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Unia fait voter sur les chantiers

Pour ou contre la grève: aux maçons de se prononcer. Reportage à Lausanne

Le bras de fer se durcit entre les syndicats et la Société suisse des entrepreneurs. Cette dernière s'obstine dans sa volonté de dénoncer la Convention nationale de la construction, obligeant les syndicats à préparer des mesures de lutte. Si la manifestation du 22 septembre ne suffit pas, les maçons pourraient s'engager dans des mouvements de grève. Le scrutin, organisé actuellement sur les chantiers, va en décider.

Les travailleurs du bâtiment auront le dernier mot. Ils décident ces jours s'ils sont prêts à entamer la grève pour récupérer la Convention nationale (CN) de la construction. Dans toute la Suisse, les délégués syndicaux d'Unia parcourent depuis deux semaines les chantiers pour faire voter les maçons.
A Lausanne, plus de 150 chantiers seront visités en un peu plus d'un mois, ce qui devrait permettre de toucher 700 travailleurs. Six secrétaires syndicaux se déplacent quotidiennement sur le terrain aux pauses de 9h et de 12h, l'urne sous le bras. «Vous pourriez être touchés par des baisses de salaire importantes ces prochaines années, comme cela s'est passé il y a quelque temps en Allemagne», explique avec énergie Sébastien Genton, secrétaire chargé de la construction pour Unia Lausanne, aux maçons présents jeudi dernier sur le site de la station d'épuration de Savigny, dans la campagne lausannoise. Le bouillant jeune secrétaire syndical a aussi pour mission de convaincre les ouvriers de venir à la manifestation du 22 septembre à Zürich, où les bulletins de vote seront dépouillés en public. Mais l'un deux est déjà acquis à la cause: «Cela ne sert à rien de parler, il faut aller manifester», assure José, 33 ans. Et si cela ne suffit pas? «Et ben, tous les maçons étrangers vont rentrer chez eux. On ne peut pas travailler en Suisse aussi dur et ne pas toucher le 13e salaire. La vie est très chère ici», lance-t-il.

Tous ensemble, ou pas du tout...
Avant d'imaginer un tel scénario, l'homme se dit toutefois prêt à aller jusqu'à la grève. Tout comme son voisin: «Il faut s'organiser au niveau de l'entreprise, j'irais si les copains y vont aussi. J'ai participé à la grève pour la retraite à 60 ans et on a gagné», se rappelle Mauricio, 45 ans. Sur place, Gianni Viglino, entrepreneur à la tête de la petite entreprise du même nom, se dit plutôt favorable aux revendications des ouvriers: «La retraite à 60 ans c'est quand même le minimum dans la construction.»
Mais la peur du licenciement reste l'obstacle majeur à la mobilisation collective. Sur le chantier de l'annexe d'un collège, à l'avenue du 24 Janvier à Renens, la tension est palpable chez les cinq ouvriers présents: «Moi, je ne participe plus à aucune grève depuis 1997, date à laquelle j'ai failli me faire virer à cause de ça. Nous, on avait débrayé, mais d'autres ouvriers étaient restés pour travailler», témoigne l'un deux. Son collègue renchérit: «Si je perds mon travail, c'est vous qui me payerez à la fin du mois?». Sébastien explique alors avec conviction que des bus viendront tôt le matin chercher les ouvriers et que les chantiers seront fermés par Unia avec la participation des travailleurs. «Si on agit tous ensemble, alors je suis d'accord», assure le second maçon. Le premier, lui, au final, réclame la grève générale: «Sans ça, les patrons ne changeront jamais d'avis.» Puis tous les cinq votent, à bulletin secret. Plusieurs émettent aussi le souhait d'être davantage soutenus par le syndicat.

Vaines promesses
Les fausses promesses représentent une autre stratégie utilisée par certains employeurs, qui assurent qu'ils respecteront la Convention collective, même s'ils n'en sont plus partie prenante. Sébastien se fait donc un point d'honneur à les démystifier: «Avec l'ouverture des frontières et la concurrence, ils ne pourront pas tenir parole. Sans convention collective, c'est la porte ouverte au dumping salarial».
Le secrétaire d'Unia assure que pour l'instant les réactions des maçons qu'il a rencontrés sont plutôt favorables à la grève. «Le 22 septembre sera le dernier petit coup de cloche que nous donnerons aux patrons...», prévient-il.

