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Les violences sexistes et sexuelles explosent en Suisse

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©Thierry Porchet

En Suisse, 18 femmes ont été tuées en 2023 et 20 en 2024, des chiffres qui ne tiennent pas compte des cas qui n’ont pas été rendus publics.

Un 19e féminicide a eu lieu dans le pays en 2025. Aude Spang, secrétaire à l’égalité chez Unia, pointe l’inaction des politiques et la montée des idées conservatrices face au mouvement féministe.

Le 5 juillet dernier, dans le canton de Fribourg, à Givisiez, on déplorait un nouveau féminicide. Le 19e depuis le début de l’année en Suisse. Quelques jours plus tard, environ 500 personnes se rassemblaient dans la rue pour rendre hommage à la victime, mais pas seulement. «Deux féminicides ont eu lieu, en avril puis en juillet, alors que cela faisait près de dix ans qu’un tel crime n’avait pas été recensé à Fribourg, commente Aude Spang, secrétaire à l’égalité chez Unia. C’est symptomatique de l’explosion des violences sexistes et sexuelles (VSS) en général.» La responsable syndicale rapporte que les gens de tous les horizons sont venus en masse. Pas que des féministes, pas que des militantes. «Ça touche tout le monde, c’est un enjeu de société. C’était l’occasion de se recueillir, de prendre la mesure de ce qui s’est passé et de rendre hommage aux victimes, à travers des fleurs, des bougies ou encore des lectures de poésie. Mais au-delà de l’émotionnel, il y avait une dimension aussi politique, à savoir dénoncer la responsabilité de l’État qui se rend coupable de ne pas avoir suffisamment protégé ces femmes.»

Rappelons que le terme féminicide, utilisé d’abord dans les années 1990 en Amérique latine pour décrire les meurtres en série de femmes, notamment au Mexique et au Guatemala, désigne l’assassinat volontaire d’une femme, au simple motif que c’est une femme. La plupart du temps l’auteur du meurtre est le conjoint ou l’ex-conjoint, et très souvent, ces femmes avaient déposé plainte pour violences et/ou l’avaient quitté ou tenté de le quitter. 

Que font nos dirigeants?
En Suisse, 18 femmes ont été tuées en 2023 et 20 en 2024, des chiffres qui ne tiennent pas compte des cas qui n’ont pas été rendus publics et auxquels il faut encore ajouter les tentatives de meurtre. «Nous sommes seulement en juillet et les chiffres des années précédentes sont déjà presque atteints voire atteints», s’indigne Aude Spang. Selon elle, la faute revient à l’inaction des autorités, qui face à un mouvement féministe de plus en plus grand et actif, répond par des «mesurettes» ou des «déclarations de principe» sans jamais prévoir les ressources suffisantes en termes de budget. «Tous les acteurs et actrices impliqués portent des revendications qui permettraient d’améliorer la situation, mais rien ne bouge», déplore-t-elle. «Tout est toujours compliqué ou remis au lendemain faute de moyens. Alors que les budgets de l’armée semblent illimités, les coupes dans les services publics ont un impact direct sur les vies de femmes et les politiques de droite et d’austérité renforcent les violences sexistes et sexuelles.»

En jeu aussi, la montée du masculinisme et de l’extrême-droite qui prônent la domination masculine et renforcent les rôles genrés. «Le moment le plus dangereux pour les femmes est celui de la séparation, quand elles cherchent à sortir de l’emprise de leur partenaire.» La série britannique à succès Adolescence sur Netflix, aborde ces questions très actuelles de radicalisation masculiniste des jeunes hommes sur les réseaux sociaux. Autre exemple en France, en un an, trois attaques se revendiquant de l’idéologie «incel»* ont été neutralisées et la dernière, à Saint-Étienne, a été confiée à la justice antiterroriste. «Face à la lutte féministe, il y a un durcissement chez certains hommes qui se sentent menacés et qui répondent par un virilisme exacerbé, qui pointent les femmes comme les responsables de tous leurs maux et qui les opposent aux hommes, poussant ces derniers  à la haine», explique la syndicaliste. 

Des idées et des sous
Qu’est-ce que le mouvement féministe suisse propose? Les revendications élaborées à l’occasion du 14 juin 2023 sont encore d’actualité. Il y a d’abord l’urgence d’un plan national de luttes contre les violences sexistes et sexuelles, qui soit pérenne et doté d’un budget à la hauteur du problème. «Il faut aussi prendre le problème à la racine et investir dans l’éducation et la prévention dès le plus jeune âge, car les violences sont systémiques», insiste Aude Spang. La protection des victimes est aussi cruciale via des structures et places d’accueil en nombre suffisant et du personnel formé pour prendre en charge les victimes à chaque étape de la procédure. «La réalité aujourd’hui c’est que la police et les juges font preuve d’une grande ignorance, voire de mépris, et passent à côté de ces situations.»

