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7000 maçons posent les outils

Photo manifestation maçons Lausanne
© Olivier Vogelsang

Les maçons romands, déterminés, refusent une Convention collective de travail nationale au rabais.

Venus de toute la Suisse romande, quelque 7000 maçons ont manifesté aujourd’hui dans les rues de Lausanne, réclamant de meilleures conditions de travail. Reportage.

Place de la Navigation, Ouchy, 9h30. Nombre de maçons ont déjà rejoint le lieu de rendez-vous et attendent leurs collègues qui viendront de toute la Suisse romande. Café et croissants à disposition, ils discutent par petits groupes, sous un soleil complice. On entend beaucoup parler portugais, mais aussi espagnol, italien, anglais et bien sûr français. Certains se sont installés dans la gigantesque tente et remplissent les formulaires nécessaires à l’obtention d’indemnités de grève. D’autres jouent aux cartes ou trompent leur ennui en surfant sur leur portable. Pour le deuxième jour consécutif, les travailleurs de la construction ont en effet décidé de croiser les bras, luttant pour une bonne Convention collective nationale de travail (CN) alors que les négociations en vue de son renouvellement ont, rappelons-le, échoué. Si hier, ils ont manifesté dans leur cantons respectifs, tous se retrouvent aujourd’hui dans la capitale vaudoise. Petit à petit, les rangs s’étoffent. L’arrivée des différentes délégations est saluée par un vacarme assourdissant. Tambour, sifflets, pétards, musique à coin accueillent les renforts. Des drapeaux d’Unia dansent au-dessus de l’assemblée noyée sous des torrents de décibels. Président de l’Union syndicale suisse, Pierre-Yves Maillard monte sur l’estrade, générant un calme de brève haleine. Car le militant appelle lui aussi les maçons à faire du bruit, pour montrer au patronat combien ils sont nombreux. 

Mobilisation exemplaire
«Vous vous mobilisez pour vos droits, pour votre santé, pour de meilleures conditions de travail. C’est parfaitement normal. Ce qui ne l’est pas, c’est de devoir le faire.» Le numéro un de l’USS souligne le caractère exemplaire de la mobilisation, susceptible de «donner du courage aux autres». «Ce n’est pas acceptable de travailler toujours plus pour avoir moins d’argent sur son compte. C’est pourtant ce qui se passe pour des salariés de nombre de secteurs, entre les soins, la vente, les services publics, les transports...Vous méritez le respect et la reconnaissance pour votre combat.» 
Vania Alleva, présidente d’Unia, prend le relais. Poing levé, la syndicaliste insiste sur la justesse de la lutte et des revendications. A savoir, des journées n’excédant pas huit heures, les déplacements jusqu’au chantier entièrement payés de même que la pause café ou encore l’adaptation automatique des salaires aux renchérissement. «Vous exercez un beau métier. Mais les conditions de travail sont trop dures. Les journées trop longues. Vous ne voyez pas grandir vos enfants. Sans oublier le risque d’accident: chaque trois semaines, il y a un blessé sur un chantier. Le stress, la pression sur les délais en sont la raison.» 

«Nous ne demandons pas la lune»
La responsable d’Unia a elle aussi jugé incroyable le fait qu’il faille se battre pour des requêtes aussi normales. «Nous ne demandons pas la lune», lance-t-elle sous les acclamations. Elle détaillera encore par la suite, lors d’un point presse, les prochains rendez-vous de lutte en Suisse allemande, soulignant la détermination des grévistes. 
«J’espère que les patrons reviendront au partenariat social comme c’était autrefois le cas» complètera de son côté Pierre-Yves Maillard devant les médias. Le président de l’USS se dira d’autant plus choqué par l’attitude de la Société suisse des entrepreneurs (SSE) que la situation économique est jugée bonne. «Face à cette agressivité, les maçons se défendent.» Qualifiant pour sa part les revendications patronales de «folles», le responsable de la branche construction à Syna, Michele Aversa, notera encore que, sans améliorations des conditions de travail, il manquera d’ici à 2040 30 000 employés dans le domaine. 

«Pas de pognon, pas de béton !»
«Pas de CN au rabais! Non à une CN rongée à l’os!» «Nous bâtissons la Suisse. Du respect pour notre travail!» «Maçons romands en lutte»... Le repas pris, le début de l’après-midi donne le coup d’envoi du cortège. Au milieu des banderoles et d’une forêt de drapeaux majoritairement d’Unia, les manifestants, dont nombre avec des casquettes aux couleurs syndicales vissées sur la tête, marchent en direction du centre-ville. «A Lausanne, tout est en montée. C’est difficile. A l’image de notre combat. Mais on y arrive», encourage un syndicaliste d’Unia en tête de défilé, ouvert par un camion assurant l’ambiance toute sono hurlante entre morceaux pop & rock et chansons traditionnelles de lutte à l’image de Bella ciao ou de On ne lâche rien. De quoi stimuler encore les meneurs et meneuses qui se s’époumonnent au mégaphone, invitant la foule à scander des slogans. Alors que pétards assourdissants et fumigènes répandent ponctuellement des odeurs de poudre. «Pas de pognon, pas de béton!», «Tous ensemble, grève!» «La mobilisation c’est la solution!» répètent les participants sous l’œil étonné de passants. Un jeune croise la foule, pouce levé en signe d’approbation. Des promeneurs s’arrêtent pour filmer la scène tranchant avec cette Suisse généralement si tranquille. D’autres applaudissent. Une dame âgée, sortie sur son balcon, se tient devant une banderole rouge sur laquelle on peut lire, lettres peintes à la main, «Notre santé passe avant leurs profits».

