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Front associatif contre la pauvreté

Les Vaudois voteront le 15 mai sur une loi en faveur des familles de travailleurs pauvres et des chômeurs âgés

Salaire minimum : 2500 ou à 4000 francs?
Opposants et partisans de l'initiative vaudoise se sont confrontés lors d'un débat public à Lausanne

Si les milieux patronaux et une partie de la droite vaudoise bataillent ferme, à coup de centaines de milliers de francs de publicité et de raccourcis trompeurs, contre l'introduction des PC familles et de la rente-pont dans le canton, ils s'opposent aussi fermement à l'introduction d'un salaire minimum réclamé par une initiative cantonale. Lancée au printemps 2008 par Solidarités, le POP et Attac, cette initiative, visant à introduire le principe d'un salaire minimum dans la Constitution vaudoise, est aujourd'hui soutenue par une large coalition, dont l'Union syndicale vaudoise. De telles initiatives ont aussi abouti à Genève (où le vote est prévu cet automne), en Valais et au Jura.
Jeudi dernier, partisans et opposants de l'initiative vaudoise ont croisé le fer devant une centaine de personnes lors d'un débat à Lausanne. Sous l'arbitrage du journaliste Justin Favrod, Jean-Michel Dolivo, avocat et député de A Gauche toute et Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d'Unia Genève, se sont confrontés aux arguments d'un représentant du Centre patronal, Jean-Hugues Büsslinger, et du député UDC Eric Bonjour.
Premier point d'achoppement, le montant du salaire minimum qui n'est pas défini par l'initiative. Se basant sur un arrêt du Tribunal fédéral indiquant que, juridiquement, un tel salaire devrait être fixé à un niveau proche du minimum des assurances sociales, Jean-Hugues Büsslinger estime qu'il sera de 2500 francs, soit le montant de l'aide sociale pour une personne seule. Un avis contesté par Jean-Michel Dolivo. Pour lui, le niveau d'un tel salaire est un problème politique et non juridique. Et pour vivre dignement, alors que certains ne vivent encore qu'avec des revenus de 2500 à 3000 francs par mois, le salaire minimum doit être fixé à au moins 3500 francs, payé 13 fois. Un minimum qu'il sera bien sûr possible de dépasser, à l'instar de minimas salariaux existant dans certaines conventions collectives, qui sont bien inférieurs aux salaires réels versés. Un participant rappelle aussi que les minimums d'aide sociale sont définis par les instances politiques et ont plutôt été revus à la baisse ces dernières années. Le syndicaliste Alessandro Pelizzari indique pour sa part que l'initiative fédérale lancée en début d'année, pour un salaire minimum de 22 francs de l'heure ou 4000 francs par mois, apportera une clarification juridique et permettra aux cantons d'aller au-delà.

Plus ou moins d'emplois?
La seconde pomme de discorde est l'argument des patrons, et du député UDC Eric Bonjour, prétendant qu'un salaire minimum détruirait les emplois. «Les petits salaires sont versés dans les métiers où il y a peu de marge. S'il n'y en a plus, ces emplois risquent de disparaître», relève-t-il, tout en disant qu'il aurait été favorable à l'initiative si le salaire était fixé à 2500 francs... Outre une atteinte à la liberté économique, un salaire minimum représente une barrière à l'embauche, affirme Jean-Hugues Büsslinger. «Bien sûr qu'il s'agit d'une atteinte à la liberté d'exploiter les salariés. Et pour qu'il n'y ait plus de barrière à l'embauche, on pourrait revenir à l'esclavage», répond Jean-Michel Dolivo. Alors qu'Alessandro Pelizzari rappelle que 90% des pays du monde ont des salaires minimums et que son instauration augmentera le pouvoir d'achat et donc les emplois. Il dénonce également la politique de privatisation ou de sous-traitance de certains services étatiques, comme le nettoyage, tirant vers le bas les salaires et jetant les travailleurs dans la précarité. Un salaire minimum permettrait de revaloriser le travail dans ces branches, dit-il, et d'éviter le subventionnement de ces emplois par l'Etat via l'aide sociale.

La mort du partenariat social...
Parmi d'autres controverses, comme la lutte contre la pauvreté, un argument choc a aussi été mis en avant par le représentant du Centre patronal: la fin du partenariat social. «Les salaires minimaux existant aujourd'hui sont le fruit de négociations entre patrons et syndicats. Introduire un salaire légal, c'est détruire le partenariat social», souligne Jean-Hugues Büsslinger. La réplique du syndicaliste Alessandro Pelizzari ne se fait pas attendre: «Qui remet en cause le partenariat social? En 2008, ce sont les patrons qui ont dénoncé la Convention nationale de la construction. Et plus récemment, ce sont eux aussi qui ont décidé de laisser 20000 employés du commerce de détail sans CCT à Genève.» L'absence d'interlocuteurs patronaux dans certaines branches pour négocier des conventions collectives est aussi un élément justifiant l'introduction d'un salaire minimum, disent ses partisans. Cela permettrait aux 60% de salariés non couverts par une CCT avec des minimas salariaux d'acquérir un salaire de base et une protection de leur revenu contre le dumping, autre sujet d'actualité.

