés.

C’est pourquoi Unia et le comité des livreurs ont décidé de relancer les actions et de se tourner vers les autorités. Car il y a urgence. Les anciens grévistes traversent une période difficile, ils voient leurs revenus et leurs conditions de travail déjà précaires se dégrader encore.

Salaires réduits

«En novembre, j’étais à 140 heures par mois; ces deux dernières semaines, j’ai fait 40 à 44 heures en tout, c’est presque la moitié. Pour les trois semaines à venir, je suis à maximum trois à quatre heures par soirée», témoigne Mario*, livreur à Neuchâtel. S’agit-il de représailles à l’encontre des anciens grévistes? «C’est une possibilité. Il y a aussi le fait que durant la grève, Smood a engagé de nouveaux livreurs, maintenant il y en a plus de disponibles», répond le jeune homme. Du côté de Genève, Jonathan* confirme un recrutement massif: «Au début du mois, je gagnais 100 à 150 francs par jour, mais depuis le milieu de janvier, ils ont engagé énormément de personnes et je ne touche même pas la moitié. Je travaille tous les jours de 11h à 15h et de 18h à 22h ou 23h. Hier, je n’ai eu qu’une commande en quatre heures, je n’ai travaillé que 30 minutes, c’est inacceptable. Nous sommes traités comme des chiens, les gens du backoffice se fichent pas mal de nous! Je suis dehors dix heures par jour; lorsque je rentre le soir, je dois encore me laver et manger; je dors très peu, c’est très fatiguant, j’ai l’impression de ne plus avoir de cerveau», se plaint ce livreur circulant à trottinette électrique.

«Ceux qui n’ont pas fait la grève ont plus de commandes», assure Ramzi de Nyon. «Il n’y a pas forcément une baisse des commandes, mais une attribution de shifts qui se chevauchent ou qui sont limités en nombre de personnes; du coup, cela nous fait moins d’heures», indique, pour sa part, Luis*, livreur en Valais. Au bout du lac, son collègue Badara témoigne avoir des problèmes avec ces fameux shifts, c’est-à-dire les périodes de travail qui sont proposées: «Lorsque je clique, des fois ça marche, des fois pas.»

«Lorsque les grévistes ont cessé leur mouvement, ils ont automatiquement eu accès aux mêmes shifts que les 1100 autres livreurs et cela sans aucune distinction, affirme le porte-parole de Smood, Alex Segovia, interrogé par L’Evénement syndical. Si certains livreurs ont constaté qu’ils avaient accès à moins de shifts, c’est, d’une part, parce que les shifts disponibles avaient déjà été pris par d’autres livreurs et, d’autre part, c’est lié à une baisse générale de l’activité dans les endroits touchés par les grèves, conséquence directe des actions destructrices d’Unia»…

«La stratégie de Smood, c’est de nier jusqu’au bout. Ils ont ainsi contesté toutes les pièces que nous avons présentées à la conciliation et tout entrepris pour faire traîner les négociations», remarque Luis.

Fins de mois difficiles

Dans ces conditions, on imagine que les fins de mois sont difficiles, surtout pour ceux qui travaillent exclusivement pour Smood, à l’instar de Badara: «C’est très compliqué, je vis difficilement, je n’ai aucune aide. J’espère qu’à la fin du mois, j’aurai un salaire correct avec un peu d’heures.» Mario, lui, a réussi à boucler le mois de janvier «par miracle». «Mes parents m’ont aidé encore un peu, à presque 30 ans, je n’ai pas un travail qui me permette de vivre normalement», déplore le Neuchâtelois.

Après l’arrêt de la grève et l’échec de la procédure de conciliation, les grévistes ne cachent pas leur pessimisme. «Je suis réaliste, corrige Mario. Les lois suisses sont ridicules: nous avons dû travailler durant les négociations et Smood a continué à gagner de l’argent et, finalement, n’a rien lâché. Je crois qu’ils ne changeront jamais. J’espère me tromper et que la conclusion d’un contrat collectif soit annoncée dans les prochaines semaines, mais, en attendant, je cherche un autre emploi.» Ramzi est aussi un peu amer: «Nous avons espéré un changement, alors revenir sur le terrain dans les mêmes conditions, c’est difficile. Nous avons tous des obligations, des factures à payer. On ne peut pas éviter de venir, mais si demain, on a la chance de trouver un autre employeur, on n’hésitera pas.»