«On va gagner...»
Les grévistes s’arrêtent sur le Grand Pont où Nico Lutz, responsable du secteur construction et membre du comité directeur d’Unia prend la parole. «Qui a construit ce pont et toutes les maisons de cette ville? C'est vous! Vous faîtes un beau métier, mais pénible, à travailler sous la pluie, dans le froid ou la canicule. C'est aussi un métier dangereux, avec une personne sur six qui a un accident chaque année. La raison, c'est qu'il y a de plus en plus de stress sur les chantiers. L'an dernier, vous avez construit 20% de plus, mais avec moins de personnel. Le résultat, ce sont des journées à rallonge. Vos revendications sont justifiées.» Nico Lutz a aussi évoqué le projet de Convention nationale défendu par la SSE «qu’elle prétend moderne, mais qui veut introduire des semaines de travail de 50 heures, réduire les salaires des travailleurs qui viennent de finir leur apprentissage, et permettre le licenciement des collègues malades ou accidentés.» 
«Nous n'allons jamais accepter ça! Les maçons ont l'habitude de se battre pour leur dignité. Nous sommes descendus dans la rue pour obtenir la retraite anticipée et nous l'avons eue. Cette fois-ci aussi on va gagner.» 

«On ne va pas se laisser marcher sur les pieds»

Venus de toute la Suisse romande, les maçons sont très remontés. «Si on se retrouve sans convention, nos conditions de travail vont beaucoup changer, craint Kachlef Aledin, 30 ans, employé dans les travaux spéciaux à Fribourg. C’est injuste! Si ça continue comme ça, c’est nous qui allons devoir donner de l’argent aux patrons! On n’a pas le choix, ils nous obligent à nous mettre en grève. Mais tout ce monde qui est là aujourd’hui, ça montre qu’on est solidaires et qu’on ne va pas se laisser marcher sur les pieds. J’ai juste quelques collègues qui n’ont pas fait la grève parce qu’ils avaient peur de perdre leur travail.»

Selon Arun Plater Mendes, un grutier et coffreur de 42 ans, de Lausanne, il y a effectivement eu des menaces dans ce sens de la part de certains employeurs: «Beaucoup ne sont pas venus parce que leur patron leur a dit qu’ils seraient licenciés s’ils faisaient la grève. Malgré ça, je trouve que c’est important d’être là. Et d’être aussi nombreux, ça donne du courage pour continuer le combat. Nos droits ne sont pas respectés sur les chantiers. On fait déjà de longues semaines de travail et on voudrait encore nous faire travailler un jour de plus? Je n’ai pas beaucoup de temps avec ma famille, mes enfants, alors il n’est pas question de travailler aussi le samedi.»

Rallonger les horaires de travail, Marcos Christopher Ledesma Escamez, manœuvre de 22 ans, y est aussi fermement opposé: «Nous travaillons beaucoup et subissons beaucoup de stress. Ce rythme de travail nous casse. Le samedi et le dimanche, c’est important pour se libérer la tête du travail et se reposer. Et les patrons voudraient qu’on travaille en plus le samedi, et sans supplément de salaire? Ils en veulent toujours plus. S’ils ne reviennent pas négocier, il faut reprendre la grève. Cette forte mobilisation me donne de l’espoir.»

Ce qui ressort de nombreux témoignages, c’est la détermination à ne pas abandonner la lutte. «Si la Société suisse des entrepreneurs ne change pas de position, nous resterons mobilisés, assure Filipo Fernandes, un grutier de 43 ans. Tout le monde qu’il y a aujourd’hui, ça nous donne la motivation pour continuer. On bosse sous la pluie, dans le froid, dans la canicule. Alors on n’est pas d’accord quand les patrons disent qu’il faudrait faire des semaines de 50 heures, donc des journées de minimum 10 heures, et qu’on pourrait avoir jusqu’à 250 heures supplémentaires par an ou encore travailler le samedi sans supplément de salaire. On a aussi des familles à la maison.»

Pour Luis Gomes, maçon de 52 ans, il est crucial de préserver les acquis sociaux: «Nos collègues avant nous se sont battus pour obtenir des droits, comme celui de la retraite anticipée à 60 ans. Il faut refuser les modifications de la Convention nationale proposées par les patrons. J’espère que notre mobilisation les fera changer d’avis. Si ce n’est pas le cas, il faudra continuer la grève. Nous méritons d’être mieux payés. C’est un métier qui use. On porte de lourdes charges, on est toujours à genoux. Je viens d’être opéré du genou et j'ai déjà été opéré des deux poignets.»

Bien qu’il soit retraité, Jorge Almeida, ancien soudeur de 67 ans, est venu manifester par solidarité avec la profession. «Pour une fois qu’il y a une Convention qui n’est pas trop mal, les patrons voudraient la démanteler. La construction, c’est un travail d’équipe, donc c’est important d’être solidaires pour défendre nos droits. Les conditions de travail sont encore plus difficiles aujourd’hui que quand je travaillais encore. On a dû souvent se battre pour obtenir des améliorations, alors il faut tout faire pour les garder.» AG

Le 4 novembre, deuxième jour de grève, des maçons romands et des responsables syndicaux témoignent à Lausanne. Morceaux choisis (musique: Unia Neuchâtel avec l'aide de l'IA).

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