Sylviane Herranz

 

Importantes votations ce week-end en pays de Vaud. Les citoyens sont appelés à se prononcer sur deux objets sociaux: le premier, proposant d'introduire des PC familles pour les travailleurs pauvres et une rente-pont pour les chômeurs âgés, serait une avancée sociale considérable permettant aux bénéficiaires de sortir de l'assistance. Le second vise à combattre la précarité en introduisant le principe du salaire minimum dans la Constitution cantonale.

Les associations vaudoises d'aide aux plus défavorisés et aux personnes âgées sont montées au front devant la presse le 3 mai dernier. Parmi elles: Caritas, Pro Senectute, l'Avivo et le Secours d'hiver. Elles défendent bec et ongles la loi instaurant des prestations complémentaires (PC) pour les familles de working-poor et une rente-pont pour les sans-emploi âgés. Cette législation passera devant le peuple vaudois le 15 mai prochain, en raison d'un référendum lancé par une partie de la droite vaudoise. Le premier volet de la loi permettrait d'octroyer un soutien financier en complément du salaire des familles pauvres ayant des enfants. Elles bénéficieraient ainsi d'un revenu situé juste au-dessus du niveau de pauvreté, ce qui leur éviterait le recours à l'aide sociale. Le second volet propose une rente-pont modeste jusqu'à l'âge de la retraite pour les sans-emploi âgés, dès 62 ans pour les femmes et 63 pour les hommes. Les deux dispositifs seront financés à 65% par l'Etat et les communes, le reste par une cotisation paritaire de 0,06%. Cette dernière représente une contribution équivalente à un café par mois pour un employé touchant un salaire de 5000 francs mensuel. Les deux témoignages ci-dessous rendent plus concrets les besoins auxquels entend répondre cette loi.

«Si je gagne 50 francs de plus, ma précarité augmente»
Carole est hautement qualifiée. Avec son doctorat en biologie, elle se retrouve tout de même dans une situation précaire. Ayant travaillé comme chercheuse pendant plusieurs années, elle a perdu son emploi à la suite d'une restructuration. «Il m'a été impossible de retrouver un travail dans le domaine, je me suis donc reconvertie dans l'enseignement en école privée à 60%.» Mère seule, un enfant de 6 ans à charge, Carole bénéficie du Revenu d'insertion (RI - l'aide sociale vaudoise). «Mais si je gagne à l'avenir 50 francs de plus par mois, je perds l'aide du RI et je me retrouve dans une plus grande précarité encore, ce qui est paradoxal», explique-t-elle. En effet, elle est au seuil du barème de l'aide sociale. Si elle le dépasse, elle perd par exemple le remboursement du 10% des frais médicaux facturés à tous les assurés.
C'est pour ce genre de cas que sont conçues les PC familles. Cette prestation donnerait un petit coup de pouce supplémentaire à Carole. Son revenu total (salaire + RI) passerait ainsi de 45000 francs par année à 48315 francs. Ce n'est qu'à partir de 48489 francs qu'elle deviendrait complètement autonome. Ce qu'elle désire ardemment: «Je voudrais vraiment travailler à plus de 60% mais je ne trouve pas pour l'instant...»

Le couperet à dix mois de la retraite
Gérard aura bientôt 64 ans. Dans deux mois et demi, le couperet tombera: «Je n'aurai plus droit aux indemnités de chômage, mes prestations s'arrêteront brutalement.» Pourtant, il lui restera encore dix mois à combler avant d'atteindre l'âge de la retraite. Actuellement, il n'aura qu'un recours possible: s'inscrire à l'aide sociale (RI). Mais avant de toucher un seul sou, il devra avoir épuisé la quasi-totalité de ses économies accumulées au cours de sa vie de labeur. Car le RI n'intervient qu'à partir du moment où la personne qui le sollicite ne détient pas plus de 4000 francs sur son compte en banque. Adieu donc le bas de laine qui lui permettrait de s'offrir quelques extras pendant sa retraite! Car Gérard n'a pas pu accumuler un capital du second pilier solide, en raison d'un parcours professionnel accidenté. Après avoir vécu un licenciement économique en 1991, il a alterné périodes de chômage et contrats temporaires: «J'avais trouvé un emploi comme enseignant à temps partiel mais cela ne suffisait pas pour vivre. J'ai alors été forcé d'accepter toutes sortes de jobs.»
Si Gérard bénéficiait du RI avant sa retraite, il devrait de surcroît continuer ses recherches d'emploi en connaissant les chances infimes d'en trouver. Dans une enquête réalisée par l'entreprise d'intérim Manpower, seuls 17% des patrons se disent prêts à engager des «seniors»... En revanche, si Gérard touchait la rente-pont, il pourrait préserver ses rares économies et vivre une transition douce vers la retraite. «Dans la dignité et le respect», ajoute l'organisation Pro Senectute. Le préretraité toucherait 3110 francs par mois jusqu'à cette échéance, au lieu de 2250 francs s'il était au RI.


Christophe Koessler