Enfin, les collectifs féministes exigent un observatoire recensant les VSS et la stricte application de la Convention d’Istanbul** sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.

Unia engagé contre les VSS
Unia, en tant que syndicat, a été actif et présent ces dernières années lors des manifestations contre les VSS, et notamment en lien avec les violences au travail. Il participe chaque année à la campagne des 16 jours contre les violences de genre dans le cadre du 25 novembre et il prépare une campagne nationale contre le harcèlement sexuel et les violences sexistes au travail. 

* Communautés en ligne de «célibataires involontaires» qui peuvent attiser un certain ressentiment envers les femmes voire de la misogynie, et même la promotion de la violence contre les femmes et les hommes épanouis sur le plan sexuel.

**https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention

La Suisse a failli à son devoir de protection

En matière de prévention et d’action contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et les féminicides, la Suisse a des lacunes, et c’est la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui le dit. Cette dernière a condamné notre pays il y a quelques mois pour ne pas avoir protégé suffisamment la vie d’une femme contre son partenaire violent. Les faits remontent à 2007. La requérante, que l’on appellera Clara, quitte son compagnon rencontré il y a moins d’un an. Celui-ci va la séquestrer, la violer, tenter de l’asphyxier et la blesser avec une arbalète. Elle est hospitalisée et s’en sort, tandis que l’agresseur est arrêté et se suicide en garde à vue. 

Quelques semaines plus tôt, la victime, qui s’inquiétait du comportement de son conjoint, avait contacté son médecin de famille, qui lui avait conseillé de mettre un terme à leur relation, mais «pas de manière abrupte», rapporte le site humanrights.ch dans un article publié le 14 juillet. Le médecin informe la police qui rappelle Clara. Cette dernière raconte subir du harcèlement et dit vouloir mettre fin à la relation mais ne souhaite pas porter plainte. Clara n’est pas au courant du passé de son petit copain mais la police, elle, sait que l’homme a été condamné à 12 ans de prison en 1995 pour avoir violé et tué son ancienne compagne et qu’il a été libéré sous conditions strictes, conditions qu’il n’a pas respecté puisqu’il s’en est pris à une nouvelle femme. Pour autant, le droit suisse empêche les autorités de communiquer les extraits de casier judiciaire et les rapports psychiatriques des criminels.

C’est là que la saga judiciaire commence. Clara engage une action en responsabilité de l’Etat contre le canton de Lucerne en 2015, reprochant aux autorités d’avoir manqué à leur devoir d’information sur le passé criminel et la dangerosité de son compagnon, ainsi qu’à leur devoir de protection. Les juridictions cantonales, puis le Tribunal fédéral dans un arrêt du 8 juin 2018, rejettent les requêtes. Clara persévère et dépose un recours auprès de la CEDH. Dans son arrêt du 3 avril 2025, elle conclut que la Suisse a violé l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit à la vie. Elle souligne que les États ont des obligations positives, notamment celle «d’agir de manière concrète pour protéger toute personne dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui», reprend humanrights.ch. «Aucune évaluation concrète du danger ni mesure de protection efficace n’a été mise en place. Dès lors, en raison des lacunes du droit interne, mais aussi du défaut d’action des différents services étatiques, la CEDH conclut que les autorités ont manqué à leur obligation de prendre des mesures opérationnelles pour protéger l’intégrité physique de la requérante.»

Cette affaire met le doigt sur le conflit entre deux droits fondamentaux, à savoir celui de la victime à être informée pour se protéger, et celui de l’auteur à la confidentialité. Pour la CEDH, le premier doit prévaloir, et donc, le système suisse de protection contre les violences fondées sur le genre est lacunaire. Des instruments spécifiques juridiques existent ailleurs. Les autorités britanniques et espagnoles ont par exemple mis sur pied des dispositifs permettant aux citoyens de solliciter des informations auprès de la police sur les antécédents d’un partenaire (droit de demander) ou autorise les forces de l’ordre à informer de manière proactive une personne potentiellement en danger (droit de savoir). Des inspirations possibles pour prévenir, plutôt que guérir. MT

 

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