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Ces mains d’or qui ont sauvé Breguet

Deux retraités de l'entreprise Breguet.
© Thierry Porchet

Deux anciennes figures de Breguet au Sentier, à gauche Louis-Maurice Caillet, à droite Jean-Louis Sautebin. 

Quasi à l’arrêt il y a 50 ans, l’horloger a retrouvé sa superbe dans les années 1970 grâce à une poignée d’artisans hors pair. Rencontre avec deux figures historiques.

Il ne faut pas chercher, auprès de deux figures attablées dans un bistrot du Sentier, au cœur de la vallée de Joux, une quelconque trace de fierté ou de vanité. Jean-Louis Sautebin et Louis-Maurice Caillet ont le verbe plutôt économe et un allant un rien compassé. Ce qui pourrait laisser entendre que le récit qu’ils vont vous faire n’a rien d’exceptionnel. Cependant, l’impression qu’on en tire au premier abord est tout à fait trompeuse. Car cette paire d’horlogers, 86 ans le premier, 75 le second, a été au centre d’une histoire qu’on peine à croire aujourd’hui: celle du sauvetage, ou mieux, de la renaissance de la maison Breguet il y a près de 50 ans. Aujourd’hui marque phare dans les paysages des montres de luxe, jouissant d’une aura quasi légendaire avec ses 250 ans d’histoire, la manufacture fondée en 1747 par le Neuchâtelois Abraham-Louis Breguet a connu les abîmes, en étant au bord de la disparition au début des années 1970. 

Sur la place Vendôme
A l’époque, en 1970 précisément, elle passait dans le giron d’un géant de la joaillerie française, la maison Chaumet, à travers un rachat décidé par les deux timoniers qu’étaient en ces temps Jacques et Pierre Chaumet. Breguet trouvait ainsi un ancrage prestigieux à Paris, en pleine place Vendôme. C’était fort reluisant. Mais Breguet n’était qu’un nom, une coquille vide, ne fabriquant presque plus rien et prenant chaque jour de la poussière. Une légende en perte de vitesse, en somme. Un tournant majeur s’amorce néanmoins avec l’arrivée à sa direction d’une figure providentielle, François Bodet, qui a la bonne idée, en 1974, de suivre les conseils du président d’Audemars Piguet, Georges Golay. Il faut relancer la machine Breguet mais en la plaçant dans la vallée de Joux. 
Ce fut un pas décisif, accompli avec une étonnante économie de moyens et une poignée d’artisans de grand talent. Bodet investit alors un atelier de 16 m2 à peine, dans le bâtiment de l’Ecole technique de la vallée de Joux, au Sentier. Il engage des figures comme Daniel Roth, pivoteur au savoir-faire inouï, qui usinait des axes minuscules chez Audemars Piguet. Et il s’entoure par la même occasion de deux autres artisans vertueux, qui complètent, entre 1975 et 1977, l’équipe de départ. On y croise alors Louis-Maurice Caillet, engagé en tant que calibriste, «une étiquette qui n’existe plus, nous glisse-t-il. Aujourd’hui, on parle plutôt de micromécanicien. Je travaillais beaucoup sur des prototypes, puis on recevait les boîtes des horloges de Paris et nous faisions le polissage, en apportant beaucoup de retouches, notamment sur l’épaisseur des aiguilles. Il fallait tout faire entrer dans la boîte à une époque où la mode était aux montres ultraplates.» On y croise aussi, parmi le maigre personnel, un autre enfant du pays: Jean-Louis Sautebin. Dans sa sacoche, il compte une formation complète dans la branche acquise lors d’un apprentissage chez Ebel. L’homme a fait ensuite un passage par La Chaux-de-Fonds avant un retour dans la région, chez Audemars Piguet et Lemania. 

Au Brassus, l’âge d’or
Dans ses mémoires (L’histoire d’une passion, Breguet 1973-1987), François Bodet relate que «les horlogers de la première heure ont été le moteur principal de Breguet». Constat que pourrait confirmer Louis-Maurice Caillet: «On est partis de rien et on a dû tout acheter, y compris les crayons. Puis, on s’est mis au travail et, petit à petit, nous avons réinstallé la marque dans le panorama. Pour commencer, ce n’était pas plus de trois ou quatre montres par année.» Ce petit volume évoluera considérablement dans un temps restreint. «François Bodet était un excellent commercial et avait de l’entregent, note Jean-Louis Sautebin. Sous son impulsion, Breguet s’est trouvé vite à l’étroit dans son atelier du Sentier. Nous avons alors déménagé au Brassus, au rez-de-chaussée d’un immeuble où on façonnait auparavant des pierres pour l’horlogerie. En quelque temps, on a fini par occuper tout l’immeuble.» Un âge d’or aux yeux de Louis-Maurice Caillet: «On était en tout une trentaine de travailleuses et de travailleurs, il y avait une ambiance chaleureuse, c’était une grande famille.»
Les deux pionniers assisteront ensuite à l’ascension de la marque. Mais aussi aux turbulences sévères de 1987, qui ont failli faire disparaître de nouveau cette étiquette. Au bord de la faillite, la maison Chaumet décide cette année-là de vendre Breguet au groupe anglo-américain Investcorp. La suite est connue: l’horloger s’est implanté au mitan des années 1990 dans une ancienne fabrique de limes, à L’Abbaye, puis à L’Orient. Le rachat en 1999 par Nicolas Hayek génère les conditions pour un nouveau grand bond. «Au final, on était plus de mille collaborateurs», décompte Louis-Maurice Caillet. Syndiqué depuis l’âge de 20 ans, membre d’Unia, ce dernier se souvient du climat social plutôt positif qui régnait au sein de l’entreprise, même durant les périodes les plus compliquées.
Aujourd’hui, cinq décennies après la renaissance de Breguet, les témoins de cette époque se font rares. Tout un monde semble avoir été englouti depuis, avec les innovations technologiques et les grandes mutations qu’a connues la branche. «On ne croise plus grand monde en effet, on se revoit pour les enterrements», conclut avec un sourire malicieux Louis-Maurice Caillet. 

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