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Une autre vision du monde

Portrait de Valérie Baud avec la photo de deux vaches.
© Thierry Porchet

Valérie Baud avec une photographie de ses vaches Maya et Hippie, fille et petite-fille de feue Réglisse. Elle leur rend régulièrement visite à l’association Co&xister qui les a recueillies.

Anciens éleveurs, Valérie Baud et son mari ouvrent une boulangerie végétalienne. Sans dogmatisme aucun

Au centre du village de Corbeyrier, au-dessus d’Aigle, une grande et belle photo de vache d’Hérens est placardée sur une maison jaune. Impossible de louper le nid de la famille Baud, dont la mascotte reste feue Réglisse. C’est grâce à elle, à son contact et juste après «sa belle mort dans le pré», que Valérie et son mari Stéphane décident d’arrêter l’élevage.

Inséparable, le couple a déjà été médiatisé à plusieurs reprises. «On veut bien raconter notre histoire, mais on ne veut surtout pas dire ce qu’il faut faire ou ne pas faire. A chacun son rythme, son propre déclencheur», explique Valérie Baud sur sa terrasse qui offre une vue imprenable sur les Dents du Midi. Leur histoire, c’est celle d’un tournant écologique. Mais aussi celle d’une famille recomposée, avec ses hauts et ses bas.

Tour à tour employée de commerce, mère au foyer, aide-infirmière dans un EMS, Valérie découvre l’élevage avec Stéphane, employé parallèlement dans une usine de la région. Trois vaches, trois cochons, quelques chèvres et des poules entrent dans son quotidien.

«Pour ma part, j’étais dans une démarche d’autosuffisance en termes de viande, surtout avec quatre ados à la maison. On faisait nos propres saucisses, les filets mignons, les côtelettes…» explique celle qui cultive en parallèle son potager, et s’occupe de son poulailler. «Pour moi, c’étaient des animaux de rente qu’on traitait bien du début à la fin. Pour mon mari, ils étaient devenus des animaux de compagnie. Les cochons venaient quand on les sifflait, ils se laissaient gratouiller le ventre, nous suivaient comme des petits chiens…»

Sanctuaire

Un jour, en amenant ses bêtes dans un plus grand abattoir que celui dont il a l’habitude, Stéphane ressent le stress et la peur de ses animaux. C’est le début du cheminement, jusqu’à un matin d’automne 2020, où, telle une révélation, il comprend qu’il n’aura plus la force d’amener ses bêtes à la mort. «C’est moi qui ai pris le relais, un temps, avant de ne plus y arriver non plus», relate Valérie, qui mange alors de moins en moins de viande. «Les cochons ont un regard très proche de celui des humains. Quand ils vous regardent et que trois secondes après ils tombent d’une cartouche entre les deux yeux, c’est dur.»

La mort de leur vache Réglisse, le 30 mai 2021, est l’ultime déclencheur. Le couple décide d’arrêter l’élevage. Mais où mettre leurs animaux? Fidèles auditeurs de La ligne de cœur, ils entendent parler d’un sanctuaire au Creux-du-Van. «On a pris contact, mais la responsable partait à la retraite sans avoir trouvé quelqu’un pour prendre le relais. Elle nous a alors parlé de Virginia Markus.» Militante antispéciste, celle-ci a mis un terme à ses actions de désobéissance civile et ouvert un sanctuaire pour sauver les animaux de l’abattoir il y a trois ans. «Elle n’avait pas encore accueilli de vaches, et devait prendre le temps de réfléchir. Mais notre rencontre a été magique et, après un après-midi à discuter, assis au milieu des animaux, ce fut une évidence», se souvient Valérie Baud. Depuis, le couple donne des coups de main à l’association Co&xister et répond aux appels d’éleveurs en transition. «Chaque cas est différent et c’est bien sûr beaucoup plus difficile de cesser l’élevage si on a beaucoup de bêtes ou qu’on ne vit financièrement que de ça», explique-t-elle, son mari à ses côtés.

Inséparables, ou presque, ils ont le même tatouage à l’intérieur de leur poignet: «Toi et Moi» relié par un cœur. Leur amour leur permet de soulever des montagnes, malgré les embûches. Stéphane vit depuis vingt ans avec une sclérose en plaques. Après un apprentissage en boulangerie-pâtisserie et quelques années de métier, Stéphane découvre qu’il est allergique à la farine industrielle. Il travaillera ensuite en usine jusqu’à ce que celle-ci ferme définitivement ses portes. «Après vingt ans de boulot, ce licenciement m’a permis de me recentrer, dit-il, heureux de retrouver son premier métier. Avec les farines anciennes, je ne souffre plus d’allergie!» Valérie, elle, a perdu son œil droit l’an passé. «Un mixeur m’a explosé à la figure. Maintenant, j’ai accepté, mais c’est sûr que cela a changé ma vision, et aussi mon regard sur le monde», dit-elle en souriant.

Plusieurs vies

Peu encline aux études, mais férue de lecture, bricoleuse autodidacte dotée d’un bon sens pratique, Valérie Baud est capable de retaper une maison, de coudre une housse de siège de tracteur ou septante sacs à pain, d’aider au vêlage chèvres et vaches. «J’ai appris sur le tas. Je n’aurais jamais imaginé faire tout ça dans mon ancienne vie. Soit avant ma rencontre avec Stéphane», explique-t-elle. Sans permis de conduire, elle marche beaucoup, pour promener leur chienne Lola ou descendre prendre son train.

Complémentaire, le couple vendait déjà ses spécialités boulangères ponctuellement aux marchés d’Yvorne et de Corbeyrier. Leur nouvelle boulangerie «Aux pains sans peines» vise plus haut, plus loin. Végétaliennes, leurs recettes n’ont plus besoin ni de beurre, ni d’œuf, ni de lait de vache. Stéphane Baud a même inventé le «Taillé trop bon», sans greubon mais totalement bluffant, au point que des carnivores en redemandent. Des points de livraison entre Bex et Genève se mettent en place. Pendant que Stéphane est au fourneau, Valérie se consacre à l’administration, à la communication et aux futures livraisons de pains. «On va fêter nos 10 ans de mariage en septembre, avec des proches. Ce sera aussi l’occasion de leur présenter plus en détail notre projet. Tout s’aligne, s’émerveille Valérie Baud. Qu’ils comprennent tous notre démarche ou non, l’essentiel aujourd’hui est que nous soyons en paix avec notre conscience… et notre cœur!»

Site de la boulangerie sur: auxpainssanspeines.ch