Christophe Koessler



La bataille dans la construction, cruciale pour tous!

Le point avec Hansueli Scheidegger d'Unia

Unia s'engage sur le terrain pour préparer la manifestation nationale de la construction du 22 septembre à Zurich, et fait voter les maçons sur les chantiers pour savoir s'ils sont prêts à aller jusqu'à la grève. La récupération de la Convention nationale (CN) de la construction, où figurent la quasi-totalité des acquis des travailleurs du bâtiment - dont les salaires minimaux - est à ce prix, analyse Hansueli Scheidegger, responsable du secteur de la construction d'Unia.

La SSE ne montre aucun signe de changement. Comment interprétez-vous son attitude?
Pour le moment, la SSE, avec à sa tête son président Werner Messmer, déclare que les patrons sont prêts à risquer le vide conventionnel. De nombreux entrepreneurs nous confient qu'ils ne sont pas d'accord avec la ligne dure adoptée par M. Messmer. Mais jusqu'à présent, c'est lui qui décide. Il veut changer «l'attitude et l'opinion» des syndicats, comme il l'a expliqué dans le Tagesanzeiger. Il cherche d'autres syndicats avec lesquels il pourrait réaliser son projet de Convention nationale «allégée». Ce projet, qui date de 2005, inclurait une dérégulation totale des conditions de travail.

La manifestation du 22 septembre à Zurich pourrait-elle le faire changer d'avis?
Une mobilisation de 15000 personnes serait bien sûr un signe fort en direction des patrons et de la population en général. Cela démontrerait que ce sont les travailleurs et pas seulement le syndicat qui refusent les conditions imposées par les patrons. Mais il est fort probable que cela ne suffira pas. C'est pour cela que nous préparons la lutte sur le terrain.

Vous avez lancé il y a deux semaines un vote sur les chantiers pour savoir si les ouvriers sont prêts à se lancer dans un mouvement de grève...
Oui, il s'agit de savoir si les travailleurs sont vraiment déterminés à se battre pour leurs intérêts. Ce n'est qu'avec eux qu'une grève peut être menée.

Quelles réactions des ouvriers avez-vous recueilli jusqu'à présent?
Les premiers débats qui ont eu lieu dans les différentes régions nous montrent que la grande majorité des travailleurs est favorable à la grève pour défendre la CN. Même dans les régions rurales, où nous avons été surpris par la détermination des maçons. Nous sommes donc optimistes. Les travailleurs savent que s'ils cèdent, les patrons n'en resteront pas là et viendront avec d'autres exigences qui vont détériorer encore davantage leurs conditions de travail.

Concrètement comment va s'organiser la grève?
Tout se passera par étapes. Il y aura des jours de grèves à différentes dates. Elles ne se dérouleront pas en même temps dans toute la Suisse. Du moins au début. Elles commenceront en octobre si la SSE ne change pas de position.

Si le vide conventionnel s'installe, quels sont les risques pour les travailleurs?
Dès le 1er octobre, sans Convention nationale, les mesures d'accompagnement à la libre circulation des personnes ne tiendront plus. Pour les gens qui seront engagés après cette date, il n'existera plus aucune garantie quant aux salaires minimaux, au treizième salaire, à l'assurance perte de gain, etc. Les personnes qui ont été embauchées avant le mois d'octobre seront touchées principalement lorsqu'elles changeront de contrat de travail. Or, quand l'on sait que 25% des travailleurs passent d'une entreprise à l'autre chaque année, c'est préoccupant! Les premiers touchés seront les travailleurs temporaires. Les entreprises étrangères ne seront plus obligées de respecter ces droits. Et il n'y aura plus aucun moyen de sanctionner celles qui ne les respectent pas. Aujourd'hui les patrons promettent qu'ils respecteront le contenu de la CN même s'ils n'y sont plus partie prenante, alors qu'ils savent pertinemment que c'est faux. Le dumping salarial et social va très vite devenir une réalité à grande échelle.

Vous craignez des conséquences dans d'autres secteurs aussi...
Si nous ne trouvons pas une solution, cela représentera un mauvais signal pour les autres branches où les conditions de travail risquent de se détériorer par ricochet. Cette bataille est donc cruciale pour tous!

Propos recueillis par Christophe Koessler