Un certain nombre de grévistes ont ainsi préféré jeter l’éponge, ils ont trouvé un emploi ailleurs ou repris des études. Certains ont choisi de s’inscrire au chômage. Mais gare! Employé depuis deux ans par Simple Pay, au bout du rouleau, Jean* a claqué la porte à la veille de Noël. En raison de cette démission, il va être sanctionné par l’assurance chômage et ne pourra pas tout de suite toucher des indemnités. «Je travaillais sept jours sur sept et je ne gagnais que 2000 francs par mois. Après déduction des frais, il ne me restait que 1000 francs. Si nous habitions en France, il serait peut-être possible de s’en sortir, mais à Genève, avec deux enfants, le loyer, les assurances et les impôts… J’ai passé des journées de 8h à 18h pour n’être payé que quatre heures. Ce n’était pas possible de continuer», explique ce jeune papa, qui espère maintenant trouver rapidement un emploi de chauffeur. «Si ma compagne ne travaillait pas, nous serions à la rue. Nous pouvons dîner tous les soirs chez ma belle-mère, mais les fins de mois sont compliquées», confie-t-il. «C’est une situation dramatique, il est regrettable qu’il ne nous ait pas consultés avant de démissionner», souligne Artur Bienko, secrétaire syndical d’Unia Genève.

Imposer des limites à l’ubérisation

Signée par les participants à l’action de samedi, une lettre va être remise au Conseil d’Etat genevois avec copie aux autres cantons romands. Vice-présidente d’Unia, Véronique Polito résume la démarche: «Nous demandons aux autorités genevoises des actions concrètes et fermes. L'ubérisation, qui mine la vie des gens et qui détruit les lois censées les protéger, doit être stoppée. Tous les moyens légaux à disposition doivent être mis en œuvre pour forcer Smood et les autres plateformes à respecter les lois et les règles en vigueur, ainsi que les salaires minimums.» Pour appuyer la demande, une entrevue avec la conseillère d’Etat Fabienne Fischer est sollicitée.

Quant à la CRCT, elle a remis ses recommandations ce lundi 7 février. La Chambre soutient les revendications des livreurs et des livreuses de Smood, se réjouit Unia. Elle recommande notamment une hausse du salaire à 23 francs au moins (ou 23,27 francs à Genève), un minimum garanti de 17 heures de travail par semaine, le paiement de toutes les heures effectuées, une indemnisation correcte des frais et une répartition transparente des pourboires. Des points centraux du litige, sur lesquels nous reviendrons, et dont Unia demande la mise en œuvre immédiate.

* Prénoms d’emprunt.

Au Tessin, Unia aux prises avec Divoora

Au Tessin, les livreurs soutenus par Unia sont en conflit avec Divoora, une société qui ressemble beaucoup à Smood. Les 170 livreurs de cette entreprise ne sont rétribués que durant le temps de livraison et n’ont pas un minimum d’heures garanti. Leur salaire ne se monte qu’à 35 centimes par minute. Après l’échec de négociations, Unia et le syndicat chrétien-social tessinois ont organisé un rassemblement avec des salariés le 23 décembre dans le centre de Lugano pour alerter l’opinion publique. Puis, ils ont lancé fin janvier une pétition demandant la reconnaissance complète du temps de travail, la rémunération de chaque heure effectivement travaillée, l'aménagement du temps de travail avec un minimum d’heures garanti, un système correct de remboursement des frais d'utilisation du véhicule privé et une couverture d'assurance en cas de maladie. En une semaine, la pétition a recueilli 2300 signatures montrant que la population tessinoise est sensible aux conditions de travail et aux revendications des livreurs. La pétition devait être remise jeudi dernier à l’entreprise, mais la direction a annulé la réunion prévue en dénonçant une «campagne de diffamation des syndicats». Ceux-ci ont regretté que Divoora perde l’occasion de rouvrir le dialogue et ont promis de poursuivre les actions syndicales.

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