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Un chantier sur les planches

Décors de la pièce "Société en chantier".
© Jean-Louis Fernandez

Dans une maquette scénographique, les spectateurs rencontrent différents protagonistes jusqu’à devenir, sans même s’en rendre compte, acteurs.

La pièce de théâtre «Société en chantier» invite les spectateurs à s’immerger dans le monde de la construction. Rencontre avec l’un de ses acteurs, soudeur de métier

La boucle est bouclée. Dès ce soir, la pièce Société en chantier du metteur en scène Stefan Kaegi est de retour au Théâtre Vidy-Lausanne qui vient de rouvrir ses portes après plus de deux ans de travaux. C’est là que la pièce y a été créée en 2020, juste avant le Covid. Plusieurs représentations ont toutefois eu lieu depuis, notamment en France. Les critiques sont élogieuses à commencer par l’originalité de sa forme théâtrale. Oubliés les fauteuils, les spectateurs, casques vissés sur la tête, sont répartis en huit groupes guidés dans une reconstitution de chantier. Ils vont ainsi à la rencontre d’un ouvrier de la construction, d’un entrepreneur, d’un urbaniste, d’un avocat, d’une travailleuse chinoise, d’une conseillère en investissement, d’un représentant de l’ONG Transparency et même d’un spécialiste des fourmis… Autant de points de vue différents et de rôles, incarnés pour certains par des gens du métier. Une toile d’araignée internationale où «la précarité d’ouvriers côtoie de grands scandales de corruption et d’enrichissement personnel», et où «les intérêts du capital immobilier disputent à l’urbanisme public le dessin des espaces collectifs et la transformation des villes», décrit Eric Vautrin, dramaturge du Théâtre Vidy-Lausanne, dans le dossier de présentation.

Le metteur en scène suisse-alémanique Stefan Kaegi, à l’instar d’autres projets menés par son collectif Rimini Protokoll, propose donc un théâtre social et politique. Les frontières entre fiction et réalité, ainsi qu’entre acteurs et spectateurs s’estompent. Dans ce puzzle grandeur nature où chaque pièce a son importance, Alvaro Rojas Nieto, soudeur de métier, mais aussi maçon et plâtrier-peintre, joue sa propre histoire. Rencontre.


Quel est votre parcours de votre Colombie natale à la Suisse?

J’ai grandi à Bogota. Je me suis formé comme soudeur. Je m’occupais de la réparation des petits bus de la ville, jusqu’à ce qu’ils soient remplacés par de plus gros. J’ai donc perdu mon travail, et décidé alors d’émigrer en Espagne pour subvenir aux besoins de mon épouse et de mes enfants. A Bilbao, pendant dix ans, j’ai travaillé essentiellement dans la construction. J’ai obtenu mon passeport. Après le décès de ma sœur qui vivait, elle aussi, en Espagne, je ne me sentais pas bien, j’avais besoin de changer d’air, un peu par hasard, je suis venu en Suisse, à Lausanne. C’était il y a dix ans, en novembre. A mon arrivée, j’ai vécu quatre mois dans ma voiture. J’ai eu très froid. La journée, je travaillais pour une boîte de désamiantage. J’arrivais le matin à 7h, j’enfilais l’uniforme de protection. A 11h30, je l’enlevais et prenais une douche dans l’entreprise. Même chose l’après-midi. Le soir, j’allais parfois manger à La Soupe populaire, ou je me couchais sans manger. Ensuite, j’ai trouvé de quoi me loger dans un studio où on vivait à quatre. Je payais 500 francs de loyer. Ceux qui sous-louent n’ont aucun scrupule, ils pourraient te faire dormir dans la baignoire! Puis, j’ai travaillé dans la construction métallique, le paysagisme, la maçonnerie… J’ai pu faire venir ma famille, obtenir un permis C.

Qu’avez-vous découvert en travaillant sur les chantiers en Suisse?

Le travail au noir est courant. Certains ouvriers sont payés 2000 ou 3000 francs par mois. C’est moitié moins qu’un salaire normal. En trois ans, je n’ai jamais vu d’inspecteur du travail. Il n’y a pas assez de contrôle, en tout cas pas dans le canton de Vaud. Des patrons font faillite pour ne pas payer leurs travailleurs. L’un d’eux me devait un mois de salaire, environ 5000 francs. Pour d’autres collègues, c’était bien davantage. On est allés au Tribunal, mais on n’a rien récupéré. Les travailleurs ont été volés.

Comment avez-vous rencontré le metteur en scène de Société en chantier?

En 2016, j’ai été victime d’un accident de voiture. J’ai subi plusieurs opérations de mon genou qui ne s’est jamais bien remis. Je n’ai donc pas pu retrouver du travail dans la construction. J’avais toutefois mis une annonce sur anibis.ch pour proposer des travaux de peinture. C’est là que Stefan Kaegi m’a trouvé, il y a trois ans. Il m’a contacté et j’ai dit: «Pourquoi pas!» J’avais du temps et envie de témoigner pour que les gens se rendent compte de la réalité du monde de la construction, de l’exploitation, de la corruption… pas seulement en Suisse, partout.

Imaginez-vous embrasser une carrière d’acteur?

Je ne crois pas. J’adore les métiers de la construction. Mais j’aime expérimenter, apprendre. Le théâtre, c’est un autre monde. Je m’amuse beaucoup, sans stress, et j’oublie mes problèmes – mon divorce, mes problèmes financiers toujours liés à mon accident... Ma vie est une lutte au quotidien, mais je ne perds pas espoir. Un jour, on peut être tout en bas et le lendemain au sommet. Rien n’est impossible. Il y a toujours une lueur au bout du tunnel.

Au Théâtre Vidy-Lausanne, du 1er au 11 février.
Réservations et informations sur: vidy.ch
Billets à prix libre (dès 15 francs).

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