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«Le cinéma est un moyen de lutter pour notre droit à la liberté»

Homme de dos sur une plage, en train de regarder la mer.
DR/IMAGE TIREE DU FILM

Gaza Bride 17 raconte l'histoire d'un pêcheur palestinien dont le fils est tué par des soldats israéliens et qui se retrouve piégé dans ses souvenirs et ses souffrances psychologiques.

A l’occasion de la 14e édition du festival «Palestine, filmer c’est exister», le réalisateur Waseem Khair et sa coproductrice Mariam Basha parlent de leur travail dans le contexte de la guerre à Gaza.

Alors que ces deux années de guerre dévastatrice à Gaza ont porté à leur paroxysme les souffrances du peuple palestinien, la voix de celui-ci continue de nous être transmise, chaque année depuis quatorze ans, par le festival «Palestine, filmer c’est exister». La nouvelle édition, qui se tient du 26 au 30 novembre à Genève, prend toutefois dans ce contexte une tonalité particulièrement militante, en faisant le lien entre différentes générations de cinéastes, du cinéma révolutionnaire des années 1960-1980 jusqu’à nos jours. Plusieurs réalisateurs et réalisatrices palestiniens sont invités pour des rencontres avec le public. C’est le cas de Waseem Khair, qui vient présenter deux courts métrages – un documentaire, 120 km, et une fiction, Gaza Bride 17. Nous l’avons interviewé, en compagnie de sa coproductrice, Mariam Basha.

 

Waseem Khair, votre court métrage Gaza Bride 17, sorti en 2025, est-il une réaction à la guerre qui a ravagé Gaza depuis deux ans?

Waseem Khair (WK): En fait, nous avions terminé le tournage trois mois avant le 7 octobre 2023. Mais ensuite, le projet est resté bloqué parce qu’après cette date, plus personne ne voulait entendre parler de Gaza et des Palestiniens, en tout cas au début. Puis, ça a changé, et nous avons pu achever la post-production. Malheureusement, notre ami Rushdi Sarraj, un journaliste et documentariste de Gaza qui a tourné sur place certaines des images du film, n’aura pas pu voir le résultat. Il a été tué en novembre 2023 lors d’une frappe israélienne, trois semaines après le début du génocide.

 

Est-ce que les événements ont fait évoluer votre projet?

WK: Non, nous n'avons rien changé au film. Il parle du syndrome de stress post-traumatique sous l'occupation israélienne. Gaza est assiégée et, pour moi, le génocide ne change rien à cette situation. C'est très dur, beaucoup de gens sont morts depuis deux ans, mais l'occupation et l'apartheid en Palestine, et à Gaza en particulier, ne datent pas du 7 octobre. L’histoire que raconte Gaza Bride 17 est donc toujours d'actualité. 

 

Waseem Khair

 

Montrer vos films à l’étranger, est-ce une manière faire entendre la voix des Palestiniens?

WK: Oui, c'est très important, car le conflit israélo-palestinien porte également sur le récit qui en est fait. La propagande israélienne essaie toujours de dépeindre les Palestiniens comme des gens qui aiment tuer et se faire tuer, et tous ces stéréotypes sur le martyr. Mais vous savez, nous, les Palestiniens, sommes des gens qui aiment la vie. 

Mariam Basha (MB): Bien sûr, il est très important non seulement que nos films et nos œuvres soient diffusés, mais aussi que les gens apprennent à connaître les personnes qui se cachent derrière. Chaque Palestinien a sa propre histoire à partager avec le monde entier. C'est notre façon de résister. 

WK: Je ne me sers pas d’armes à feu, mais la caméra, le cinéma, le théâtre, raconter des histoires, ce sont mes armes à moi. Nous croyons en la force de nos mots, de notre art. J’ai été poursuivi à plusieurs reprises par les autorités israéliennes à cause de mon travail, notamment dans le cadre du documentaire 120 km. Une partie du matériel que nous avions tourné a été saisie et on ne nous l’a jamais rendue. C'est la preuve que l’art est un moyen de lutter pour notre droit à la liberté.

«Nos outils artistiques sont devenus trop limités
pour exprimer l'ampleur des souffrances du peuple palestinien.
Il faut les faire évoluer.»
Waseem Khair, réalisateur

 

Qu'est-ce qui a changé dans votre façon de travailler depuis le 7 octobre?

WK: Depuis le début du génocide, je n’arrête pas de réfléchir à la manière de rendre mon travail artistique plus efficace. Nos outils sont devenus trop limités pour exprimer l'ampleur des souffrances du peuple palestinien. Il faut les faire évoluer.

MB: Psychologiquement, il est très difficile de travailler depuis le début du génocide, parce que nous ressentons beaucoup de colère et de tristesse, et les images que nous voyons depuis deux ans sont horribles. Dans ce contexte, il faut déployer encore plus de volonté et d’efforts pour se mettre à écrire et monter une pièce de théâtre ou un film.

 

Vous travaillez actuellement sur un projet de long métrage. De quoi parle-t-il?

WK: Cela s'intitule -40. Ça parle des corps de Palestiniens morts qui sont conservés dans les chambres froides des morgues israéliennes. J'ai commencé à en écrire le scénario deux ou trois ans avant le génocide, mais maintenant, ce sujet prend une nouvelle résonance. Je ne sais pas s'il existe un autre endroit dans le monde où ce genre de chose existe. Aujourd'hui, plus de 2000 corps de Palestiniens sont conservés dans les morgues israéliennes, certains depuis les années 1960-1970. Leurs proches, leurs familles n'ont toujours pas eu la possibilité de les pleurer et de les enterrer. Ce sujet n'avait jamais été traité auparavant dans le cinéma palestinien.

 

Gaza Bride 17 a été coproduit par Roger Waters, l’ex-membre de Pink Floyd. Comment en êtes-vous venu à travailler avec lui?

WK: Nous cherchions des fonds pour achever la post-production. Comme Roger Waters est quelqu’un qui soutient beaucoup la cause palestinienne, et en particulier les artistes, nous l’avons contacté et il a tenu à participer au projet après avoir vu la première ébauche de montage. Je lui dis un grand merci, car sans son soutien, il aurait été très compliqué de terminer le film.

 

Est-ce particulièrement difficile pour les cinéastes palestiniens d’assurer le financement de leurs films? 

MB: En général, oui. Jusqu’à peu, il n’y avait pas de fonds national pour le cinéma en Palestine. Donc, soit nous dépendions des fonds internationaux, soit des fonds arabes, qui sont très rares et très compétitifs. Cela ne fait qu’un an que le Palestine Film Institute a été créé, ce qui est une très bonne avancée pour le cinéma palestinien. 

WK: Ce qui est compliqué aussi, c’est que la plupart des producteurs étrangers ont des idées préconçues sur les sujets que doivent aborder les films palestiniens. Si vous ne parlez pas des checkpoints, du mur de séparation ou de l'occupation, ça ne les intéresse pas. A l’inverse, il y a des choses qu’ils refusent de voir à l’écran, même si elles sont vraies. Nous avions de la peine à trouver des fonds pour Gaza Bride 17, à cause de la scène où le fils du personnage principal se fait tuer par des soldats israéliens. Pourtant, ce sont des choses qui arrivent dans la réalité.

 

Rencontres cinématographiques «Palestine, filmer c’est exister». Du 26 au 30 novembre, aux Cinémas du Grütli et au Musée d'ethnographie de Genève

Programme et renseignements ici

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